(Québec) Les lignes directrices prévues par le gouvernement pour encadrer les interpellations policières pourraient être « potentiellement politisées ».

L’Association des directeurs de police du Québec (ADPQ) a ainsi exprimé ses craintes, mercredi, concernant le projet de loi 14, actuellement à l’étude, qui menacerait l’indépendance des forces de l’ordre.

Dans un article de ce texte législatif, le gouvernement veut en fait encadrer les interpellations policières avec des lignes directrices encore à définir, à la suite d’un jugement rendu en octobre par la Cour supérieure, qui condamne ce type d’intervention en l’associant à du « profilage racial ».

Mais en commission parlementaire mercredi après-midi, le directeur de l’ADPQ, Pierre Brochet, a exprimé de sérieuses réserves : ce serait la première fois qu’on étendrait le pouvoir du ministère de la Sécurité publique à donner des lignes directrices, a-t-il suggéré.

« On entrerait dans les enquêtes ou les opérations policières en dictant aux directeurs et aux services policiers la façon de faire les choses, c’est ma préoccupation », a dit le haut-gradé de la police au ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel.

Il craint qu’un ministre intervienne au gré des manchettes du moment.

« En fonction de pressions médiatiques ou de crise médiatique, certains gouvernements pourraient être tentés de mettre en place des actions par l’entremise de lignes directrices. »

M. Brochet a évoqué la crise étudiante de 2012, quand le gouvernement de l’époque était sous pression.

« Est-ce que le gouvernement aurait alors été tenté de donner des lignes directrices aux policiers pour calmer le jeu ? »

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Le directeur de l’Association des directeurs de police du Québec, Pierre Brochet

Ou encore, si un incident dramatique survient où les policiers font usage de la force, le gouvernement pourrait être tenté d’interdire la méthode employée, sans analyse ou étude.

Les forces de l’ordre doivent être indépendantes, il en va de leur crédibilité comme de celle de la justice, a plaidé le président de l’ADPQ. Si le gouvernement tient à imposer ses lignes directrices dans son projet de loi, alors l’ADPQ insiste pour être partie prenante dans leur élaboration.

L’APDQ tient en outre à conserver les interpellations policières. L’organisme fait valoir que de 40 % à 60 % des arrestations pour facultés affaiblies sur la route sont effectuées grâce à l’article 636 du Code de la sécurité routière, qui permet à l’agent d’autoriser que « le conducteur d’un véhicule routier immobilise son véhicule ». C’est cet article qu’a invalidé le juge Michel Yergeau de la Cour supérieure en octobre, une décision que Québec porte en appel.

Par ailleurs, en ce qui a trait à l’interpellation aléatoire de piétons, l’ADPQ soutient que cette pratique est déjà impossible.

L’interpellation ne peut être aléatoire, car un policier doit avoir des « motifs » et des « soupçons » pour agir, a plaidé M. Brochet.

Cependant, l’ADPQ a admis que d’éventuelles lignes directrices pourraient aider à mettre fin au profilage racial.

« Ce serait un grand pas en avant », a conclu le président de l’association.

Or mardi, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) soutenait qu’une loi ne suffira pas pour mettre fin au profilage racial.

Le syndicat des policiers de la Ville de Montréal a pour sa part mis en garde le ministre François Bonnardel contre un encadrement trop strict de lignes directrices qui compromettrait la sécurité de la population et la lutte aux gangs de rue.

Rappelons qu’en octobre dernier, le juge Yergeau a ordonné la fin des interceptions aléatoires, parce qu’elles donnent bel et bien lieu à du profilage racial et parce que la violation des droits de ceux qui en sont victimes n’est plus tolérable.

Le juge a conclu que les corps policiers n’arriveront pas à éliminer le profilage si on ne les empêche pas d’arrêter n’importe qui n’importe quand.

À l’issue d’une preuve démontrant que « les personnes noires ont, au moins, deux fois plus de chances de se faire interpeller que les personnes blanches », le juge a conclu que « le profilage racial existe bel et bien » et que c’est « une réalité qui pèse de tout son poids sur les collectivités noires ».

En outre, le magistrat estimait qu’on ne lui avait pas fait la démonstration que les interpellations aléatoires permettaient d’améliorer le bilan routier.