Dans une situation extrêmement inusitée, trois jurés ont confié au juge d’un procès avoir vécu de la « pression » pour déclarer coupable de meurtre un homme cet automne. Deux jurés affirment même que certains d’entre eux étaient pressés de rendre un verdict pour aller à des rendez-vous. Une rarissime incursion dans le secret des délibérations.

Février 2020. Selwin Georges Chin se dispute avec un homme, Mark Jackson, devant un salon de coiffure du quartier Saint-Laurent à Montréal. Leur conflit est filmé par une caméra de surveillance. Soudain, Selwin Georges Chin sort son pistolet et abat la victime. Un jury l’a reconnu coupable de meurtre au premier degré au terme de son procès en octobre dernier. Il a donc été condamné à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans.

Ce qu’il faut savoir

  • Selwin Georges Chin a été reconnu coupable en octobre dernier du meurtre au premier degré de Mark Jackson.
  • Trois jurés disent avoir subi de la « pression » pendant leurs délibérations.
  • Le juge a refusé de mener une enquête sur les délibérations du jury.

Or, dans les semaines suivant le verdict, trois jurés ont écrit au juge Daniel Royer pour réclamer le remboursement d’aide psychologique. Leur lettre contenait toutefois de troublantes révélations sur leurs délibérations – une étape extrêmement secrète. Il est en effet criminel pour un juré de rompre le secret des délibérations.

Informé par le juge, l’avocat de Selwin Georges Chin a aussitôt réclamé la tenue d’une enquête « post-verdict », une procédure exceptionnelle, pour faire la lumière sur les « pressions » potentiellement subies par les jurés. Le juge Daniel Royer a toutefois refusé vendredi de se lancer dans cette « partie de pêche » de la défense.

La barre est très élevée pour qu’un juge mène une telle enquête après le procès. Il faut qu’un crime ait été commis par un juré pendant les délibérations ou qu’il y ait des allégations sérieuses d’interventions externes au jury. Or, ce n’est pas le cas ici, selon le juge.

Dans leurs lettres – gardées secrètes –, les trois jurés affirment avoir subi de la « pression » pendant leurs délibérations. La nature de cette pression n’a toutefois pas été révélée. Deux jurés ont aussi dévoilé que certains jurés avaient des rendez-vous dans les jours suivant le début de leurs délibérations et qu’ils étaient ainsi pressés de rendre un verdict.

« S’ils ont senti qu’ils étaient forcés ou contraints de rendre un verdict et qu’ils ont maintenant des problèmes psychologiques, c’est très sérieux. S’ils ont été intimidés et menacés au point de souffrir psychologiquement, c’est une sorte de voies de fait », a plaidé vendredi l’avocat de la défense MAlan Guttman.

Selon le juge, les allégations des jurés ne permettent pas de conclure à la commission d’un acte criminel. De plus, la preuve est « mince » [tenuous] concernant les rendez-vous des jurés.

Le juge rappelle qu’une demande le remboursement d’aide psychologique n’est « pas inusitée ».

« Le fait qu’il y ait trois demandes différentes ne signifie pas que ce qui s’est passé dans la salle des délibérations était inapproprié. Ça pourrait aussi bien être relié aux circonstances très difficiles du crime », a conclu le juge Royer.

En effet, la vidéo du meurtre a été présentée des dizaines de fois au jury pendant le procès.

Notons que c’est seulement depuis 2022 que le Parlement canadien a modifié la loi pour permettre aux jurés de révéler le secret des délibérations dans le cadre d’un traitement médical ou psychologique. Il était auparavant interdit pour un juré d’en parler à quiconque, malgré l’horreur vue dans certains procès.

Par ailleurs, c’est le shérif – l’employé responsable de convoquer le jury – qui a indiqué aux jurés d’adresser leur lettre au juge. Les jurés n’ont donc pas écrit au juge de leur propre chef.

« Cela rend improbable que les jurés aient été victimes d’un comportement criminel », analyse le juge.

D’autre part, les « regrets » exprimés par les jurés dans leurs lettres font aussi partie du secret de leurs délibérations, rappelle le juge. « Cela fait partie des délibérations si un juré s’est senti contraint [bully] et regrette maintenant son verdict. Un juge ne doit pas mener une enquête basée sur l’insatisfaction d’un juré », analyse le juge.

Cette décision ne met toutefois pas fin à l’affaire. La Cour d’appel du Québec devra maintenant déterminer, dans un an ou deux, si un nouveau procès devra être tenu en raison de ces lettres ou pour d’autres motifs.

MPhilippe Vallières-Roland et MGeneviève Bélanger ont représenté le ministère public.