Un couple de l’ouest de l’île de Montréal a été arrêté aux États-Unis mardi et accusé d’avoir organisé un réseau névralgique d’approvisionnement de la machine de guerre russe. Selon les autorités, les composants électroniques exportés illégalement par le duo ont été retrouvés sur le champ de bataille ukrainien dans des chars d’assaut, des missiles, des hélicoptères et d’autres équipements russes.

Ce qu’il faut savoir 

  • Un couple du Québec fait face à de graves accusations aux États-Unis pour avoir alimenté l’armée russe en composants électroniques de pointe.
  • Selon les enquêteurs américains, Nikolay Goltsev approvisionne l’armée russe depuis une douzaine d’années.
  • Les suspects faisaient partie des plus gros exportateurs de circuits intégrés vers la Russie, selon la poursuite.

« Il est allégué que les défendeurs ont exporté illégalement pour des millions de dollars de composants électroniques pour soutenir le Kremlin dans son attaque en cours contre l’Ukraine », a déclaré Ivan J. Arvelo, un responsable du département de la Sécurité intérieure des États-Unis.

« En l’espace d’un an, cette organisation criminelle a contourné les sanctions et les lois des États-Unis, et réussi à envoyer plus de 300 livraisons d’articles à exportation restreinte, d’une valeur estimée d’environ 10 millions de dollars, vers le champ de bataille russe », a-t-il ajouté dans un communiqué.

Nikolay Goltsev et Kristina Puzyreva, un couple de Sainte-Anne-de-Bellevue qui a la double nationalité russe et canadienne, ont été arrêtés dans un hôtel de Manhattan mardi matin. Les autorités ont saisi 20 000 $ en argent comptant sur eux. Ils risquent maintenant une peine de cinq à six ans de prison s’ils sont reconnus coupables.

Un homme soupçonné d’être le complice du couple, un résidant de Brooklyn qui possède la double nationalité russe et tadjike, a aussi été arrêté et des dizaines de boîtes de semiconducteurs et d’autres composants électroniques ont été saisies chez lui.

PHOTO DÉPOSÉE EN COUR PAR LA POURSUITE

Boîtes saisies chez un résidant de Brooklyn soupçonné d’être un complice du couple

Relation de longue date

Dans les documents judiciaires déposés au tribunal par la justice américaine, Nikolay Goltsev est décrit comme ayant une relation de « longue date » avec ses contacts en Russie. L’homme de 37 ans aurait approvisionné l’armée russe pendant plus de 12 ans, selon les enquêteurs américains.

Selon la déclaration sous serment d’un agent fédéral américain déposée en cour à Brooklyn, Goltsev recevait les commandes de ses contacts russes et utilisait deux entreprises-écrans établies à New York pour acheter les pièces convoitées auprès de fournisseurs américains. Lors de ses achats, il utilisait de faux noms : il s’agissait de ses « pseudonymes créatifs », a-t-il expliqué à un complice dans une communication interceptée par les enquêteurs.

Goltsev, qui travaillait autrefois pour une entreprise de composants électroniques montréalais, a expliqué dans un autre courriel intercepté qu’il devenait difficile de mener ses affaires au Canada et qu’il serait peut-être plus facile de tout faire à partir des États-Unis.

Selon l’enquête, les composants achetés par les suspects, notamment des circuits intégrés de pointe, étaient d’abord exportés vers la Turquie, Hong Kong, l’Inde, la Chine et les Émirats arabes unis, à l’aide d’une documentation falsifiée, puis étaient redirigés vers la Russie, en contravention des sanctions qui interdisent d’y envoyer du matériel à usage militaire.

Les suspects faisaient partie des plus gros exportateurs de circuits intégrés vers la Russie, avec des livraisons d’une valeur de plus de 7 millions américains. La Russie, qui ne produit pas localement ces composants névralgiques et qui n’a pas accès à un nombre suffisant de fournisseurs, cherche activement des fournisseurs depuis le début de l’invasion de l’Ukraine.

Des découvertes sur le champ de bataille

Toujours selon la déclaration sous serment de l’enquêteur américain, les pièces du même modèle et de la même origine que celles exportées par les suspects ont été retrouvées dans du matériel militaire saisi aux Russes en Ukraine.

La matériel militaire russe dans lequel ces composants ont été retrouvés

• Chars T-72B

PHOTO NICOLE TUNG, NEW YORK TIMES

• Hélicoptères Ka-52

PHOTO DU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE DE RUSSIE, FOURNIE PAR L’ASSOCIATED PRESS

Un hélicoptère Ka-52

• Missiles guidés Izdeliye 305E

PHOTO TIRÉE DE WIKIPÉDIA

Un missiles guidé Izdeliye 305E

• Drones Orlan-10

PHOTO TIRÉE DE WIKIPÉDIA

Un drone Orlan-10

• Dispositif de guerre électronique mobile Borissoglebsk 2

PHOTO TIRÉE DE WIKIPÉDIA

Un dispositif de guerre électronique mobile Borissoglebsk 2

La poursuite allègue que le couple résidant au Québec visitait souvent New York, où Kristina Puzyreva multipliait les dépôts de sommes importantes en argent comptant dans des comptes bancaires américains. Les fonds étaient ensuite redirigés vers les comptes bancaires du couple au Canada.

Les affaires étaient florissantes, selon les enquêteurs. Mme Puzyreva, qui affichait pourtant sur son profil Facebook sa sympathie envers l’Ukraine, se réjouissait en privé de voir les millions de dollars payés par les clients russes du couple. « Nous allons devenir riches ! », se réjouissait-elle dans un message intercepté.

Les enquêteurs disent avoir intercepté plusieurs autres messages où les suspects s’inquiètent de se faire prendre et montrent clairement qu’ils savent que leur commerce est illégal. À un certain moment, l’un d’eux s’inquiète de voir le gouvernement ukrainien dénoncer le fait que ses soldats se font bombarder à l’aide de matériel importé des États-Unis, ce qui pourrait pousser les autorités américaines à déclencher de nouvelles enquêtes.

Selon la poursuite, Goltsev a aussi envoyé un message à un complice le 23 février dernier, alors que la Russie célébrait le « Jour du défenseur de la Patrie ».

« Nous la défendons comme nous le pouvons », a-t-il écrit avec un émoji souriant.

PHTO TIRÉE DE FACEBOOK

Kristina Puzyreva et Nikolay Goltsev

Peu de détails sur leur vie au Québec

On sait peu de choses sur le couple Goltsev-Puzyreva jusqu’ici. Lors de l’achat de leur maison à Sainte-Anne-de-Bellevue, en 2015, ils ont déclaré s’être mariés au Québec l’année même. Goltsev a déjà travaillé pour une entreprise de composants électroniques de l’arrondissement de Saint-Laurent, Electronic Network. L’entreprise a été sanctionnée par le gouvernement américain en lien avec l’exportation de pièces vers la Russie l’hiver dernier.

Juergen Mayr, l’un des copropriétaires de l’entreprise, a assuré à La Presse mercredi qu’elle était désormais fermée et que Nikolay Goltsev n’y travaillait plus depuis de nombreuses années de toute façon. « Je n’ai pas envie d’être associé à lui », a-t-il déclaré.

Les procureurs fédéraux américains ont demandé que les deux membres du couple restent détenus d’ici leur procès de crainte qu’ils ne prennent la fuite, car il leur suffit d’entrer dans une mission diplomatique russe pour devenir hors d’atteinte de la police. Ils disposent aussi d’un réseau de contacts international et de ressources financières qui pourraient faciliter leur fuite, selon la poursuite.