(Ottawa) L’Entente sur les tiers pays sûrs est constitutionnelle et ne viole pas l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, a tranché vendredi la Cour suprême du Canada. Ce n’est pas la fin de l’histoire, car la Cour d’appel fédérale devra en étudier un nouvel aspect. Amèrement déçus du jugement de la Cour suprême, les groupes de défense des droits des réfugiés misent maintenant là-dessus.

Ce qu’il faut savoir

  • Le jugement unanime de la Cour suprême conclut que l’Entente ne contrevient pas au « droit à la vie, à la liberté et à la sécurité » de la Charte canadienne des droits et libertés ;
  • La Cour suprême demande à la Cour d’appel fédérale d’étudier si le pacte respecte un autre article de la Charte sur le droit à l’égalité indépendamment de l’origine, du sexe ou de la religion ;
  • À la lumière du jugement, les organismes de défense des droits des réfugiés ont encore demandé au gouvernement de se retirer de l’Entente. Ils ont eu droit à une fin de non-recevoir.

La décision unanime rendue par le plus haut tribunal au pays maintient le statu quo : le Canada pourra continuer à refouler vers les États-Unis les demandeurs d’asile qui ont d’abord mis les pieds au sud de la frontière, comme le prévoit le pacte canado-américain signé en 2002.

Car puisque le régime législatif canadien prévoit des « soupapes de sécurité » – par exemple, des exemptions discrétionnaires –, il « n’a pas une portée excessive et n’est pas totalement disproportionné, et est donc conforme aux principes de justice fondamentale », écrit le juge Nicholas Kasirer au nom de ses collègues.

Certes, « les personnes renvoyées aux États-Unis risquent d’y être détenues », mais il existe des mécanismes « qui leur offrent la possibilité d’être remises en liberté et de faire contrôler les motifs de leur détention », et par conséquent, le risque de détention au sud de la frontière « n’a pas une portée excessive », note-t-il.

« Aucune violation de l’article 7 de la Charte n’a été établie », tranche le juge québécois.

Les appelants dans cette affaire étaient des ressortissants du Salvador, de la Syrie et de l’Éthiopie qui ont été refoulés vers les États-Unis après être arrivés au Canada par un poste frontalier officiel – il n’est donc pas question ici des points d’entrée non officiels, comme le chemin Roxham.

Ils plaidaient, avec le Conseil canadien pour les réfugiés, que le refoulement violait l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés assurant « le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité », car les migrants courent le risque d’être détenus aux États-Unis ou d’être expulsés vers le pays d’origine qu’ils ont fui.

Jugement de première instance critiqué

La Cour fédérale leur avait donné raison dans un jugement rendu en juillet 2020.

Cette décision de la juge Ann Marie McDonald est maintes fois critiquée dans l’arrêt de la Cour suprême. Elle a notamment erré en parlant de « détention automatique », puisque « la preuve montre que la détention n’est pas automatique », et « cette erreur manifeste a entaché [ses] conclusions », y lit-on.

Le plus haut tribunal au pays est également d’avis qu’en statuant que les garanties prévues par le régime étaient « illusoires », tel que l’avançaient les plaignants, la magistrate n’a pas tenu compte « de toutes les soupapes de sécurité pertinentes ».

La Cour fédérale devra statuer

Il y a toutefois lieu d’étudier la constitutionnalité de l’Entente sous un autre angle, celui de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, souligne le plus haut tribunal au pays, qui renvoie l’affaire à la Cour d’appel fédérale pour qu’elle statue sur celui-ci.

« Ce recours repose sur l’argument que le régime législatif porte préjudice aux femmes qui craignent d’être persécutées en raison de leur genre », dit le juge Kasirer au nom de ses collègues – le juge démissionnaire Russell Brown était des audiences, mais « n’a pas participé au dispositif final du jugement ».

« Compte tenu de la gravité de l’affaire, de la taille et de la complexité du dossier et des affidavits contradictoires, il serait imprudent de la part de la Cour de statuer sur une revendication de droits à l’égalité comme le ferait un tribunal de première instance […] », note le magistrat.

Sentiment doux-amer

Cette porte qui s’ouvre procure de l’espoir aux groupes de défense des droits des réfugiés. « La lutte continue. Nous espérons que la Cour d’appel fédérale reconnaîtra que l’Entente viole les droits des réfugiés à l’égalité et à la non-discrimination », a réagi Ketty Nivyabandi, porte-parole d’Amnistie internationale.

Mais la décision de la Cour suprême ne change rien au fait que « les États-Unis ne sont pas un pays sûr pour les réfugiés », et les « soi-disant soupapes de sécurité sont inexistantes », a persisté Gauri Sreenivasan, du Conseil canadien pour les réfugiés lors de la même conférence de presse au parlement.

« Nous demandons au gouvernement de se retirer de l’Entente le plus tôt possible », a-t-elle prié.

Le gouvernement satisfait

Le gouvernement Trudeau en a, au contraire, élargi l’application. Depuis le 25 mars, les règles s’appliquent aussi aux passages de fortune comme le chemin Roxham. En échange, le Canada a accepté d’accueillir 15 000 demandeurs d’asile de l’hémisphère ouest.

Et vendredi, le ministre de l’Immigration, Sean Fraser, a opposé un « non » clair à la demande de s’en retirer. « Nous allons utiliser l’Entente pour favoriser une culture de migration régulière, et en même temps, continuer d’être un chef de file mondial en réinstallation de réfugiés », a-t-il exposé.

D’autant plus que le phénomène « ne disparaîtra pas », a-t-il soutenu.

Les Nations unies ont chiffré plus tôt cette semaine à 110 millions le nombre de personnes déplacées de force à travers le monde.