* Attention, ce reportage décrit une agression sexuelle en des termes explicites qui pourraient vous choquer. Nous publions cet article, car nous jugeons cela nécessaire afin de montrer la gravité des gestes reprochés et de rendre compte de l’existence de ce phénomène troublant.

Ses oreilles bourdonnent. Jessica* n’a jamais été frappée aussi fort de toute sa vie. Pourtant, sa date avait bien commencé. Paralysée par la peur, elle implore son bourreau. « Pitié, ne me viole pas », souffle-t-elle. « Ce n’est pas un viol. Je ne te viole pas », rétorque l’agresseur. Récit d’une soirée d’horreur.

Ben Maier, chef cuisiner de 34 ans, a été condamné à quatre ans et demi de pénitencier à la fin de juin au palais de justice de Montréal. Il avait été reconnu coupable en octobre dernier d’un chef d’agression sexuelle causant des blessures. Il a fait appel du verdict.

L’histoire de Jessica met en lumière la popularité croissante sur le web des scènes de gagging (réflexe nauséeux), d’étranglement (choking) et de gifles (slapping) pendant les ébats sexuels. Un dossier de La Presse a d’ailleurs révélé en juin que ces scènes violentes étaient particulièrement poussées par l’algorithme des géants du sexe en ligne comme Pornhub.

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Jessica rencontre Ben Maier en septembre 2019 pendant une soirée entre amis. Une semaine plus tard, leur premier rendez-vous (date) se passe bien. Ils jouent au billard, boivent de l’alcool et flirtent. Bref, ça clique entre les deux. Ils poursuivent la soirée à l’appartement de Maier.

Un cauchemar

Sur place, ils discutent brièvement de BDSM (sigle signifiant bondage, domination, soumission, sado-masochisme). Ben Maier explique être « dom » – un dominant – alors que Jessica croit être une « sub » – une soumise. Mais Jessica est très claire : elle ne veut pas avoir de relation sexuelle. Elle l’a d’ailleurs répété toute la soirée.

Ils commencent à s’embrasser. Quand Ben Maier se fait insistant, Jessica lui dit qu’ils devraient choisir un « safeword » – un mot de sécurité pour mettre fin à une séance de BDSM. Elle choisit « iceberg ».

L’homme insiste de plus en plus. Jessica le rappelle sans cesse à l’ordre. Elle a un « drôle de sentiment ». Soudain, tout chavire. Ben Maier lui assène une claque au visage extrêmement brutale. Puis une seconde. « Non », répète Jessica. « Iceberg », supplie-t-elle. L’homme ricane. « Non, tu ne peux pas dire iceberg maintenant », réplique-t-il.

« Je vais être violée ce soir », se dit Jessica, tétanisée. Elle ne cesse de répéter « iceberg », son mot de sécurité. Chaque fois, son bourreau rigole et lui crache au visage. Il est trop tard, lui dit-il.

Son cauchemar ne fait que commencer.

D’une main, Ben Maier étrangle Jessica. Sa poigne est si forte qu’elle n’arrive plus à parler, ni même à respirer. Des larmes coulent sur son visage. En désespoir de cause, elle griffe la main de son bourreau. Rien n’y fait. « Tu es stupide, petite salope. Tu as besoin d’une leçon », lance Maier, en l’étranglant.

Jessica perd connaissance. Quand elle revient à elle, elle est désorientée et peine à parler. Pétrifiée, elle le supplie de ne pas la violer.

« Mais ce n’est pas un viol », répond-il.

Ben Maier tente de forcer sa victime à lui faire une fellation selon une pratique – le gagging – qui vise à bloquer la respiration de sa partenaire. Une pratique populaire sur les sites pornos gratuits.

À un certain point, Jessica se lève et se met à lui hurler de ne pas la toucher. Ben Maier semble sous le choc. Son regard paraît presque « gentil ». « Quoi ? Tu pensais que c’était un viol ? », lance-t-il, interloqué.

« Bien… », répond Jessica.

Mais au même moment, la violence reprend.

Au petit matin, son calvaire s’achève. Elle jure à son agresseur qu’elle ne soufflera pas mot de cette nuit. « Évidemment que tu ne diras rien », répond-il.

Dehors, Jessica est désorientée, au point qu’elle se croit à Las Vegas. Elle n’y est pourtant jamais allée. À l’hôpital, on constate ses blessures au cou et aux jambes.

Un comportement « particulièrement dégradant »

La juge Suzanne Costom a salué la « force » de Jessica, qui a livré un témoignage « sincère » et « détaillé » au procès. Au contraire, la juge n’a pas cru le récit de Ben Maier. Ce dernier décrivait une version extrêmement édulcorée de sa soirée.

Originaire de Colombie-Britannique, Ben Maier espérait s’en tirer avec une peine très clémente de deux ans moins un jour de prison à domicile, assortie de travaux communautaires. Le procureur de la Couronne, Me Jérôme Laflamme, réclamait cinq ans de pénitencier.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Me Jérôme Laflamme, procureur de la Couronne

« Le comportement de l’accusé était particulièrement dégradant. Sa culpabilité morale est élevée », a conclu la juge en imposant une peine de quatre ans et demi de détention.

Le calvaire de Jessica ne s’est pas conclu en septembre 2019. Il se poursuit depuis quatre ans.

La nuit, Jessica rêve qu’elle est étranglée. Parfois, elle reste debout pendant 40 heures pour éviter ce cauchemar. Incapable de se concentrer et en proie à des attaques de panique, elle a abandonné ses études. Souvent, elle a tellement peur qu’elle n’arrive pas à sortir de chez elle. Jessica a dû changer de province pour tourner la page.

« On lui a volé son sentiment de sécurité », résume la juge.

* Nom fictif pour protéger son identité