Un voleur de nourriture. Une fraudeuse de banque. Un conducteur ivre. Un prisonnier qui cache de la drogue. La Presse s’est rendue dans une salle de volume, au palais de justice de Laval, où défilent chaque jour plus d’une centaine de petits et grands crimes.

Ce sont 102 dossiers qui sont inscrits au rôle criminel pour la salle 1.05 du palais de justice de Laval, ce matin de juin. Joaquín Días-Romero* est l’un des premiers appelés devant le juge de la Cour du Québec.

« M. Días-Romero, vous êtes accusé en date du 3 juillet 2022, à Laval, d’avoir conduit un véhicule à moteur alors que votre capacité à conduire était affaiblie par l’alcool », énonce Gabrielle Chèvrefils, son avocate.

L’homme a été interpellé sur l’autoroute 25, à l’été 2022, parce que son véhicule faisait un bruit de ferraille. La voiture n’avait plus de pneus ; elle roulait sur les jantes. Quand les policiers ont demandé au conducteur de baisser sa fenêtre, ils ont constaté une forte odeur d’alcool.

« Est-ce que vous désirez plaider coupable ou non coupable ? », poursuit MChèvrefils.

« Coupable », répond l’accusé d’une voix qui trahit des remords. Le juge Marc-André Dagenais condamne le sexagénaire à une interdiction de conduire de 12 mois et à une amende de 1000 $. Il s’agit d’une suggestion commune de la défense et du procureur du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) étant donné que l’accusé n’a pas d’antécédents judiciaires et qu’il a plaidé coupable à l’accusation.

PHOTO DU CROQUIS PAR MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Les portes de la salle 1.05, comme toutes les autres salles dans les palais de justice de la province, sont surveillées par un constable spécial. Celui-ci s’assure que le public respecte les règles de la salle de cour.

Nadia Samar Ebeid*, elle, s’est fait passer pour une étudiante en pharmacologie à l’été 2022. Elle a obtenu une carte Visa avec une limite de 5000 $ et a demandé une marge de crédit dans une banque de Laval.

« Ma cliente n’a pas de casier judiciaire. Il n’y a pas eu de perte pour la banque. Bien que les enquêteurs n’aient pas été en mesure d’arrêter le cerveau de la fraude, il ne s’agissait pas de Mme Ebeid », fait valoir son avocate, MAnne Larivière.

Le juge se plie encore à la suggestion des deux parties – poursuite et défense – et inflige une peine suspendue avec probation de 18 mois et 240 heures de travaux communautaires à la femme de 21 ans.

Dossiers à la chaîne

Le juge Marc-André Dagenais enchaîne les dossiers avec rythme, sans temps mort. Il alterne les interventions en présentiel et par visioconférence. Il priorise les dossiers des accusés hospitalisés ou détenus afin de libérer le personnel de ces établissements.

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Le juge Marc-André Dagenais fait régner l’ordre dans la salle de cour. Il enchaîne la centaine de dossiers avec rythme, sans temps mort.

« On appelle un détenu et on en obtient deux en même temps », dit à la blague le juge Marc-André Dagenais, au sujet des pépins techniques qui perturbent le bon déroulement de sa journée. « Tiens, on a même trois détenus en même temps », précise-t-il dans l’un des rares écarts au protocole.

Deux visages apparaissent sur les télévisions géantes dans la salle de cour. À gauche, celui de l’avocate Élizabeth Séguin. À droite, celui de Stéphane Hamel, dans un local du pénitencier Archambault.

L’homme plaide coupable à une accusation de possession de stupéfiant dans le but de vendre ou de consommer.

« En date du 27 novembre 2021, Monsieur se trouvait dans une salle d’isolement, relate Me Séguin. Il purgeait une peine de pénitencier. Monsieur était turbulent et à un certain moment, on a vu ce qu’on appelle une plug qui sortait de sa cavité anale. Elle a été saisie et contenait 61,21 g de haschich. »

Le juge acquiesce à la suggestion commune de la Couronne et de la défense : six mois de détention sont ajoutés à la peine de prison du délinquant.

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La salle de volume voit défiler une centaine de dossiers chaque jour, du lundi au vendredi. La salle est ouverte au public. Des accusés qui ne sont pas détenus attendent de passer devant le juge.

Une équipe derrière 102 dossiers

Dans la salle de volume, les dossiers se succèdent rapidement. Certains cas, comme ceux remis à une date ultérieure, prennent une minute à se régler. D’autres, comme le cas d’un homme qui a volé pour 360 $ d’aliments chez IGA, s’étirent sur cinq, voire dix minutes.

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Pour la Couronne, c’est Me Sara Henningsson qui pilote 102 dossiers. Elle se déplace partout dans le palais avec un chariot rempli de documents judiciaires.

« Tous les dossiers, sauf quelques exceptions, passent au moins une fois dans la salle 1.05 », explique MSara Henningsson, procureure à la Direction des poursuites criminelles et pénales. Des dossiers de violence conjugale, de violences sexuelles, d’armes à feu, de possession et de trafic de stupéfiants, de vol, de violence, de conduite avec les facultés affaiblies, énumère-t-elle. « Tout ce que vous pouvez imaginer comme crime, ça passe par ici. »

Cent deux dossiers en une journée... « C’est une journée normale », qualifie celle qui pilote les dossiers devant une kyrielle d’avocats de la défense.

« Vous me voyez rouler avec 100 dossiers. Ça peut sembler impressionnant, mais je ne suis pas seule. On travaille en équipe, explique Me Sara Henningsson en marge d’une journée d’audience. Il y a des personnes qui ont préparé des notes dans tous les dossiers. J’ai donc une bonne indication où on est rendu dans le processus, ce qui se passe avec chacun d’entre eux. »

Il reste que pendant la journée, la plupart des 102 dossiers sont remis à une date ultérieure. L’avocate d’un homme soupçonné d’avoir conduit avec les facultés affaiblies vient par exemple d’accoucher ; l’évaluation psychiatrique d’une femme qui s’est évadée de sa garde légale est demandée ; un homme accusé d’avoir eu une arme à feu prohibée a eu un accident vasculaire cérébral important ; une avocate n’a pas eu le temps de discuter avec sa cliente qui vient d’être encore arrêtée pour non-respect de ses conditions.

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Un interprète fait la traduction en tagalog (langue malayo-polynésienne) à un homme accusé de contacts sexuels sur un mineur. Ce dernier devait recevoir sa sentence, mais la Couronne et la défense négocient toujours afin d’arriver à une suggestion commune.

Des dossiers sont aussi remis parce que les parties veulent poursuivre leurs discussions afin d’arriver à une entente. Parfois, les avocats de la défense demandent une divulgation de preuve supplémentaire, aussi.

Dans presque tous ces cas, les avocats renoncent aux délais judiciaires. Ils ne pourront pas invoquer l’arrêt Jordan et faire dérailler un procès à cause de procédures trop longues.

« Mais croyez-moi : si un juge est d’avis que ce n’est pas un cas de remise, que ça fait trop de fois qu’un dossier revient en cour, il ne se gênera pas pour faire un commentaire et pour inciter les parties à réévaluer le dossier avant d’accorder la remise », affirme MHenningsson, sans équivoque.

* Noms fictifs