« C’est révoltant ! Cet enfant a été abandonné par le système », s’insurge en entrevue Me Alain Roy, professeur de droit à l’Université de Montréal et sommité en matière de droit de l’enfant et de droit de la famille.

Le cas d’Ève* est très complexe. Des centaines de pages de rapports d’experts et de notes d’intervenants de la DPJ consultés par La Presse brossent le portrait d’une enfant si explosive que ni ses parents ni la DPJ ne semblent en mesure de la stabiliser et d’améliorer son état de façon significative. Que faire dans un tel cas ?

Sous ses airs angéliques, Ève éclate parfois comme un volcan. Un volcan incontrôlable. Dès sa petite enfance, ses crises sont monumentales. À 8 ans, les policiers se prennent déjà à deux pour la contenir pendant une crise. « L’enfant est très violent physiquement », résume un rapport policier.

Sa mère, Nancy*, une travailleuse de la santé, se bat depuis des mois pour récupérer la garde de sa fille aînée. Elle reproche à la DPJ des Laurentides d’avoir aggravé l’état de sa fille en minimisant les conséquences d’une agression sexuelle et en la transférant à répétition.

« Ils la trimballent. Ça fait huit fois qu’elle change d’endroit ! », s’insurge Nancy. « Ma fille a besoin d’aide », lance celle qui conserve la garde de la petite sœur d’Ève.

L’état d’Ève « se détériore de plus en plus », se désole son père, Steve*, séparé de Nancy. « C’est la détresse. Beaucoup, beaucoup de détresse de sa part », lâche-t-il, abattu. « Quand on la voit, elle pète des coches, parce qu’elle veut revenir chez nous. Elle ne veut plus être là », explique Steve.

La DPJ des Laurentides a refusé de commenter le dossier en raison des règles de confidentialité en protection de la jeunesse.

Menaces, agressions et blessures

Dès son jeune âge, Ève parle de tuer sa petite sœur. Elle menace son père avec un couteau et tient des propos suicidaires. À tout moment, elle peut exploser. Ses parents cognent à toutes les portes pour obtenir de l’aide : médecins, neuropsychologue, CLSC, coach familial.

Les diagnostics sont nombreux : syndrome de Gilles de la Tourette, trouble d’opposition avec provocation, trouble de l’attachement, trouble disruptif de dysrégulation de l’humeur, etc.

Malgré leurs démarches, les parents d’Ève sont au bout du rouleau. Leur santé mentale vacille sérieusement. Deux signalements à la DPJ pour négligence ne sont pas retenus en mars 2019 et en janvier 2020. « Il s’agit davantage d’un besoin d’aide que de protection », conclut la DPJ, « rassuré » par le suivi de la fillette au CSSS.

Mais en mars 2021, Ève présente des ecchymoses inexpliquées sur le corps et a un bras cassé. La DPJ retient des signalements pour négligence sur le plan éducatif et abus physiques. « Les parents ne seraient pas sécurisants pour la jeune », conclut la DPJ. L’intervenant note aussi un épisode où le beau-père aurait été violent à l’égard de l’enfant. En entrevue, l’homme nie fermement ces allégations.

Quand elle est en crise, Ève frappe, crache, mord, griffe et pince, résume un rapport de la DPJ. En avril 2021, une juge ordonne l’hébergement d’Ève en centre de réadaptation considérant « l’ampleur des crises de l’enfant […] depuis un long moment ».

Au centre, Ève est déchaînée et frappe à de multiples reprises les agents du centre.

Elle se cogne la tête contre le mur à d’innombrables reprises et s’étrangle elle-même jusqu’à devenir rouge.

« C’est plus fort qu’elle, elle veut se faire mal, elle doit se faire mal », écrit un intervenant. La fillette de 9 ans affiche également des comportements sexuels problématiques.

« Quand m’a être grande, m’a revenir au centre et tuer tout le monde, même les enfants, avec un fusil », dit-elle aux intervenants.

Son retour à la maison, à l’été 2021, est tout aussi explosif. La police finit par intervenir, alors qu’elle tente d’étrangler sa mère. C’est attaché sur une civière que l’enfant de 9 ans est transportée à l’hôpital. À l’automne 2021, Ève tente de se suicider en se lançant devant une voiture en face de l’école.

La DPJ demande alors que l’enfant retourne en centre de réadaptation et reproche à la mère d’avoir « très peu de moyens sécurisants pour intervenir » et de ne pas les mettre en pratique pendant les crises. Épuisée, la mère n’est plus capable de gérer les crises de sa fille et demande à son tour de la confier à la DPJ.

En janvier 2022, une juge prolonge de neuf mois le placement et explique que les crises de l’enfant surviennent à la suite de la séparation de ses parents.

« Clairement, les parents sont attachés à leur fille et veulent ce qu’il y a de mieux pour elle », conclut la juge.

Pendant ce placement, l’état d’Ève ne va pas s’améliorer. Bien au contraire.