Vous êtes patrouilleur depuis peu. Vos interventions se déroulent jusqu’à présent dans une relative quiétude. Mais cette fois-ci, un homme en crise muni d’un couteau menace de se donner la mort et met en danger la vie des membres de son entourage. Comment agir ? Doit-on sortir son arme ? Combien de temps passe-t-on à raisonner l’homme avant que la situation dégénère et représente un danger pour la vie d’autrui ?

Ce qu’il faut savoir

Le SPVM est le premier corps policier au Québec et le troisième au Canada à utiliser le VirTra V-300, premier simulateur d’armes légères à 300 degrés destiné aux forces de l’ordre.

L’instructeur peut modifier le déroulement en temps réel selon les décisions prises par l’agent pour les 100 scénarios disponibles.

Le système est composé de cinq écrans géants. La distance des balles tirées et l’endroit de l’impact des projectiles sont enregistrés en temps réel.

300 policiers de Montréal ont testé le simulateur. L’objectif : entraîner les 2800 patrouilleurs de la métropole.

Il n’y a pas de réponse parfaite à ces questions, conviennent Salvatore Serrao, commandant de la Section de l’emploi de la force au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), et Pierre-Yves Lecompte, maître-instructeur en emploi de la force. Et rien ne prépare des recrues fraîchement sorties de l’École nationale de police de Nicolet à faire face au pire.

Sauf (peut-être) le V-300 de VirTra, premier simulateur de tir à 300 degrés destiné aux forces de l’ordre. L’objet permet de recréer des situations dangereuses pouvant être vécues par des patrouilleurs afin de mieux les outiller.

Quelques journalistes ont eu l’occasion de tester cet engin dernier cri dans le cadre de la Semaine de la police, mardi dernier. Au menu, des scénarios hyper réalistes, complexes et nuancés qui demandent de réfléchir à l’emploi de la force approprié… en une fraction de seconde.

Peu de temps pour agir… et réfléchir

« Il y a des expériences qu’on n’apprendra pas sur des bancs d’école. Même en quelques années de patrouille, on ne va pas nécessairement intervenir dans des situations à haut risque », poursuit M. Serrao.

Les journalistes présents se sont engagés à ne pas donner trop de détails sur les mises en situation, histoire de ne pas nuire à la formation. Dans les trois cas expérimentés, il y a deux choses à retenir : les scénarios sont réalistes et ça va vite. Les gestes de la personne armée sont imprévisibles.

Le premier appel au 911 entre. Un intervenant signale à la police un individu aux graves problèmes de santé mentale qui menace de mettre fin à ses jours. « Il n’a pas pris ses médicaments », s’égosille l’homme à l’origine de l’appel.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Pierre-Yves Lecompte, maître-instructeur en emploi de la force au SPVM, décortique la première situation.

Si notre journaliste qui s’est prêtée au jeu n’emploie pas la force au moment opportun, elle pourrait se faire reprocher d’avoir laissé un citoyen dans une situation dangereuse. Si elle agit et tire sur un suspect dangereux, on lui reprochera d’avoir usé d’une force démesurée.

Elle commence par tenter de raisonner l’individu, qui n’obtempère pas. Après une longue hésitation, elle dégaine son arme de service… un peu trop tard. Le mal est déjà fait : un homme est gravement blessé.

« Je pense que les gens ne réalisent pas la rapidité avec laquelle on doit prendre ces décisions-là », soutient le maître-instructeur Pierre-Yves Lecompte.

Risque de manquer la cible

« On a souvent la question : mais pourquoi le policier n’a pas tiré dans une jambe ou sur une main ? », indique Pierre-Yves Lecompte. Dans les scénarios présentés à La Presse, il n’était pas possible de le faire. Les individus désorganisés couraient et agitaient leur main. On risquait de manquer la cible, d’atteindre un passant ou un témoin.

C’était le cas dans le second scénario proposé aux patrouilleuses d’un jour : deux individus se battent à mains nues devant la résidence d’un quartier paisible. Une dispute familiale qui a le potentiel de virer au drame.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Notre journaliste et sa partenaire pour le deuxième exercice, la journaliste du 98,5 FM Bénédicte Lebel, interviennent lors d’une dispute familiale.

Notre journaliste et sa coéquipière sont appelées en renfort. La situation dégénère non pas graduellement, mais en une fraction de seconde. Peu de temps pour évaluer les options pour désamorcer l’escalade de violence et sécuriser les témoins présents. Notre journaliste décide de tirer sur l’un des individus pour éviter le pire. Il meurt d’une balle à la tête.

Une décision prise dans le feu de l’action… qui aurait pu être filmée par un passant, rappelle alors M. Lecompte. « Vous venez de vivre un choc et de tirer sur l’individu menaçant, car c’était le dernier recours. Mais pour les internautes qui regardent la vidéo en boucle sur les réseaux sociaux, vous venez de tuer quelqu’un sans raison. »

Aucun policier ne se réveille le matin en disant moi, aujourd’hui, je vais tuer quelqu’un ou lui tirer dessus.

Pierre-Yves Lecompte, instructeur au SPVM

Dans la plupart des interventions, braquer son arme n’est pas nécessaire. Ça ne fait pas partie du quotidien d’un patrouilleur. La meilleure arme d’un agent : sa bouche. « Parler aux gens, ça peut désescalader beaucoup de situations dangereuses. 99 % de ce qu’on fait, c’est du verbal », rappelle M. Lecompte.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Notre journaliste écoute les instructions de Pierre-Yves Lecompte du SPVM. Il contrôle le scénario en temps réel à partir de son écran d’ordinateur.

Négociation et dialogue

La Presse a eu l’occasion d’intervenir dans une simulation de prise d’otage, où la négociation et le dialogue étaient de mise. L’emploi de la force a fini par être nécessaire à la toute fin. Il ne fallait pas prendre la décision trop tôt ou trop tard.

Décider du moment opportun pour employer la force est « la partie la plus difficile », estime le commandant Serrao. « Blesser quelqu’un, c’est à l’encontre de notre mission, mais ça devient parfois nécessaire pour éviter un meurtre ou de graves blessures. »

Notre travail est valorisant, mais complexe. Vous avez la mission de protéger la vie et de prévenir le crime. Ça implique celle du public, de la personne qui est menaçante et la vôtre. Dans le modèle d’usage de la force, l’évaluation du risque doit être en évolution.

Salvatore Serrao, commandant au SPVM

Cette réalité complexe laisse peu de place à l’improvisation alors qu’il faut agir dans le feu de l’action. « Ça peut aller du refus d’obtempérer jusqu’à l’agression armée. Mais il faut utiliser la force nécessaire dans chaque situation. Jamais plus que la force nécessaire », insiste M. Serrao.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Les journalistes Bénédicte Lebel et Mayssa Ferah tentent de calmer un individu en crise.

Le simulateur va faire gagner des années d’expérience aux policiers, se réjouit M. Lecompte. « On va pouvoir les mettre en présence de dizaines de scénarios. Des situations comme ça, ça peut prendre plusieurs années de service avant de les rencontrer. »