Un ex-employé de l’Agence spatiale canadienne accusé d’avoir servi clandestinement les intérêts de la Chine pendant qu’il était en poste pourra obtenir des données internes de son ex-employeur sur les satellites, afin d’étoffer sa défense en prévision de son procès criminel, a tranché un juge au palais de justice de Longueuil jeudi.

L’histoire jusqu’ici :

20 septembre 2019 : Wanping Zheng quitte l’Agence spatiale Canadienne après 26 ans de carrière. Il atterrit peu après chez Spacety, une entreprise chinoise qui développe un réseau de satellites en lien avec une société d’État du régime chinois. M. Zheng devient PDG de la division européenne de Spacety.

8 décembre 2021 : La GRC annonce le dépôt d’accusations d’abus de confiance par un fonctionnaire public contre Wanping Zheng, parce qu’il aurait utilisé son statut à l’Agence spatiale canadienne pour favoriser Spacety avant de changer d’emploi. Le corps policier fédéral affirme qu’il s’agit d’un cas d’ingérence étrangère dans l’appareil fédéral canadien.

26 janvier 2023 : Le gouvernement américain annonce des sanctions contre Spacety, et plus spécifiquement sa division européenne, pour avoir fourni des services d’imagerie satellite à une entreprise russe afin d’aider les opérations de combat du groupe de mercenaires russes Wagner en Ukraine. L’entreprise nie les allégations.

Le juge de la Cour du Québec Marc-Antoine Carette a tranché en faveur de l’accusé Wanping Zheng et ordonné que la société de la Couronne entame des recherches pour lui fournir l’information dont il dit avoir besoin pour se défendre.

M. Zheng, un résidant de Brossard, a travaillé 26 ans au siège de l’Agence spatiale canadienne à Saint-Hubert, sur la Rive-Sud. Des documents judiciaires montrent que pendant des années, les services de renseignement canadiens ont tenté sans succès d’alerter ses patrons à son sujet. En 2019, alors que son employeur avait finalement déclenché une enquête interne à son sujet, il a démissionné et est parti travailler comme PDG de la division européenne de Spacety, société chinoise d’exploration spatiale.

PHOTO TIRÉE D’UNE VIDÉO YOUTUBE

Wanping Zheng est accusé d’abus de confiance par un fonctionnaire.

Spacety travaille en partenariat avec une société d’État chinoise pour créer une « constellation » d’une centaine de satellites capables de photographier toutes les régions du monde, « jour et nuit, beau temps, mauvais temps », selon ses propres annonces.

Des partenaires pour un projet chinois

En décembre 2021, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a arrêté le scientifique de Brossard et annoncé qu’il aurait participé à une manœuvre d’ingérence de la Chine dans l’appareil fédéral canadien. Il a été accusé « d’abus de confiance par un fonctionnaire » pour des gestes commis en 2018 et 2019.

Des déclarations sous serment de policiers déposées à la cour et obtenues par La Presse détaillent les actes reprochés au fonctionnaire : il aurait communiqué avec des entreprises du secteur privé avec lesquelles l’Agence spatiale canadienne faisait affaire et aurait tenté de les convaincre de participer au déploiement du réseau de satellites chinois lancés par Spacety ainsi qu’à l’installation de stations-relais de l’entreprise au sol.

Dans une requête en divulgation de preuve déposée à la cour, l’avocat du scientifique, MAndrew Barbacki, affirme toutefois que l’implication de M. Zheng dans une entreprise chinoise n’était pas incompatible avec son travail à l’Agence spatiale canadienne. Pour en faire la preuve, il réclamait l’accès à des documents concernant les projets sur lesquels son client travaillait au sein de l’Agence, ainsi que sur les projets de l’organisme fédéral en général concernant les satellites miniatures et les stations-relais de satellites.

L’Agence spatiale avait dit n’avoir en sa possession aucun document fiable qui donnerait un portrait fidèle de la situation et n’avait donc rien transmis. Jeudi, le juge lui a ordonné de se mettre au travail et de rédiger un bref descriptif de tous les projets pertinents auxquels a collaboré M. Zheng et une liste de tous les projets de l’Agence impliquant de satellites miniatures et des stations-relais pour satellites.

Soupçonnée d’aider les mercenaires de Wagner

Outre cette procédure devant la Cour du Québec, Spacety s’est aussi retrouvée dans l’embarras l’hiver dernier lorsque le gouvernement américain lui a imposé de lourdes sanctions en disant détenir des preuves qu’elle avait appuyé l’invasion russe de l’Ukraine.

Le département du Trésor américain a ciblé spécifiquement la firme d’exploration spatiale chinoise parce qu’elle ferait partie, selon Washington, de « l’infrastructure qui soutient les opérations sur le champ de bataille en Ukraine ».

Le département du Trésor affirme que Spacety a fourni sur commande à une entreprise de technologie russe des images satellites extrêmement précises du terrain ukrainien. « Ces images ont été recueillies pour faciliter les opérations de combat du groupe Wagner en Ukraine », affirme la mise à jour. Le gouvernement américain n’a pas fourni de preuve à l’appui de ces allégations, mais les sanctions ont tout de même force de loi, désormais.