D’autres arrêts du processus judiciaire sont à venir, prévient le directeur du DPCP en entrevue avec La Presse

L’hémorragie n’est pas terminée : d’autres causes criminelles seront abandonnées à l’automne au Québec en raison des délais judiciaires importants, prévient le grand patron des procureurs de la Couronne. Le directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) garde toutefois espoir d’éviter le pire grâce à l’arrivée en poste de nouveaux juges.

« Je dois être réaliste et transparent. Oui, il va y avoir d’autres arrêts des procédures au cours des prochains mois, jusqu’à la fin de 2023, à la Cour itinérante. [Ailleurs au Québec], il va vraisemblablement y en avoir encore, mais pas dans la même proportion », soutient, en entrevue avec La Presse, MPatrick Michel, directeur du DPCP.

La Presse a révélé cette semaine que le DPCP avait récemment mis fin au processus judiciaire dans 126 causes criminelles, au Nunavik et en Abitibi-Témiscamingue, en raison de délais catastrophiques. Une vingtaine de dossiers de violence conjugale ont été touchés par cette décision. C’est du jamais vu depuis la cascade d’arrêts survenue dans la foulée de l’arrêt Jordan, en 2016.

Lisez notre dossier « Nunavik et Abitibi-Témiscamingue : causes perdues »

« C’est dramatique, concède MMichel. Chaque arrêt des procédures en soi, c’est un drame pour les victimes. C’est un drame pour les procureurs. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

MPatrick Michel, directeur des poursuites criminelles et pénales

C’est contre nature pour un procureur de devoir faire un arrêt des procédures. Ça demeure un échec pour nous, un échec pour le système de justice.

MPatrick Michel, directeur du DPCP

Ces arrêts du processus judiciaire décrétés par le ministère public (par un nolle prosequi) demeurent toutefois « exceptionnels », nuance MPatrick Michel, en rappelant que le DPCP ouvre entre 82 000 et 88 000 nouveaux dossiers par année. Le directeur appelle ainsi les victimes à continuer de dénoncer des crimes.

Cette semaine, le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a imputé ce fiasco à la Cour du Québec, montrant du doigt la décision de la juge en chef de diminuer l’an dernier le nombre de jours où siègent les juges en chambre criminelle et pénale.

Le directeur du DPCP, lui, est plus nuancé : les causes des délais sont « multiples » et « cumulatives ». Il cite les enjeux particuliers de la Cour itinérante au Nunavik, comme les conditions météorologiques et le manque de locaux et d’hébergement. Certains délais demeurent imputables au ministère public, concède-t-il.

Néanmoins, la diminution massive du nombre de jours d’audience dans la dernière année à la Cour itinérante a eu un « impact important » en matière de délais, convient MMichel. Dans certaines communautés, plus de la moitié des jours d’audience ont été retranchés. Ainsi, les procès sont fixés « beaucoup plus loin ».

Des recommandations appliquées

Chaque année, le DPCP accuse environ un adulte sur six au Nunavik. Une surjudiciarisation « évidente et inquiétante », a conclu l’an dernier le rapport de MJean-Claude Latraverse sur la situation de la Cour itinérante au Nunavik.

Depuis, le DPCP a suivi plusieurs recommandations du rapport, affirme MMichel, en facilitant notamment l’utilisation des programmes de non-judiciarisation et de mesures de rechange dans les communautés autochtones.

« On a assoupli les règles d’exclusion », résume le directeur.

Un procureur peut maintenant considérer les facteurs systémiques ou historiques pour permettre à un contrevenant autochtone de participer à un programme.

Avant d’en arriver à la condamnation « traditionnelle », il faut chercher des solutions de rechange à l’emprisonnement, comme « des mesures qui prennent un sens pour l’accusé et la communauté », explique MMichel.

Les procureurs du DPCP seront aussi plus présents au Nunavik pour rencontrer les victimes et les témoins et se faire connaître de la communauté, assure le directeur.

Le directeur garde espoir

Ailleurs au Québec, le système judiciaire est sous forte pression. À Montréal, par exemple, les procès sont fixés à la fin de 2024, donc au seuil du plafond de 18 mois établi par la Cour suprême pour la plupart des dossiers. « Ça laisse au système très peu d’espace pour absorber les aléas de la cour », analyse le directeur du DPCP.

Selon MMichel, la situation devrait toutefois s’améliorer avec la nomination prochaine de 14 nouveaux juges et l’ajout de jours d’audience en chambre criminelle et pénale – fruit d’une entente entre Québec et la Cour du Québec.

Ça nous donne espoir de pouvoir ramener à l’intérieur des délais des dossiers qu’on voit actuellement fixés hors délai.

MPatrick Michel, directeur du DPCP, au sujet de l’entente entre Québec et la Cour du Québec

Rappelons qu’en février dernier, le directeur du DPCP a mis en place une « instruction » pour que les procureurs donnent la priorité aux dossiers de crimes contre la personne (meurtre, violences sexuelles, maltraitance, etc.), lorsque des choix doivent être faits dans un contexte de délais importants.

Est-ce que la pression des délais pousse les procureurs à régler des dossiers en négociant des peines moindres avec la défense ? Le directeur du DPCP réfute la théorie de la « vente de feu ». « On ne peut pas faire n’importe quel règlement. Ça doit être justifié auprès du juge », maintient-il.

Le grand patron des procureurs conclut toutefois avec cette réflexion : « À un moment donné, il va peut-être falloir se demander : qu’est-ce qui est plus susceptible de déconsidérer la confiance du public envers l’administration de la justice, une peine qui peut sembler plus clémente ou un arrêt des procédures prononcé par le ministère public ou par le tribunal ? »

Qui est Patrick Michel ?

  • MPatrick Michel a été nommé au poste de directeur du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) en avril 2021 par un vote de l’Assemblée nationale.
  • Son mandat est de sept ans.
  • Il était auparavant procureur en chef du Bureau de service juridique du DPCP.