Cascadeurs, faux blessés, véhicules accidentés plusieurs fois : le SPVM enquête sur une série suspecte d’accidents de la circulation, soupçonnant des mises en scène pour réaliser des fraudes.

Le 22 juin 2021, 21 h 37. Une violente collision impliquant quatre véhicules, deux en mouvement et deux garés, survient à l’angle du boulevard Léger et de la rue Lanthier, dans Montréal-Nord.

Pompiers et policiers dépêchés sur les lieux portent secours aux occupants et recueillent leurs déclarations, qui concordent toutes.

Mais l’animation qui règne dans la rue attire un badaud, résidant du secteur. « Venez chez moi, dit-il aux policiers, j’ai une caméra de surveillance qui a capté la scène. »

Les patrouilleurs visionnent les images. Celles-ci montrent une histoire tout autre que celle racontée par les conducteurs et passagers des véhicules impliqués.

Avant l’impact, la caméra a capté un va-et-vient entre individus à pied ou en voiture, qui discutent, et les véhicules qui s’immobilisent, semblant attendre un signal.

Puis la collision se produit, vraisemblablement intentionnelle.

Le conducteur d’une Mazda impliquée sort par une fenêtre, se déplace en courbant le dos, se redresse plus loin, puis s’éloigne.

Au même moment, un autre véhicule se présente sur les lieux, une femme en sort et s’assied dans la Mazda, faisant croire aux policiers que c’est elle qui était au volant.

Cascadeurs au volant

Cette « collision orchestrée » et au moins six autres survenues entre mai 2021 et avril 2022 dans les secteurs Rivière-des-Prairies et Montréal-Nord sont au cœur d’une enquête menée par la Division des crimes économiques du SPVM contre un réseau de fraudeurs qui auraient floué, ou tenté de flouer, la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) et des compagnies d’assurances, a appris La Presse.

Le montant total de la fraude s’élèverait à plusieurs dizaines de milliers de dollars.

Selon un document judiciaire obtenu par La Presse, au moins une vingtaine d’individus, dont des figurants et des prête-noms, auraient facilité les activités de ce réseau dirigé par deux individus ayant des liens avec des courtiers en véhicules.

Durant certaines de ces fausses collisions, des cascadeurs se sont retrouvés au volant des véhicules avant l’impact et ont fui les lieux immédiatement après, remplacés par des personnes, hommes ou femmes, qui se sont fait passer pour les conducteurs et ont fait des déclarations mensongères aux policiers.

Dans plusieurs cas, au moins trois véhicules ont été impliqués dans les collisions. Ces véhicules ont la plupart du temps été achetés chez un courtier de mèche ou payés comptant auprès d’un particulier, et assurés quelques semaines ou quelques jours avant la collision, même la veille dans l’un des cas.

Les odomètres de certains véhicules ont été reculés, dont l’un de plus de 130 000 kilomètres, pour augmenter la valeur des réclamations.

Dans d’autres cas, des véhicules étaient déjà accidentés avant la collision, ce que ne déclaraient pas les suspects après l’impact.

Pour une seule de ces collisions orchestrées, survenue le 22 mai 2021 à l’angle du boulevard Henri-Bourassa et de la rue Arthur-Nantel, deux compagnies d’assurances différentes ont versé en indemnisations un total de 38 000 $ à deux des suspects.

Une autre fois, c’est une indemnisation de 20 000 $ qui a été versée par une compagnie d’assurances à l’un des suspects et deux autres fois, des sommes de 17 000 $.

Le chef présumé du réseau reçoit des indemnités de la SAAQ, mais la demande a été refusée pour trois autres suspects qui auraient pu recevoir jusqu’à 1215 $ toutes les deux semaines.

Filmés en flagrant délit

Le 13 avril 2022, lors d’une collision impliquant cinq véhicules à l’angle des rues Chaminade et de Louvois, une caméra de surveillance du secteur a permis aux policiers de constater qu’il s’agissait d’une autre mise en scène.

Un des véhicules impliqués a été poussé par trois suspects qui l’ont placé dans l’intersection.

Après la collision, le conducteur de l’un des véhicules, un Volkswagen Tiguan, a quitté le siège du conducteur du VUS et un autre a pris sa place. Celui-ci a appelé le 911 à deux reprises, réclamant une présence policière.

Sa compagnie d’assurances lui a versé 5000 $ pour qu’il fasse réparer son véhicule. Mais deux mois et demi plus tard, le même VUS, vendu depuis, a été impliqué dans une collision douteuse pour laquelle le nouveau propriétaire a reçu une indemnisation de 13 000 $. Les autorités se sont toutefois alors rendu compte que la première réparation n’avait jamais été effectuée.

Des communications compromettantes

C’est le témoignage du premier badaud, le fait qu’une autre collision orchestrée ait été préparée et réalisée sous les yeux d’un policier en civil et les images de caméras de surveillance qui ont permis aux enquêteurs de la Division des crimes économiques du SPVM de déclencher cette enquête.

Les enquêteurs de la SAAQ et des compagnies d’assurances flouées ont réalisé avoir été victimes d’arnaques et sont parvenus à les empêcher dans certains cas. Ils ont également fourni des informations importantes aux policiers.

Ceux-ci ont notamment analysé les registres téléphoniques des principaux suspects durant le printemps et l’été 2021 et constaté qu’un d’entre eux a communiqué des centaines de fois avec des individus présumément impliqués dans les fraudes, et que plusieurs des personnes impliquées dans les collisions communiquaient entre elles avant et après l’impact.

L’enquête se poursuit et les suspects pourraient éventuellement être accusés de fraude et de complot.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.