Empêtré dans une épineuse négociation avec les profs et les employés de l’État, le gouvernement voit maintenant les juges administratifs lui lancer un ultimatum et réclamer d’importantes bonifications salariales. Ils menacent de se tourner vers les tribunaux pour préserver leur indépendance judiciaire et évoquent des moyens de pression.

Ce qu’il faut savoir

  • Les 400 juges administratifs lancent un ultimatum à Québec pour reprendre les négociations.
  • Les juges menacent de poursuivre le gouvernement pour préserver leur indépendance judiciaire.
  • Ils réclament un régime de négociation spécial pour fixer leur rémunération.

« Nous avons bien compris que la réforme maintes fois promise n’aura pas lieu […] La patience de nos membres a donc maintenant atteint le point de rupture », s’exaspèrent les représentants des juges administratifs dans une lettre obtenue par La Presse envoyée le 7 novembre 2023 à la négociatrice en chef du gouvernement. La lettre est signée par les présidents des quatre associations des juges administratifs*.

Moins connus que les juges de la Cour du Québec ou de la Cour supérieure, les 400 juges administratifs de 16 organismes et tribunaux entendent des dizaines de milliers de causes de particuliers par année, que ce soit en matière de logement, de travail, de transport, de protection agricole ou d’accès à l’information.

Or, malgré leur rôle important, les juges administratifs touchent à peine plus de la moitié du salaire d’un juge de la Cour du Québec (169 500 $ contre 310 000 $). C’est environ le même salaire qu’un procureur d’expérience du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP).

Ils n’ont droit ni à l’arbitrage ni à la grève et ne sont pas régis par le Code du travail.

C’est pourquoi les juges administratifs réclament un régime de négociation propre à leur réalité, à l’instar des juges de droit commun et des procureurs du DPCP, ainsi qu’un mode de règlement des différends. En ce moment, leur rémunération est simplement liée par décret aux augmentations accordées aux cadres de l’État.

« C’est incompatible »

« Si on n’a pas un régime de négociation de ce type, il faut négocier avec le gouvernement notre rémunération, alors que les juges administratifs, leur fonction première, c’est de décider des litiges entre l’État et les justiciables. Tu ne peux pas négocier tes conditions avec une partie qui est devant toi tous les jours. C’est incompatible », explique en entrevue Daniel Pelletier, président de la Conférence des juges administratifs du Québec, l’un des signataires de la lettre.

Dans la missive, les juges administratifs déplorent que le gouvernement n’ait déposé aucune « proposition concrète » ce printemps, malgré une dizaine de rencontres d’un comité mixte mis sur pied en avril dernier.

Ce comité « exploratoire » devait formuler des recommandations quant aux conditions de nomination, ainsi que revoir la classification et la rémunération des juges.

Or, au terme de ces rencontres, Québec a invité les associations des juges à retourner discuter avec le Secrétariat des emplois supérieurs. Une proposition jugée « inacceptable » par les associations de juges administratifs, alors prêts à poursuivre le gouvernement. Leur procureur, l’ex-premier ministre MLucien Bouchard, les a toutefois convaincus d’accorder une « dernière chance » à la négociation.

Les juges administratifs accordent ainsi jusqu’au 30 novembre au gouvernement pour reprendre les négociations et déposer une offre en décembre. Dans le cas contraire, ils envisagent de saisir les tribunaux pour faire « reconnaître leur droit d’association et leur droit à la reconnaissance d’un régime permettant de déterminer leur rémunération ».

« Aucun autre délai ne sera accordé au-delà du 30 novembre. Nous vous soulignons que nous discutons actuellement de la rémunération de nos membres pour la période 2020 à 2023 alors que tout le secteur public discute des conditions de travail de leurs membres pour la période 2023-2026. Nos membres n’accepteront pas un autre report de ces discussions », conclut la lettre.

Le Conseil du trésor a refusé notre demande d’entrevue.

« Des travaux importants ont été effectués au printemps dernier avec les membres des organismes administratifs. Le gouvernement du Québec mène actuellement des travaux avec tout le sérieux qu’il se doit et fera un retour aux membres des organismes administratifs dans les meilleurs délais, toutefois, en raison de la confidentialité des discussions, nous ne n’émettrons pas d’autres commentaires », a indiqué par courriel une porte-parole.

* Conférence des juges administratifs du Québec, Association des juges administratifs du Tribunal administratif du Travail, Association des juges administratifs du Tribunal administratif du Québec et Association des juges administratifs du Tribunal administratif du logement