13 mars 2020. Jaime Mejia-Bencardino, représentant d’un groupe d’exportateurs de cocaïne colombiens, communique avec un individu pour que celui-ci l’aide à transférer l’argent d’un certain Dany du Québec vers la Colombie. « Tu lui enverras le code : Para Dany de el viejo (Pour Dany, de la part du vieux) », dit Bencardino à l’individu.

Le jour même, cet individu appelle Dany et lui dit qu’il le mettra en contact avec un autre homme.

Le 19 mars, cet autre homme donne rendez-vous à Dany dans le stationnement du Marché central à Montréal.

Lors du rendez-vous, l’homme présente à Dany la moitié d’un billet de 5 $, une technique appelée token utilisée par les trafiquants, pour s’assurer de l’identité de l’interlocuteur.

Dany dit qu’il connaît le numéro du billet par cœur et, rassuré, il remet à l’autre un sac contenant 560 000 $.

Mais Dany l’ignorait, le premier individu qui l’a appelé est un agent d’infiltration de la Drug Enforcement Administration (DEA) et l’homme à qui il vient de remettre le sac rempli de billets est un agent double de la Gendarmerie royale du Canada.

Dany, de son vrai nom Yan Trépanier, sera arrêté plus tard et accusé de complot pour importation de drogue et de complot pour possession de drogue dans un but de trafic.

La pointe de l’iceberg

Trépanier, 51 ans, de Laval, a plaidé coupable à ces deux chefs en novembre dernier. Il a demandé et obtenu un délai pour finir un contrat de construction et a été condamné à trois ans de pénitencier par la juge Suzanne Costom de la Cour du Québec, mardi, au Palais de Justice de Montréal.

PHOTO TIRÉE D’UN DOCUMENT JUDICIAIRE

Yan Trépanier

Trépanier n’a pas d’antécédent criminel au Québec mais en 2011, il a été condamné à huit ans d’emprisonnement aux États-Unis pour une affaire de cocaïne et de blanchiment d’argent.

Récemment, un autre de ses complices, Andrew Barera, a été condamné à trois ans de pénitencier pour recyclage des produits de la criminalité.

Lui et Trépanier ont été arrêtés à l’issue d’une enquête de la GRC baptisée Carnet qui visait des individus soupçonnés de blanchir d’importantes sommes d’argent provenant de la vente de stupéfiants et de transférer de gros montants dans le but de financer des importations de cocaïne.

Plus qu’un lot de la Loto Max

Selon un document judiciaire obtenu par La Presse, le 8 juin 2021, tandis qu’il était sur écoute, Barera et un autre individu parlaient du lot de 117 millions de la Loto Max. Les policiers l’ont entendu dire, en riant, « qu’il blanchit des centaines de millions de dollars alors qu’il réside chez ses beaux-parents ».

Les enquêteurs de la GRC soupçonnaient Barera et d’autres individus d’utiliser des bureaux de change et une entreprise qui possède une centaine de guichets automatiques pour effectuer des transferts de fonds.

Ils les soupçonnaient également d’utiliser, pour les mêmes raisons, plusieurs entreprises et compagnies à numéro, qui seraient en réalité, selon la police des coquilles vides enregistrées à des prête-noms.

Parmi ces compagnies, on retrouve notamment des sociétés de portefeuille et des entreprises de l’industrie alimentaire qui ne possèdent pas de licence, ne sont pas enregistrées à l’Agence canadienne d’inspection des aliments, n’ont pas de dossier au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec et aucun véhicule enregistré à la SAAQ.

D’autres individus ont été ciblés et écoutés dans cette enquête, mais n’ont pas été accusés.

« Malgré les lois actuelles au sujet des entreprises de services monétaires, notamment la Loi sur les entreprises de services monétaires (LESM) au Québec, le système financier au Canada reste vulnérable aux groupes criminels utilisant l’industrie des guichets automatiques privés pour effectuer le recyclage des produits de la criminalité. Par exemple, le manque de transparence des entreprises en rapport aux bénéficiaires effectifs a pour effet de faciliter aux groupes criminels l’utilisation de prête-noms, de brouiller la piste des fonds réellement utilisés dans l’entreprise et de se dissocier ou de s’éloigner légalement le plus possible de l’entreprise, rendant ainsi les stratagèmes frauduleux ou activités de blanchiment d’argent très complexes », écrivent les enquêteurs dans un mandat, en citant le rapport d’examen du régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (2018).

« Les acteurs illicites utilisent divers moyens pour tenter de masquer leurs renseignements sur la propriété effective, y compris au moyen de sociétés fictives, de structures de propriétés complexes, d’administrateurs et de prête-noms, de fiducies, d’actions au porteur et d’autres arrangements juridiques. Ces moyens transcendent souvent les frontières internationales, brouillent les pistes d’audit et empêchent les forces de l’ordre et les autorités compétentes d’obtenir les renseignements nécessaires pour les activités illégales », ajoutent les enquêteurs, citant cette fois-ci un rapport (2020) du ministère de l’Innovation, Sciences et Développement économique du Canada.

Pour joindre Daniel Renaud, composez-le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.