Celle qui accuse le cardinal Marc Ouellet de l’avoir agressée, connue jusqu’ici sous le nom de « Mme F », sort de l’ombre pour changer l’Église « de l’intérieur ».

Paméla Groleau est arrivée à la rencontre de presse avec un pendentif en forme de croix porté bien en évidence à son cou.

Car malgré les « menaces » et « l’intimidation » d’une institution qui « tente de la faire taire » depuis plus de deux ans, l’agente de pastorale de 38 ans est toujours « membre et représentante » de l’Église catholique.

Celle que l’on a baptisée « Mme F » dans les documents judiciaires a choisi de révéler son identité aujourd’hui pour dénoncer à visage découvert le cardinal Marc Ouellet.

Même si elle « a mal à son Église », Mme Groleau est d’ailleurs toujours employée par un diocèse qu’elle préfère ne pas nommer.

Car elle a « besoin de croire en quelque chose de plus grand que l’humain ». Elle veut changer l’institution « de l’intérieur ».

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Malgré tout, Paméla Groleau « croit encore en la pertinence » de l’Église catholique.

Alors que Paméla Groleau était stagiaire et lui archevêque de Québec, affirme-t-elle, le cardinal Ouellet l’a agressée sexuellement.

De son côté, le cardinal nie « catégoriquement » l’avoir agressée. Il a déposé une poursuite de 100 000 $ pour diffamation contre elle il y a un mois.

« Ce combat, je le fais pour moi, mais aussi pour toutes les victimes du clergé qui depuis des décennies cherchent à être entendues et reconnues », a expliqué l’agente de pastorale qui a convié une poignée de journalistes au bureau du cabinet d’avocats Arsenault Wee Dufresne à Montréal plus tôt cette semaine.

Au départ, c’est le cardinal Ouellet qui a demandé de protéger l’identité de « Mme F » au moment où il a déposé la poursuite en diffamation.

Alors que l’ordonnance prend fin ce vendredi, Mme Groleau ne compte pas demander qu’elle soit reconduite. C’est pourquoi les médias peuvent désormais la nommer.

« Ce combat, je le mène pour retrouver ma dignité qui m’a été arrachée », dit-elle. Et parce qu’elle « croit encore en la pertinence » de l’Église catholique.

« Ça fait partie de son processus de guérison […] de se faire reconnaître comme victime », ajoute son avocat, MAlain Arsenault, dont le cabinet mène le plus d’actions collectives contre des congrégations religieuses au Québec.

Le cardinal Ouellet fait partie d’un groupe d’une centaine de prêtres et de membres du personnel du diocèse de Québec nommés dans une demande d’action collective pour des agressions sexuelles commises entre 1942 et 2018. Cette demande d’action collective a été déposée en août dernier ; d’emblée, le cardinal a tout nié.

Mme Groleau lui reproche des attouchements non sollicités, une main qui descend dans le dos jusqu’au début des fesses et des commentaires déplacés survenus à quatre moments distincts alors qu’elle était stagiaire au diocèse de 2008 à 2010.

Des actes qui peuvent être qualifiés « de prime abord de gestes de mononcle », convient MArsenault. Mais des « gestes de mononcle, ça peut être aussi une agression sexuelle », poursuit-il.

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MAlain Arsenault

Dans ce cas-ci, aux yeux de l’avocat en droit civil, il s’agit bien d’agression sexuelle en raison du rapport d’autorité entre Marc Ouellet et la stagiaire – alors dans la jeune vingtaine – ainsi que d’une « série de gestes de plus en plus intrusifs qui se terminent par un geste où on passe du dos aux fesses ».

Lettre au pape

Avant de se tourner vers la justice civile, Mme Groleau a suivi le processus interne de plaintes au diocèse de Québec. Il y a deux ans, elle a déposé une plainte contre deux personnes – sans les nommer au départ – à un comité-conseil formé de bénévoles.

Le comité traite la plainte contre la première personne : un prêtre qui vit toujours au Québec et qui sera finalement suspendu.

Mais quand Mme Groleau nomme le cardinal Ouellet, on lui demande d’écrire au pape.

La Presse a pu consulter cette lettre envoyée au pape dans laquelle elle raconte sa première rencontre avec le cardinal Ouellet. Après un repas où ils ont été présentés, alors qu’elle était assise dans la salle de conférence, elle a senti deux mains se poser sur ses épaules et se mettre à les masser avec force.

« J’ai levé les yeux et c’était le cardinal Ouellet qui se tenait derrière moi, me massant les épaules, écrit-elle dans sa lettre au pape. Il m’a regardée, m’a souri et m’a caressé le dos. Il est reparti. Je ne me souviens plus s’il m’a dit quoi que ce soit. J’étais figée devant cette intrusion inusitée dans mon intimité. »

Elle raconte avoir été troublée et en avoir discuté avec des collègues.

« Dans les mois qui ont suivi, j’ai été appelée à participer à d’autres évènements. Chaque fois que Monseigneur était présent, j’avais droit à des embrassades avec des caresses du dos, poursuit-elle. Cette trop grande familiarité m’a mise tellement mal à l’aise que je redoutais ces évènements. »

Dans sa lettre au pape, Mme Groleau ne parle pas d’« agression sexuelle », alors que dans l’action collective, le terme agression est utilisé, fait valoir pour sa part le cardinal Ouellet dans sa poursuite en diffamation.

L’agente de pastorale explique avoir « toujours su » que « ce n’était pas normal », mais à l’époque, elle était incapable d’employer le terme « agression sexuelle ».

Le Vatican a chargé un prêtre belge – une « bonne connaissance » du cardinal Ouellet, affirme MArsenault – de mener une enquête qui s’est résumée à une entrevue virtuelle d’une durée de moins d’une heure.

« Il a fallu que Mme Groleau insiste pour obtenir une réponse [au terme de l’entretien] », déplore MArsenault. Conclusion du Vatican : il n’y avait pas matière à poursuivre l’enquête.

En finir avec les « non-dits »

Après être passée par les processus de dénonciation internes, elle réclame aujourd’hui des « mécanismes neutres, impartiaux, indépendants, rigoureux et professionnels ».

L’agente de pastorale ne s’est sentie ni guidée ni soutenue. « Je l’ai vécu comme une deuxième agression. Ça a été très perturbant, très souffrant », décrit-elle.

MArsenault parle carrément d’enquête « bidon ».

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Aujourd’hui, Mme Groleau souhaite que l’Église catholique « affronte les abus plutôt que de les nier ».

C’est en consultant l’avocat en droit civil qu’elle a compris, dit-elle, qu’elle avait été victime d’une agression. Si c’était à refaire, elle ne se soumettrait pas aux enquêtes internes.

Aujourd’hui, Mme Groleau souhaite que l’Église catholique « affronte les abus plutôt que de les nier ».

L’agente de pastorale craint de perdre son emploi. « Le patron de mon évêque, c’est Marc Ouellet », indique-t-elle.

Mme Groleau dit avoir reçu des menaces anonymes ainsi qu’une lettre envoyée en copie conforme à d’anciens collègues du diocèse de Québec qui la sommait de se retirer de l’action collective, à défaut de quoi une enquête indépendante révélerait qu’elle était une menteuse et une manipulatrice. Sa santé a été « mise à rude épreuve ».

De son côté, le cabinet LCM Avocats qui représente le cardinal affirme dans sa poursuite en diffamation que « même si nous prenions pour avérés les faits reprochés par Mme F, lesquels sont niés catégoriquement, ceux-ci ne peuvent se qualifier comme une agression sexuelle en espèce ». Il dit qu’il n’a aucun souvenir d’avoir rencontré Mme Groleau et que sa réputation internationale a été grandement ternie. Le cabinet n’a pas répondu à nos demandes d’entrevue formulées par courriel et par téléphone ces deux derniers jours.

Des rencontres de négociations sont prévues à la fin du mois avec le diocèse de Québec pour tenter d’en arriver à un règlement à l’amiable. Il est toutefois « hors de question » de retirer le nom du cardinal Ouellet de l’action collective, avertit MArsenault.

Quant à la poursuite en diffamation, Mme Groleau compte la contester. « Nous avons bien hâte d’interroger M. Ouellet », conclut son avocat.

Mme Groleau entend bien rester forte pour inciter d’autres victimes à s’inscrire aux demandes d’actions collectives contre les abus de membres de l’Église.

« Tant que le ménage ne sera pas fait, qu’il va rester des non-dits, des blessures, des souffrances de cet ordre-là, dit-elle, je pense qu’on n’arrivera pas à aller de l’avant, à bâtir quelque chose de neuf. »