Le manque de main-d’œuvre impose une solution radicale à l’hôpital de Rivière-Rouge : les urgences s’apprêtent à fermer leurs portes de 20 h à 8 h. Les patients devront dorénavant parcourir plusieurs dizaines de kilomètres pour se rendre dans d’autres hôpitaux des Laurentides, déjà parmi les plus achalandés de la province.

Selon nos informations, les maires de la région ont été informés de la réduction des heures d’ouverture du service des urgences le 10 novembre dernier, lors d’une rencontre virtuelle avec le CISSS des Laurentides et la députée locale. Seuls quelques fils restent encore à attacher, comme l’embauche d’un « médecin-dormeur » et le salaire qu’il touchera. La présence d’un « médecin-dormeur » au Centre multiservices de Rivière-Rouge est une condition sine qua non au maintien de la quinzaine de lits dans le service des hospitalisations de courte durée.

« C’est catastrophique ! C’est terrible ! », laisse tomber l’urgentologue Valérie Homier, « médecin dépanneur » qui donne du renfort à l’hôpital de Rivière-Rouge de deux à quatre fois par mois. Des collègues l’ont récemment informée du changement d’horaire à venir.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Valérie Homier, urgentologue, donne du renfort à l’hôpital de Rivière-Rouge de deux à quatre fois par mois.

« Les patients vont devoir faire une heure de route, même plus s’il y a du mauvais temps ou du trafic », déplore la Dre Homier. « Est-ce que ça fera en sorte que des patients ne se plaindront pas trop et attendront le lendemain pour conduire à la clarté et pour consulter ? Ça risque d’amener des gens dans des états beaucoup plus graves », croit l’urgentologue qui travaille aussi à temps plein dans un grand centre hospitalier de Montréal.

Les deux hôpitaux les plus proches de Rivière-Rouge se trouvent à Mont-Laurier et à Sainte-Agathe, respectivement à 60 km et 80 km. Jeudi, les urgences du premier figuraient en tête des hôpitaux de la province pour l’achalandage, avec un taux d’occupation des civières de 240 %. Le centre multiservices de Sainte-Agathe se trouvait non loin derrière avec un taux de 178 %.

Déjà une pénurie à l’automne 2022

Marc L’Heureux, président de la Coalition Santé Laurentides, s’inquiète de la diminution de l’offre de soins dans la région, mais comprend la décision du CISSS. « Le CISSS n’avait pas le choix. À un moment donné, on est devant une évidence : il n’y a pas suffisamment de personnel. Le statu quo n’était plus possible », souligne celui qui est préfet de la MRC des Laurentides.

M. L’Heureux confirme que le CISSS a informé son organisme, il y a une dizaine de jours, de la réduction des heures d’ouverture des urgences de 24 heures à 12 heures par jour. Lui aussi a été informé que seuls quelques détails administratifs restent à peaufiner avant une annonce officielle.

Ils n’ont pas le choix de prendre cette décision, sinon l’hôpital sera continuellement en rupture de service. Des bris vont finir par arriver le jour et des gens vont se cogner le nez [à des portes closes].

Marc L’Heureux, président de la Coalition Santé Laurentides

« Ils n’avaient pas le choix de revoir les manières de faire », dit M. L’Heureux, rappelant que des médecins de cet hôpital ont fait une sortie publique pour dénoncer le manque de main-d’œuvre à l’automne 2022.

Aux questions de La Presse, le CISSS répond qu’aucune décision n’a encore été prise concernant la fermeture des urgences la nuit. Le CISSS confirme toutefois qu’un réaménagement de l’horaire est à l’étude pour contrer le problème de pénurie de personnel.

« Nous avons la conviction qu’une éventuelle réorganisation nous permettra de continuer à offrir à la population locale des soins sécuritaires et de grande qualité, comme elle y a droit, selon un modèle basé sur ses besoins », explique Hugo Morissette, porte-parole du CISSS des Laurentides.

« Les emplois en grande pénurie dans ce secteur plus éloigné de la métropole, donc avec de plus grands défis de recrutement, sont entre autres le personnel infirmier, les inhalothérapeutes et les technologues en imagerie médicale », précise-t-il. « Nous tenons à confirmer que toute éventuelle réorganisation des services d’urgence prévoirait évidemment des modalités concernant les services préhospitaliers d’urgence ainsi que de multiples corridors de services », ajoute M. Morissette, dans un courriel.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux s’est pour sa part contenté de dire que des discussions sont en cours avec la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec et que « les résultats de ces discussions seront annoncées sous peu ».

6,1 visites par nuit

Dans la dernière année, le service des urgences du Centre multiservices de Rivière-Rouge a accueilli quotidiennement en moyenne 6,1 patients entre 20 h et 7 h.

« On se fait dire qu’il y a peu d’achalandage à l’urgence de Rivière-Rouge la nuit, mais il y a quand même du monde. Il va aller où maintenant, ce monde-là ? C’est ça qui est inquiétant », s’attriste M. L’Heureux, de la Coalition Santé Laurentides.

Il déplore le manque récurrent de financement dans la région. Après Rivière-Rouge, est-ce que l’hôpital de Lachute, qui manque aussi de techniciens en radiologie, devra réduire ses heures d’ouverture, se demande-t-il.

On a atteint un mur à Lachute au printemps dernier, on atteint un mur à Rivière-Rouge, mais ce sont des murs qu’on avait prédits il y a trois ans quand la coalition est née.

Marc L’Heureux, président de la Coalition Santé Laurentides

« C’était prévisible. Dans les Laurentides, l’augmentation de la population est deux fois plus grande que la moyenne québécoise », explique M. L’Heureux.

Le DGilbert Boucher, président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec, croit que la fermeture des urgences la nuit sera « très difficile pour la population ». Cette solution est tout de même préférable à des fermetures « spontanées des soirs ou des nuits sans avertir la population », explique le médecin qui a été informé de la fermeture partielle à venir du service à Rivière-Rouge.

« C’est toujours désolant de voir ça, parce que ça veut dire qu’il va y avoir plus de pression sur les autres centres, et on sait que dans les Laurentides, ce n’est pas facile », affirme le DBoucher.

Avec la collaboration d’Alice Girard-Bossé, La Presse