(Laval) Johane Bilodeau était dans un état atroce avant de mourir. Des plaies de lit laissaient voir ses os. Une pustule suintait du pus. Elle était déshydratée et dénutrie. Une question demeure : Bruno Turcotte a-t-il laissé sa femme quasi paralysée mourir sans lui fournir de soins ? Ou a-t-il fait de « son mieux » pendant la pandémie, alors qu’il ignorait que l’état de sa femme était si grave ?

Ces deux versions, plaidées mercredi par la Couronne et la défense, devront être soupesées par le jury pour déterminer la culpabilité de Bruno Turcotte. L’homme de 61 ans est accusé d’homicide involontaire et de négligence criminelle causant la mort de sa femme Johane Bilodeau en septembre 2020.

Johane Bilodeau était quasi paralysée et souffrait de problèmes cognitifs et d’élocution depuis qu’elle avait subi un AVC en 2010. Son mari, Bruno Turcotte, s’occupait d’elle depuis des années. La femme de 58 ans était dans un « état de dépendance pratiquement totale », a souligné la procureure de la Couronne, MKarine Dalphond.

Le 23 septembre 2020, quand Johane Bilodeau s’est retrouvée à l’hôpital, son état était consternant : elle avait de grosses croûtes brunes sur les jambes et sur le corps, elle avait de nombreuses plaies, dont certaines étaient à vif sur l’os, et elle souffrait d’une infection très sévère. Elle est morte quelques heures plus tard d’un choc septique.

« Est-ce que cette dame nécessitait d’avoir des soins médicaux bien avant son transport à l’hôpital ? Je suggère que oui », a plaidé MDalphond. Une personne « raisonnable » aurait contacté un médecin bien avant en constatant l’état de la victime, selon la Couronne.

La preuve démontre que Johane Bilodeau n’était pas nourrie « adéquatement depuis un certain temps », a souligné MDalphond. En 2017, la victime était « obèse ». Trois ans plus tard, elle était amaigrie et dénutrie, selon des témoins.

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MKarine Dalphond en 2020

« L’état de Mme Bilodeau s’est progressivement détérioré. Ses plaies étaient présentes depuis plusieurs mois. Se nourrir, s’hydrater, se laver, soigner nos plaies et infections, [ce sont toutes] des choses nécessaires à l’existence qui n’ont pas été données à Mme Bilodeau alors que c’était le devoir de M. Turcotte de le faire », a fait valoir MDalphond au jury.

Turcotte a fait « du mieux » qu’il pouvait

« Vous n’avez pas de preuve ! »

C’est ce que l’avocat de Bruno Turcotte, MMarc Labelle, a répété mercredi dans sa plaidoirie. À ses yeux, la Couronne n’a donné aucune preuve sur les évènements qui ont précédé l’arrivée de la victime à l’hôpital, le 23 septembre 2020.

« Personne n’est venu vous expliquer quoi que ce soit sur les mois précédents. Vous n’avez rien ! », a-t-il martelé. « C’est un homme qui s’occupe de sa femme depuis neuf ans, et là, tout d’un coup, il serait tombé insouciant ? »

Selon MLabelle, des témoins ont « exagéré » l’état de Johane Bilodeau. Le pathologiste judiciaire conclut d’ailleurs que la victime n’était « pas amaigrie », a-t-il souligné.

D’ailleurs, il était loin d’être clair que son état était si grave, a-t-il insisté. La preuve : le cas n’était pas une urgence pour les ambulanciers et le personnel hospitalier a mis des heures avant de prescrire des tests.

« Si ce n’était pas si urgent que ça pour des gens à l’hôpital, pourquoi [Bruno Turcotte] aurait eu à s’apercevoir de quelque chose ? », s’est demandé MLabelle. D’ailleurs, trois médecins ont été nécessaires pour conclure que la victime souffrait d’une maladie rare, a fait valoir MLabelle.

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MMarc Labelle, avocat de l’accusé Bruno Turcotte, au palais de justice de Laval

Bruno Turcotte a « soigné » sa femme « du mieux » qu’il pouvait, selon son avocat. Il avait perdu son aide à domicile, trois mois plus tôt. De plus, quelques jours avant la mort de sa femme, l’accusé avait commandé une nouvelle crème pour elle et avait reçu de nouvelles ordonnances, a rappelé MLabelle. Il avait aussi appelé sa fille au sujet d’une plaie.

« Est-ce que c’est le comportement de quelqu’un qui est insouciant, qui est téméraire ? », a lancé MLabelle.

« Il aurait fallu qu’il fasse quoi ? Qu’il aille voir le médecin avec sa femme [paralysée], en temps de COVID, parce qu’elle a une plaie qui ne guérit pas ? », a demandé MLabelle.

Le jury devrait commencer les délibérations dans les prochains jours. Le procès se déroule devant le juge Daniel W. Payette au palais de justice de Laval.