La Cour supérieure entendra la semaine prochaine une requête destinée à suspendre la demande d’action collective déposée par des joueurs qui allèguent avoir été victimes d’abus dans le hockey junior québécois.

Ce qu’il faut savoir

  • Une action collective a été déposée en mai dernier contre la Ligue canadienne de hockey, la LHJMQ et ses 18 équipes, au nom de victimes d’abus dans le hockey junior.
  • En Ontario, des procédures judiciaires sont encore en cours à la suite du rejet d’une demande d’action collective en février 2023.
  • Au Québec, les ligues et les équipes visées réclament maintenant une suspension de la demande d’action collective, en attendant le dénouement de l’affaire en Ontario.

La Ligue canadienne de hockey (LCH), la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ) et les 18 équipes du circuit québécois s’adressent aux tribunaux pour que la demande d’action collective les visant dans la province soit suspendue jusqu’à l’été. Les défendeurs souhaitent que l’examen de cette demande soit interrompu le temps qu’une autre démarche judiciaire suive son cours en Ontario.

En mai dernier, une demande d’action collective a été déposée à Montréal au nom de « tous les joueurs de hockey qui ont subi des abus, alors qu’ils étaient mineurs et évoluaient » dans la LHJMQ depuis 1969. Le requérant principal, Carl Latulippe, affirme avoir subi de la violence, de l’intimidation et des agressions pendant ses brefs passages chez les Saguenéens de Chicoutimi et les Voltigeurs de Drummondville au milieu des années 1990.

Son histoire, d’abord rapportée dans La Presse, s’inscrivait dans une série de révélations sordides, faites l’hiver et le printemps derniers, en lien, notamment, avec des activités d’initiation au hockey junior. La population et la classe politique ont été choquées partout au pays, mais c’est au Québec que les impacts ont été les plus importants : commissaire de la LHJMQ depuis 37 ans, Gilles Courteau a remis sa démission après avoir été la cible d’un barrage de critiques pour sa gestion du dossier.

Ces histoires ont été mises au jour principalement après qu’un juge ontarien eut rejeté, en février 2023, une gigantesque demande d’action collective menée par trois ex-joueurs, dont le plus connu est Daniel Carcillo. Cette demande couvrait une période de presque 50 ans et impliquait quelque 15 000 joueurs.

Malgré ce rejet, le dossier suit son cours. En effet, loin de la lunette médiatique, cette affaire continue d’occuper les tribunaux ontariens depuis maintenant 10 mois et pourrait avoir une incidence directe sur l’action québécoise.

La LCH ainsi que la LHJMQ et ses 18 équipes réclament ainsi que la Cour supérieure du Québec interrompe « temporairement la mise en état » de la demande, et ce, jusqu’au 26 juillet 2024. D’ici à cette date, les victimes potentielles d’abus dans le hockey junior québécois pourront « se prévaloir du processus d’accès à la justice confectionné pour eux dans le cadre du dossier Carcillo » en Ontario, souligne-t-on dans la requête obtenue par La Presse. Ce « processus » a été établi à la fin du mois d’octobre.

La cause sera entendue le mercredi 6 décembre à Québec.

Processus

En février 2023, après avoir rejeté la demande d’action collective dans le « dossier Carcillo », le juge Paul Perell a suggéré aux plaignants de recourir à des actions individuelles contre les ligues ou les équipes. Il leur donnait 120 jours pour lui soumettre un plan d’action.

En juin, les plaignants ont donc soumis un « protocole concernant les enjeux individuels » assorti d’un plan pour recruter des victimes d’abus à la grandeur du pays. Cinq audiences ont eu lieu, pendant l’été et au début de l’automne, au sujet de ce qui a été rebaptisé le « Section 7 Plan ».

Le 30 octobre, le juge Paul Perell a rendu un jugement final sur le « Section 7 Plan ». Celui-ci prévoit notamment une période de 270 jours – jusqu’au 26 juillet 2024 – au cours de laquelle les victimes potentielles de partout au Canada pourront se joindre à des actions individuelles centralisées en Ontario.

« Le plan élaboré dans le dossier Carcillo représente […] le fruit d’un travail considérable de la part du tribunal et des parties afin de conférer une voie d’accès à la justice novatrice et efficace aux joueurs », écrit le cabinet Fasken Martineau, au nom de la LCH, de la LHJMQ et de ses 18 équipes, dans sa requête visant la suspension de la demande d’action québécoise.

Aux yeux des défendeurs, la démarche québécoise est prématurée et « cherche, sans explication, à créer une voie judiciaire parallèle » à la démarche ontarienne, qui pourrait par ailleurs inclure les victimes du Québec.

Elle est également susceptible de créer, toujours selon eux, une « confusion » pour les victimes et d’entraîner « une utilisation peu efficiente des ressources judiciaires ».

Dans le camp des plaignants, on n’est pas de cet avis. Carl Latulippe estime que « le recours collectif reste la meilleure voie pour se faire entendre par les tribunaux au Québec ». Il explique « ne pas être intéressé » par la proposition de se joindre aux procédures en Ontario. « On a le système de justice ici au Québec pour suivre ça », insiste-t-il. La demande d’action collective québécoise est présentée par le cabinet Kugler Kandestin.

En Ontario non plus, la voie de l’action collective n’est pas encore totalement écartée. Insatisfait de la plus récente décision du juge Paul Perell, le groupe de Daniel Carcillo a dénoncé le « Section 7 Plan », arguant qu’il différait « grandement » de ses suggestions initiales et qu’il n’offrait pas, à ses yeux, « un accès suffisant à la justice » aux victimes. Le groupe a donc convenu, le 13 novembre dernier, de demander la suspension du « Section 7 Plan » et d’interjeter appel de la décision de février en faisant valoir de nouveau la pertinence d’une action collective globale.

Ce rebondissement ne change toutefois pas la position de la LCH, de la LHJMQ et de ses équipes dans le dossier au Québec.

L’affaire en six temps

Février 2023

Le juge Paul Perell, de la Cour supérieure de l’Ontario, rejette une demande d’action collective visant la Ligue canadienne de hockey (LCH), les trois grandes ligues de hockey junior majeur du pays ainsi que 60 équipes. Dans sa décision, il décrit les abus physiques, sexuels et psychologiques qu’ont subis de jeunes joueurs, notamment dans le cadre d’activités d’initiation. Le juge propose aux victimes de recourir à des actions individuelles contre les équipes et les ligues.

Février et mars 2023

Une commission parlementaire de l’Assemblée nationale du Québec se penche sur le dossier des initiations dans la LHJMQ. Le commissaire de la LHJMQ, Gilles Courteau, assure qu’« aucun cas rapporté » auprès de la Ligue n’était « similaire » aux actes violents décrits par le juge Paul Perell. Différents médias, dont La Presse, notent des incohérences dans son témoignage. Le 5 mars, après 37 ans en poste, M. Courteau démissionne.

Avril 2023

La Presse révèle l’histoire de Carl Latulippe, un ex-joueur de la LHJMQ qui affirme avoir été victime de violence et d’intimidation chez les Saguenéens de Chicoutimi. En Ontario, le groupe de Daniel Carcillo interjette appel du rejet de sa demande d’action collective. Ce processus est toutefois suspendu pendant que les plaignants élaborent, à la suggestion du juge Paul Perell, un plan d’actions individuelles.

Mai 2023

Une demande d’action collective, dont le principal requérant est Carl Latulippe, est déposée à Montréal contre la Ligue canadienne de hockey, la LHJMQ et ses 18 équipes, au nom de « tous les joueurs de hockey qui ont subi des abus, alors qu’ils étaient mineurs et évoluaient » dans la LHJMQ depuis 1969.

Octobre 2023

Le juge Paul Perell rend un jugement final sur le « Section 7 Plan », protocole selon lequel des victimes de partout au Canada ont jusqu’en juillet 2024 pour se joindre à des actions individuelles centralisées en Ontario.

Novembre 2023

Insatisfait de la proposition du juge, le groupe de Daniel Carcillo relance son processus d’appel sur la décision initiale de février 2023. Au Québec, la LCH, la LHJMQ et ses 18 équipes s’adressent à la Cour supérieure pour suspendre l’examen de la demande d’action collective déposée en mai d’ici à ce que le dossier soit réglé en Ontario.