Des adolescentes détruites, des mères en détresse, une confiance brisée envers le système d’éducation : les crimes sexuels « ignobles » commis par l’enseignant Dominic Blanchette ont laissé des traces indélébiles sur ses cinq victimes, dont les plus jeunes avaient 10 ans.

L’histoire jusqu’ici

  • Mai 2022 : Dominic Blanchette est accusé d’agression sexuelle sur une fillette de 11 ans. La police de Montréal recherche alors d’autres victimes.
  • Juillet 2022 : Quatre personnes de plus se manifestent dans le dossier.
  • Septembre 2022 : La Cour détermine que l’accusé demeurera détenu pendant les procédures.
  • Mars 2023 : Dominic Blanchette reconnaît avoir agressé sexuellement cinq fillettes et adolescentes sur plusieurs années.

« J’ai tout lâché les sports et activités parascolaires après la dernière agression. J’ai une peur constante et je vis avec un sentiment de culpabilité. J’ai fait plusieurs tentatives de suicide. J’ai arrêté l’école pendant quatre mois, j’ai augmenté ma consommation », énumère Daniela*, dans une lettre coup de poing.

Daniela était en 5année du primaire quand Dominic Blanchette, son entraîneur de basketball, a commencé à l’agresser. Presque chaque soir, il allait la chercher au service de garde et l’amenait dans sa classe. Il reprochait à la fillette de 11 ans de le « délaisser » en fréquentant un garçon de son âge.

En 2019, Dominic Blanchette l’a agressée sexuellement au camp Tim Hortons. « Il m’a prise par les poignets pour me forcer à rester près de lui, alors que je voulais quitter. Je ne voulais pas qu’il m’embrasse », confie Daniela.

Devant une salle remplie de victimes et de leurs proches, la Couronne a réclamé lundi une peine de sept à huit ans d’emprisonnement contre M. Blanchette, alors que la défense a demandé une peine de deux ans avec une probation sous conditions prolongée. L’homme de 28 ans est détenu préventivement depuis un an.

Il tissait sa toile autour de ses proies dès leur plus jeune âge. De 2017 à 2022, il a sévi aux écoles primaires Carignan et Adélard-Desrosiers de Montréal-Nord. Il a plaidé coupable en mars à des accusations de contacts sexuels sur des mineures, possession de pornographie juvénile, leurre et exploitation sexuelle.

« Je te vénérais »

« Pourquoi tu nous as fait ça ? », s’est demandé l’une de ses victimes, qui a dû changer d’école après les agressions. Sa mère a confié au tribunal vivre depuis une grande détresse. « Je suis grandement affectée par la détresse de ma fille. Je suis épuisée, je pleure souvent, je suis en arrêt de travail. […] Je vais toujours avoir peur qu’elle se fasse agresser à nouveau. »

Ève* était une enfant très vulnérable de 6année, lorsqu’elle a rencontré Dominic Blanchette. Pendant cinq ans, elle est restée sous son joug. Ils ont échangé des milliers de courriels sexuellement explicites et ont eu des relations sexuelles quand elle avait 15 ans.

« Tu étais sacré à mes yeux, un être que je vénérais, parce que j’étais seule. Je faisais tout pour ne pas te perdre, tu me gardais en vie », écrit la jeune adulte.

Devant la cour, Dominic Blanchette s’est montré repentant lundi, en présentant ses excuses aux victimes. Leurs lettres lui ont « rentré dedans », a-t-il confié. S’il reconnaît avoir commis des « atrocités », il évoque sobrement des gestes « déplacés » et des contacts « inadéquats » avec ses victimes.

M. Blanchette admet avoir trahi la confiance du système d’éducation et avoir manqué à son devoir d’enseignant. « Je vous promets d’aller chercher de l’aide afin de ne plus jamais recommencer. Je sais exactement qui je ne veux plus être », a-t-il assuré. L’accusé souhaite être détenu dans un établissement fédéral pour suivre un programme pour sa délinquance. Il se dit aussi prêt à étudier pour changer de métier.

Récidive ou réhabilitation ?

La procureure de la Couronne, MAnnabelle Sheppard, a rappelé d’emblée lundi qu’il s’agissait « de jeunes filles vulnérables dans des lieux où elles auraient dû se sentir en sécurité ». « On parle de lieux où les enfants sont supposés être protégés, être en sécurité. Les parents qui amènent leurs enfants à l’école, qui les déposent au service de garde, ils ne s’attendent pas à ce que les éducateurs et les professeurs les abusent. »

C’est la même chose au camp Tim Hortons : c’est un camp pour des jeunes défavorisés. Le but, c’est de leur venir en aide, mais ç’a été un lieu d’abus sexuels.

MAnnabelle Sheppard, procureure de la Couronne

La juriste a d’ailleurs fait un lien avec le cas du prêtre Brian Boucher, condamné à huit ans de prison en 2019 pour agression sexuelle. « Contrairement au cas présent, les victimes ont eu à témoigner. Et suite au plaidoyer, il y a eu une suggestion commune de huit ans. Mais là, on parle de deux victimes, pas cinq. »

« Le contrevenant présente un risque de récidive élevé », a aussi fait valoir l’avocate, en citant les extraits de rapports d’évaluation. Selon ces rapports, la « manipulation psychologique demeure un facteur aggravant ». « Un enfant souffrira plus d’une agression sexuelle s’il avait une relation étroite et un degré de confiance plus élevé entre lui et son agresseur. […] L’abus de confiance est donc un facteur aggravant parce qu’il accroît le degré de responsabilité du délinquant », a énuméré MSheppard.

Pour la défense, toutefois, « l’objectif de réhabilitation sociale ne doit pas être perdu de vue », a plaidé l’avocate MLaurence Juillet, en notant que l’accusé n’a pas d’antécédents et un soutien familial « indéfectible malgré les infractions ». « Chacun des membres de la famille voit les présentes accusations pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des infractions qui sont graves […], mais ils s’engagent à le supporter et voient en M. Blanchette un grand potentiel de réhabilitation », a soulevé MJuillet.

Dominic Blanchette a une « grande empathie envers les conséquences » subies par les victimes, selon son avocate. « Monsieur identifie avec précision ce qu’il a fait. C’est quelqu’un qui réalise l’ampleur des conséquences de ses gestes, mais également des effets à court, moyen et long terme sur les victimes. »

Selon la Couronne, « il y a eu des occasions où M. Blanchette aurait pu se reprendre en main ». La défense affirme toutefois que M. Blanchette ne l’a pas fait « par peur d’être dénoncé ». « Ce ne sont pas des réactions qu’on pourrait qualifier de parfaites, par contre, elles sont compréhensibles », a indiqué MJuillet.

M. Blanchette « regrette de ne pas l’avoir fait, ce qui témoigne d’une très grande introspection de sa part », a rappelé l’avocate, en assurant enfin que son client serait encadré par sa mère à sa sortie de prison.

La juge Mélanie Hébert rendra son verdict le 15 août prochain.

*Prénoms fictifs, pour préserver l’anonymat des victimes