Une femme annonce sa grossesse à son conjoint. Furieux, il prend son revolver et tire près d’elle. « T’es-tu sûre que tu veux pas avorter ? », la menace-t-il. Quand la victime porte plainte, c’est la surprise. L’homme avait loué l’arme à une connaissance, retrouvée morte d’une balle dans la tête dans des circonstances nébuleuses.

Dans cette affaire de violence conjugale « extrême » et de trafic d’armes à feu, Albano Pierre a été reconnu coupable à une quinzaine de chefs d’accusation mercredi au palais de justice de Montréal, dont de nombreux chefs reliés aux armes à feu. Il a été acquitté de harcèlement criminel.

Début 2021. Albano Pierre fréquente Vanessa* depuis plusieurs mois. Le Montréalais de 32 ans ne se sépare jamais de son arme à feu – illégale – et la porte en tout temps dans son sac de type « man purse » de marque Louis Vuitton. Pierre laisse souvent traîner le revolver dans son appartement.

Vanessa n’est aucunement importunée par la présence de l’arme à feu. Même qu’en janvier 2021, elle enregistre une vidéo où elle empoigne le revolver. Voulait-elle menacer Pierre, faire le trafic de l’arme ou se vanter sur les réseaux sociaux ? On l’ignore. Cela dit, cette vidéo va s’avérer cruciale pour les policiers.

Le 16 février 2021, Vanessa annonce à Albano Pierre qu’elle est enceinte et qu’elle veut garder l’enfant. L’homme y est fermement opposé. Il est dans tous ses états. Il prend son revolver et le braque dans la direction de Vanessa et fait feu. La preuve révélera que le coup a été tiré très loin de la victime, vers la cuisine.

La femme panique. Albano Pierre pointe à nouveau l’arme vers Vanessa. « T’es-tu sûre que tu veux pas avorter ? », menace-t-il. Apeurée, la femme lui dit qu’elle se fera avorter (elle ne le fera pas) pour le calmer. Elle se réfugie ensuite dans un centre d’hébergement pour femmes battues.

Cinq jours plus tard, Marly Édouard, une agente d’artistes d’origine haïtienne, est retrouvée morte à Laval dans un stationnement près de son condo. La femme de 32 ans a reçu une balle à la tête. Un revolver de calibre .22 est retrouvé près du corps.

PHOTO D’ARCHIVES TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK DE MARLY ÉDOUARD

Marly Édouard

Coup de théâtre : cette arme à feu est celle utilisée par Albano Pierre pour forcer sa conjointe à se faire avorter. Le procès a révélé que l’accusé avait « loué » son arme à feu 800 $ à Marly Édouard (Marylie Édouard dans le jugement). Elle cherchait à se protéger contre un ex-conjoint violent, selon Vanessa. La Presse écrivait à l’époque que Marly Édouard avait porté plainte pour menaces de mort contre un homme.

Aujourd’hui, la Sûreté du Québec indique que l’enquête sur la mort de Marly Édouard est terminée. « Il n’y a pas d’infractions criminelles », a déclaré à La Presse une porte-parole de la SQ. Au procès, Vanessa a indiqué qu’une voisine lui avait dit qu’il s’agissait d’un suicide.

Selon le récit de Vanessa, Albano Pierre est devenu craintif lorsque Marly Édouard a cessé de répondre à ses messages après le prêt de l’arme à feu. L’accusé et la victime sont donc retournés à l’appartement de la femme, mais ont aperçu les policiers stationnés près des lieux. La vidéo faite par Vanessa a ultimement permis de relier l’arme aux deux crimes.

Pas besoin d’une victime parfaite

Vanessa était loin d’être une victime parfaite, bien au contraire. Le juge Dennis Galiatsatos ne l’a « carrément » pas crue sur certains points. Par exemple, son témoignage n’est pas crédible lorsqu’elle parle du prêt de l’arme à Marly Édouard. Cela laisse croire au juge qu’elle était davantage impliquée dans cette affaire.

Même si le juge entretient des « réserves sérieuses » sur la crédibilité de la victime, il retient son témoignage « crédible » sur l’épisode de « violence extrême ». Le récit de Vanessa rend improbable, selon le juge, qu’elle soit elle-même l’auteure du coup de feu, comme l’a suggéré la défense.

« Le fait d’avoir eu en sa possession une arme chargée, le fait d’avoir volontairement gravité dans un milieu criminel et le fait d’avoir assisté son conjoint dans la location du revolver ne privent pas [la victime] du droit d’être protégée contre la violence aux mains de son conjoint », affirme le juge.

Les observations sur la peine auront lieu dans les prochaines semaines. Albano Pierre risque d’être expulsé du Canada en raison de son statut migratoire s’il écope d’une peine de plus de six mois de détention. Il risque probablement plusieurs années de prison pour de tels crimes.

MJeanne Gagné et MSylvie Dulude ont représenté le Directeur des poursuites criminelles et pénales, alors que MJulien Montpetit a défendu l’accusé.

* Nom fictif