Daniel Jolivet est en prison depuis 30 ans pour quatre meurtres. Il les admettrait qu’il sortirait. Mais il clame toujours son innocence. Notre chroniqueur l’a rencontré, a reconstitué l’enquête et le procès qui ont mené à sa condamnation. Aujourd’hui : comment un biologiste marin spécialisé en bélugas a décidé de prouver l’innocence de Daniel Jolivet.

Nous sommes en 2018. Dix ans se sont écoulés depuis que Daniel Jolivet s’est fait dire non deux fois par le Groupe de la révision des condamnations criminelles (GRCC), la dernière chance des condamnés.

Lisez tous les volets de L’affaire Jolivet

Pierre Béland, un biologiste marin qui a fait sa marque comme pionnier de l’étude des bélugas, entend le reportage d’Isabelle Richer sur l’affaire Jolivet, à l’émission Enquête.

Le scientifique n’a jusque-là aucun intérêt pour les affaires criminelles, aucune connaissance juridique. Mais il est « choqué qu’on ait caché toute la preuve à décharge ». Il commence à s’intéresser à l’affaire. Et plus il en apprend, plus il est renversé.

Depuis bientôt cinq ans qu’il la décortique, l’homme a pratiquement fait une sorte de doctorat sur cette affaire, lisant le moindre document, engageant un enquêteur privé, rencontrant des témoins…

Pour lui, ça ne fait aucun doute : Jolivet est innocent. Le meurtrier, il en est convaincu, comme l’ont avancé les avocats de Jolivet, c’est l’ex-flic Riendeau, devenu un bandit, puis un indicateur de police. Ce Riendeau qui a appelé la police avant même que les meurtres ne soient connus, et qui a mis le tout sur le dos de Jolivet.

Mais il a beau être une star dans le domaine des mammifères marins, Béland est un méné dans le milieu de la justice. Quand il prend contact avec l’avocate de Jolivet, Lida Sara Nouraie, elle est plus que sceptique. L’affaire est déjà assez lourde, a-t-on vraiment besoin d’une âme sensible amie des baleines ?

Mais bon, si quelqu’un veut consacrer du temps à aider son client, pourquoi pas…

« Qu’est-ce que tu peux faire pour moi ? demande Jolivet du pénitencier.

– Je vais raconter ton histoire, nous allons raconter ton histoire ensemble.

– Si c’est pour l’argent, ça m’intéresse pas. »

Béland explique qu’il veut simplement redresser une injustice.

Jolivet avait fait ses recherches.

« Je sais qui tu es. Si t’es capable de sauver une baleine, t’es peut-être capable de sauver un gars échoué en prison depuis 25 ans. »

Ainsi est née une amitié improbable et un manuscrit à paraître cette année. Le livre passe en revue chaque détail et tente de démontrer l’erreur judiciaire.

Ce qu’il a trouvé ? Encore plus d’invraisemblances. Prises isolément, elles ne sont pas des preuves d’innocence. Mais additionnées, elles mènent à une conclusion minimale inévitable : le procès de Jolivet n’a été ni juste ni équitable. Trop de faits troublants subsistent pour ne pas penser qu’une erreur judiciaire a pu être commise.

Parmi les faits qui « ne prouvent rien », Béland a retrouvé le délateur Claude Riendeau et le supposé complice de Jolivet, Paul-André St-Pierre. Les deux habitent près de Calgary.

Étrange coïncidence.

MNouraie a appelé St-Pierre et enregistré leur conversation. Il commence par dire son étonnement que Jolivet n’ait pas encore avoué les meurtres. Puis il glisse ce détail compromettant : oui, le matin suivant les meurtres, la « cruche » d’argent qui provenait de chez Lemieux s’est retrouvée chez lui. Quiconque a transporté cette bouteille d’eau vide est lié à la scène de crime. Dans la conversation, St-Pierre dit que Riendeau l’a apportée. Puis il se ravise : c’est Jolivet. Mais ni lui ni Riendeau n’avaient parlé de cet objet auparavant.

ILLUSTRATION MARIE-HÉLÈNE ST-MICHEL, COLLABORATION SPÉCIALE

Quelques jours après cette conversation de 2019, l’homme avait changé son numéro de téléphone.

En 2019, malgré de nouveaux éléments au dossier, le GRCC rejette pour la troisième fois la demande de Jolivet. Rien de vraiment déterminant dans tous ces détails, dit le GRCC.

ILLUSTRATION MARIE-HÉLÈNE ST-MICHEL, COLLABORATION SPÉCIALE

Ce n’est pas la fin de l’histoire pour autant. En 2020, MNouraie envoie au GRCC les résultats d’un test de polygraphe de Jolivet. Conclusion du polygraphiste Alain Lépine : Jolivet dit la vérité en affirmant ne pas avoir tué ces quatre personnes à Brossard en 1992.

Le « détecteur de mensonge » n’est pas admissible en cour, bien sûr, mais couramment utilisé dans les enquêtes. Il est souvent utilisé pour « tester » les délateurs – mais pas Riendeau.

La pièce « nouvelle » la plus importante est cependant le rapport de 300 pages de l’ingénieur Ryk Edelstein. Le spécialiste en téléphonie, qui a travaillé avec plusieurs corps policiers, défait la preuve de la localisation de Jolivet à partir des données cellulaires.

Jolivet dit qu’il s’est présenté chez la victime Denis Lemieux à Brossard à minuit, et qu’il y a récupéré une photo laminée de lui et de sa fiancée – faite par la femme de Lemieux. Il a quitté les lieux 15 minutes plus tard et a reconduit St-Pierre chez lui à Pointe-Saint-Charles. Il en est reparti vers 0 h 45.

Des appels de son téléphone (fixe dans sa voiture) ont été captés par la tour cellulaire Angrignon, ce qui accrédite sa version. Mais au procès, les policiers ont démontré qu’à l’époque, un appel fait à Brossard pouvait être capté par une tour dans l’île de Montréal.

  • De sa cellule, Daniel Jolivet a fait des cartes et des tableaux pour reconstituer la séquence des déplacements et des appels téléphoniques.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    De sa cellule, Daniel Jolivet a fait des cartes et des tableaux pour reconstituer la séquence des déplacements et des appels téléphoniques.

  • De sa cellule, Daniel Jolivet a fait des cartes et des tableaux pour reconstituer la séquence des déplacements et des appels téléphoniques.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    De sa cellule, Daniel Jolivet a fait des cartes et des tableaux pour reconstituer la séquence des déplacements et des appels téléphoniques.

  • De sa cellule, Daniel Jolivet a fait des cartes et des tableaux pour reconstituer la séquence des déplacements et des appels téléphoniques.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    De sa cellule, Daniel Jolivet a fait des cartes et des tableaux pour reconstituer la séquence des déplacements et des appels téléphoniques.

  • De sa cellule, Daniel Jolivet a fait des cartes et des tableaux pour reconstituer la séquence des déplacements et des appels téléphoniques.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    De sa cellule, Daniel Jolivet a fait des cartes et des tableaux pour reconstituer la séquence des déplacements et des appels téléphoniques.

  • De sa cellule, Daniel Jolivet a fait des cartes et des tableaux pour reconstituer la séquence des déplacements et des appels téléphoniques.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    De sa cellule, Daniel Jolivet a fait des cartes et des tableaux pour reconstituer la séquence des déplacements et des appels téléphoniques.

  • De sa cellule, Daniel Jolivet a fait des cartes et des tableaux pour reconstituer la séquence des déplacements et des appels téléphoniques.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    De sa cellule, Daniel Jolivet a fait des cartes et des tableaux pour reconstituer la séquence des déplacements et des appels téléphoniques.

1/6
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Bref, le rapport, produit l’an dernier, conclut que les données cellulaires et le système de l’époque ne permettent pas de « placer » Jolivet sur les lieux du crime à l’heure du crime. On suppose que Lemieux était encore vivant à 1 h 37 cette nuit-là, car un appel est fait chez lui à cette heure du téléphone de St-Pierre.

La version de Jolivet a toujours été la suivante. Il a été sur les lieux des crimes, mais en est parti avant le massacre.

À 0 h 15, il va chez Leblanc, lui remet 20 000 $ de la vente partielle d’un kilo de coke par St-Pierre, plus le kilo non vendu par Riendeau. Il va ensuite chez Lemieux, dans le même immeuble, et récupère sa photo. Puis il reconduit St-Pierre chez lui. Il laisse à St-Pierre son permis de mariage mexicain et la photo de sa fiancée – car il a encore une blonde au Québec qui ne connaît pas son projet matrimonial et en serait furieuse. Il roule en ville, reçoit un appel de sa sœur à 2 h 18, puis appelle sa blonde à 2 h 28 et 2 h 35. Va au dépanneur acheter du Pepsi et du lait, éteint son téléphone d’auto à 3 h 18 et entre se coucher chez sa blonde à Châteauguay.

Les relevés cellulaires montrent que ses appels sont captés par la tour de Bell à Brossard à 0 h 32, puis celle d’Angrignon à Montréal à 0 h 58, ce qui semble corroborer sa version. Mais au procès, les experts de la Couronne ont avancé que les appels de Brossard près du fleuve pouvaient aussi être captés à Angrignon.

Encore une fois, cette preuve technique nouvelle n’innocente pas Jolivet. Mais elle invalide la preuve de téléphonie cellulaire de la poursuite au procès, qui plaçait Jolivet sur les lieux du crime à l’heure fatale (après 1 h 37).

Pour Jolivet, c’est Riendeau lui-même qui a commis les meurtres, avec la complicité de St-Pierre, qu’il est allé chercher chez lui vers 1 h du matin.

La blonde de St-Pierre a témoigné avoir vu St-Pierre en train de boire et pleurer seul dans sa cuisine vers 4 h. Il a dit avoir fait les meurtres avec Jolivet, mais sa version n’a même pas été retenue par la police. Et il habite maintenant en Alberta à quelques kilomètres de son vieux complice dans le crime Riendeau.

Ces nouvelles pièces vont-elles finalement convaincre le GRCC d’au moins faire passer le dossier au stade de l’enquête formelle ?

Lida Sara Nouraie ne perd pas espoir.

À ce jour, je n’ai même pas encore reçu toute la preuve ! Toute la preuve qui nous a été cachée, juste ça en soi, justifie un nouveau procès. Les contre-interrogatoires auraient été différents. Daniel aurait pu décider de témoigner.

MLida Sara Nouraie, avocate de Daniel Jolivet

  • L’avocate Lida Sara Nouraie

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    L’avocate Lida Sara Nouraie

  • Me Nouraie transporte une partie du dossier.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    Me Nouraie transporte une partie du dossier.

  • Un fragment du dossier Jolivet

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    Un fragment du dossier Jolivet

1/3
  •  
  •  
  •  

Car le GRCC a reproché à Jolivet de ne pas avoir pris la parole à son procès – un reproche que le GRCC n’a pas adressé à l’ex-juge Jacques Delisle, qui lui aussi a exercé son droit au silence à son procès pour meurtre, lui qui n’avait pourtant commis aucun crime, et qui a eu droit à un réexamen et à un nouveau procès.

« J’ai 65 ans, ça fait 30 ans que je suis ici… Je me regarde dans le miroir, je me reconnais pas… »

Il appelle son avocate presque tous les jours. Espère un mouvement. Une nouvelle.

« Lida a fait tout en son pouvoir pour me sortir d’ici. Tout. Même plus ! »

Exaspérée par les refus du GRCC, l’avocate a même lancé à un avocat de l’organisme : « Si vous avez une preuve de la culpabilité, donnez-la-moi, on va arrêter de perdre notre temps, ça fait 20 ans qu’on travaille sur ce dossier ! »

Rien n’est venu, bien sûr.

« Ce qui m’habite, c’est que je crois en la justice. Des erreurs, c’est possible, et on aura un meilleur système si on les reconnaît et on les corrige.

« Je suis tellement impressionnée par le fait que Daniel continue à se battre. Ç’aurait été facile pour lui de reconnaître les crimes et d’être libéré. Mais il a tout le temps clamé son innocence, et ça fait 30 ans qu’il voulait passer un test de polygraphe. Oui, je crois qu’il n’a pas seulement subi un procès injuste. Il est innocent. »

Les individus impliqués

Deux des victimes

  • Denis Lemieux : important trafiquant de drogue de la Rive-Sud
  • François Leblanc : trafiquant de drogue, lieutenant de Denis Lemieux

Les protagonistes

Daniel Jolivet : coaccusé des quatre meurtres. Condamné à l’emprisonnement à perpétuité en 1994.

Paul-André St-Pierre : coaccusé des quatre meurtres

Claude Riendeau : ex-policier, trafiquant de drogue et d’armes, témoin principal contre Daniel Jolivet