(Québec) Léa Clermont-Dion a-t-elle commis une erreur de bonne foi en remettant aux policiers un enregistrement incomplet d’une conversation explosive avec la féministe Lise Payette, ou a-t-elle modifié une preuve pour « contrôler le message » ?

Cette question a occupé une bonne partie des débats jeudi au palais de justice de Québec devant la Cour d’appel. L’ex-journaliste Michel Venne, déclaré coupable d’agression sexuelle et d’exploitation sexuelle sur celle qui était alors sa stagiaire, conteste le jugement devant le plus haut tribunal au Québec.

« Tout indique que la preuve a été modifiée intentionnellement à de nombreuses reprises dans le but de contrôler un message », a lancé l’avocat de Venne, Nicholas St-Jacques, devant les trois magistrats.

MSt-Jacques a fait valoir que le juge de première instance aurait dû s’expliquer davantage dans son jugement sur cet aspect essentiel, qui selon lui affecte la crédibilité de la plaignante.

Les avocats de Michel Venne ont soulevé une dizaine de moyens d’appels jeudi, ce que n’a pas manqué de relever le procureur de la Couronne. « Si on a besoin de tirer dans tous les sens, c’est peut-être que le jugement est inattaquable », a remarqué MOlivier T. Raymond.

Rappelons que la documentariste et auteure Léa Clermont-Dion a raconté avoir subi des attouchements un soir d’août 2008. Elle avait 17 ans et était stagiaire à l’Institut du Nouveau Monde (INM), alors dirigé par Michel Venne qui avait, dans les mots de la plaignante, « l’âge de [son] père ».

Des années plus tard, en 2015, Lise Payette est intervenue auprès de la jeune femme. La première ministre d’État à la Condition féminine lui a demandé de signer une lettre pour blanchir Michel Venne. M. Venne convoitait alors le poste de directeur du journal Le Devoir. Les rumeurs de l’agression compromettaient ses chances.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

La documentariste Léa Clermont-Dion.

Deux ans plus tard, Léa Clermont-Dion a rappelé Lise Payette. Dans l’enregistrement de l’appel, on entend l’ancienne ministre, décédée depuis, dire qu’elle lui avait fait signer la lettre pour préserver la carrière de la jeune femme et protéger la famille de M. Venne.

L’enregistrement de cet appel de 22 minutes avait occupé de longues heures du premier procès. C’est que la première version remise aux policiers par Mme Clermont-Dion durait 11 minutes. La plaignante avait retrouvé la version intégrale lors de l’enquête préliminaire, puis l’avait finalement remise aux avocats.

Mme Clermont-Dion avait expliqué qu’elle avait édité l’enregistrement pour ses archives. Elle s’apprêtait alors à faire une sortie sur Facebook dans la foulée du mouvement #moiaussi. Elle voulait conserver une preuve du rôle de Mme Payette dans l’affaire, a-t-elle expliqué.

Elle avait assuré au tribunal qu’elle avait oublié qu’elle avait édité l’enregistrement près de trois ans plus tard, au moment de remettre le fichier aux policiers après avoir porté plainte.

Le juge de première instance a cru à cette erreur de bonne foi. Mais selon les avocats de Venne, il n’a pas expliqué suffisamment sa position dans un procès qui reposait essentiellement sur la crédibilité des deux protagonistes.

« La question de l’enregistrement affectait la crédibilité de la plaignante de façon très importante », a fait valoir l’avocat de Michel Venne jeudi.

Dans la première version remise aux policiers, un passage où Mme Payette assurait que Michel Venne n’était pas son ami avait été coupé, tout comme un extrait où on entend Mme Payette dire que c’est la jeune femme qui avait écrit la lettre et qu’elle ne l’avait pas retouchée.

« Tout ça était significatif pour apprécier la crédibilité de la plaignante », a noté MSt-Jacques. « Le juge excuse ça. »

Mais le juge de première instance a conclu que « lorsqu’on écoute la version écourtée on ne se retrouve pas devant un message qui est changé. La teneur correspond à l’intégrale », a répondu le procureur de la Couronne.

La juge Marie-France Bich, de la Cour d’appel, s’est demandée si le magistrat « avait raison de dire ceci ».

« On a coupé de la version originale le passage où son interlocutrice rappelle que c’est elle qui a écrit la lettre, qu’elle ne l’a pas dictée à la plaignante, a indiqué la juge Bich. Ç’a été coupé. Je n’affirme pas qu’au final ç’a été un élément déterminant, mais est-ce que ce n’est pas à considérer ? »

« Si on y voyait une erreur, je pense qu’elle est inoffensive, sans incidence, on est vraiment très loin, a répondu le procureur de la Couronne Olivier T. Raymond. On n’est plus du tout dans les gestes de l’agression. »

La Cour d’appel a pris l’affaire en délibéré. Michel Venne, 63 ans, a écopé de six mois d’emprisonnement pour les gestes de 2008. L’ancien éditorialiste est toutefois en liberté le temps de son appel.