Traqué à travers le monde, un magnat des casinos soupçonné d’agir comme blanchisseur d’argent pour le cartel de Sinaloa au Québec a entrepris des démarches judiciaires pour forcer Ottawa à répondre rapidement à sa demande de citoyenneté canadienne.

La Presse a révélé mardi que Luftar Hysa, un homme d’affaires d’origine albanaise établi au Québec depuis 2003, est la cible d’enquêtes policières dans trois pays parce qu’il est soupçonné d’utiliser ses casinos et son entreprise de construction pour blanchir l’argent du cartel de Sinaloa, l’une des plus puissantes organisations criminelles au monde.

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Des documents de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) déposés au palais de justice de Montréal font notamment état de l’implication de Luftar Hysa dans un casino de la réserve mohawk de Kahnawake, pas très loin de la métropole.

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La GRC soupçonne Luftar Hysa d’utiliser le casino Magic Palace de Kahnawake pour blanchir l’argent de la drogue.

« Tout indique que Luftar Ali HYSA s’est infiltré dans la réserve indienne de Kahnawake pour faciliter les activités de blanchiment d’argent au nom du cartel mexicain de Sinaloa, ainsi que pour son propre compte », affirme une enquêteuse du corps policier dans une dénonciation sous serment consultée par La Presse. La policière mentionne aussi que l’Albanie a demandé officiellement l’aide du Canada pour enquêter sur M. Hysa et que les autorités mexicaines sont aussi sur ses traces, selon les médias mexicains.

Le document, présenté à une juge de paix, a permis de forcer deux banques à transmettre aux policiers les informations des comptes bancaires associés à M. Hysa.

Demande de citoyenneté rejetée en 2011

M. Hysa et ses avocats n’ont pas répondu aux questions de La Presse. L’an dernier, lorsque les médias albanais et mexicains ont fait état des soupçons qui pesaient sur lui, il a nié tout lien avec les cartels de la drogue.

Après avoir été placé sous le feu des projecteurs dans ces deux pays, l’homme d’affaires a toutefois pris des mesures pour solidifier sa position au Canada.

Sa femme et ses enfants détenaient déjà la citoyenneté canadienne, mais il avait vu sa demande de citoyenneté rejetée en 2011, parce qu’il ne passait pas assez de temps sur le sol canadien. M. Hysa avait tenté de plaider sa cause en prétextant qu’il devait souvent voyager pour les affaires et qu’il était très attaché au Canada, où il possède plusieurs entreprises.

« Mes affaires ont nécessité que je passe beaucoup de temps au Mexique », disait-il dans un document déposé à la Cour fédérale.

J’ai émigré d’un pays déchiré par les guerres, l’extrémisme politique et la corruption. Je souhaite être capable de voter et contribuer à un Canada fort, uni, prospère et paisible.

Luftar Hysa, dans un document déposé à la Cour fédérale

Un agent de la citoyenneté chargé de son dossier avait toutefois noté que l’homme d’affaires n’avait pas été parfaitement transparent dans sa demande. « Il n’a pas déclaré tous ses voyages. Il dit qu’il y en a trop », notait l’agent dans un rapport déposé à la cour.

Le juge de la citoyenneté Marcel Tremblay (frère de l’ancien maire de Montréal Gérald Tremblay) avait été peu ému par cet argument et avait rejeté la demande. La Cour fédérale avait confirmé la validité de ce refus, puisque M. Hysa avait été absent du pays pendant 1287 jours.

Le mois dernier, M. Hysa a toutefois présenté une nouvelle requête à la Cour fédérale, dans laquelle il révèle avoir fait une nouvelle demande de citoyenneté qui est en attente depuis janvier 2018 et pour laquelle il n’a jamais eu de réponse du gouvernement fédéral. Il demande à un juge de forcer les fonctionnaires du ministère de l’Immigration à rendre une décision dans son dossier, étant donné que les délais pour lui répondre sont « déraisonnables » et « dépassent largement les normes du ministère ».

La cour n’a pas encore tranché l’affaire.

Prudence de la classe politique

En attendant, les gouvernements demeurent prudents au sujet des soupçons de la police concernant Luftar Hysa. Le ministre fédéral de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, n’a pas voulu commenter les révélations de La Presse.

Le bureau du ministre québécois de la Sécurité publique, François Bonnardel, est demeuré prudent. « Les corps de police travaillent ensemble et de façon complémentaire pour lutter contre le crime organisé. Comme une enquête pourrait être en cours, nous allons limiter nos commentaires pour ne pas nuire au travail des policiers », précisait la déclaration transmise à La Presse.

Quant au ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuits, Ian Lafrenière, il juge important de ne pas s’ingérer dans le travail des policiers. « Moi, je ne me mêle pas des opérations. S’il y a enquête ou pas, je n’ai même pas à le savoir », a-t-il déclaré.

Avec la collaboration de Daniel Renaud, La Presse