Deux hommes tués par balle à trente minutes d’intervalle. En plein jour. Dans des endroits publics très fréquentés par les Montréalais. La flambée de violence par armes à feu ne semble pas s’estomper dans la métropole et ravive les inquiétudes des résidants.

Mardi après-midi. Des touristes du sud-ouest de la France s’arrêtent au centre commercial Rockland pour dîner. Impossible de quitter l’endroit une fois le repas terminé, constatent-ils avec stupeur. Un homme a été tué à quelques mètres de leur véhicule.

« Heureusement, nous n’étions pas encore dans la voiture », explique Olivia Duthilleul.

Ils devaient retourner leur fourgonnette de location mardi après-midi et prendre l’avion mercredi. Les policiers leur ont confirmé qu’ils n’auraient pas accès à leur véhicule avant minuit.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Stationnement du centre Rockland

Un homme dans la quarantaine a été atteint par balle vers 12 h 55 dans le stationnement du centre commercial, situé sur le chemin Rockland, près de l’avenue Sloane, à Mont-Royal.

Un périmètre de sécurité, qui longe l’avenue Sloane, dans Mont-Royal, empêchait les clients de quitter les lieux avec leur véhicule. L’attente pourrait s’étirer jusqu’à mercredi matin, a expliqué un policier sur place.

L’homme de 44 ans, blessé par projectiles d’arme à feu, a succombé à ses blessures, ont confirmé des sources à La Presse. Il s’agit de Maxime Lenoir, un individu lié aux motards, selon nos sources.

« C’est la première fois que je pense quitter le quartier pour quelque part de plus sécuritaire », a indiqué Rafsan Junaid, résidant de Parc-Extension depuis 1994.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Rafsan Junaid et son fils

La fusillade s’est déroulée à quelques coins de rue de son appartement. Le père de famille s’inquiète de voir de tels évènements survenir dans son quartier plus fréquemment.

« C’est fou, c’est fou ! », se désole Steven Nasra, résidant de Mont-Royal. La fusillade a eu lieu juste devant chez lui, de l’autre côté de la clôture qui sépare sa rue du stationnement du centre Rockland. « C’est inquiétant », souligne M. Nasra. « Il y a seulement une clôture qui nous sépare. Mon fils aurait pu se faire frapper », affirme-t-il. Sa compagne a entendu les coups de feu de la rue en promenant son chien. « Elle était dans tous ses états », nous a indiqué Steven Nasra, qui vient d’installer des caméras de surveillance dans sa cour.

À la fermeture du centre commercial, plusieurs voitures étaient encore dans le périmètre de sécurité.

Environ 30 minutes plus tard, un autre homme a été atteint par balle rue Saint-Denis, au sud de la rue Ontario, dans le Quartier latin. Diego Fiorita, 50 ans, était attablé au restaurant Napoli lors de l’attaque. Selon nos informations, cette seconde victime a également succombé à ses blessures.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE DIEGO FIORITA

Diego Fiorita

« C’était un habitué. Il venait souvent, il mangeait à la même table chaque fois », a précisé le propriétaire de la pizzeria, Vincenzo Montuori. Ce meurtre violent survenu en plein jour dans son établissement l’a laissé « bouche bée », a-t-il expliqué, visiblement inquiet.

Dettes et drogue

Les deux hommes tués en plein jour gravitaient autour du milieu criminel.

Selon nos informations, une dette causée par une importation de drogue qui a avorté aux États-Unis serait l’une des hypothèses derrière le meurtre de Maxime Lenoir, la première victime.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Maxime Lenoir, abattu dans le centre commercial Rockland, gravitait autour du milieu criminel.

En juin 2020, sa résidence de Terrebonne avait été perquisitionnée par les enquêteurs de la Sûreté du Québec (SQ) au cours du démantèlement en Estrie de l’un des plus gros laboratoires clandestins de fabrication de méthamphétamines jamais découverts dans la province.

M. Lenoir n’avait toutefois pas été arrêté. Il n’a aucun antécédent criminel au Québec, selon nos recherches.

Le défunt aurait toutefois eu des liens avec un clan de la mafia montréalaise et avec certains membres des Hells Angels de la section de Montréal. La police le soupçonnait d’être impliqué dans l’importation de cocaïne et la fraude.

M. Lenoir aurait d’ailleurs eu des contacts établis en Amérique du Sud et était considéré par la police comme un trafiquant indépendant. En mars 2017, un petit avion bourré de 130 kg de cocaïne, piloté par deux Québécois, s’était posé d’urgence en Ohio, aux États-Unis.

Un mois plus tard, un enquêteur de la Division du crime organisé du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) avait raconté en cour que l’un des suspects derrière cette importation — des frères considérés par la police comme faisant partie du crime organisé du Proche-Moyen-Orient (PMO) – avait rencontré Maxime Lenoir à Laval.

Le témoin avait ajouté que M. Lenoir avait déjà été arrêté dans le passé pour avoir fait du transport de cocaïne et qu’il aurait géré une route entre les pays du Sud et le Canada.

Diego Fiorita, la seconde victime, avait quant à lui survécu à une tentative de meurtre en janvier 2020 dans le quartier Ahuntsic, à Montréal, selon nos informations. L’évènement était lié à une histoire de prêt usuraire et de dettes.

Une population à rassurer

La police de Montréal sera « à pied d’œuvre dans les secteurs touchés pour rassurer les citoyens », a assuré mardi le cabinet de la mairesse de Montréal, Valérie Plante. Comme c’est souvent le cas lors d’évènements violents, le SPVM aura des brigades de sécurisation dans le Centre-Sud et à Mont-Royal, pour répondre aux questions de la population. « Toutes les ressources nécessaires sont mises en place pour faire la lumière sur ces crimes », a promis Mme Plante dans un tweet.

Au sein de l’entourage de Mme Plante, on réitère que la mairesse entend faire de la sécurité publique un enjeu central de la campagne provinciale, cet automne. La Ville souhaite voir les chefs des principaux partis politiques se positionner « très haut et fort » sur la question des armes et leur circulation.

« Les évènements violents survenus aujourd’hui sont inacceptables. Je suis allée rencontrer les commerçants de la rue Saint-Denis pour leur assurer que le SPVM est à pied d’œuvre pour mener l’enquête et trouver les criminels impliqués », a ajouté Mme Plante sur sa page Facebook, vantant « l’excellent travail » des policiers montréalais.

Depuis Québec, la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, s’est d’ailleurs entretenue avec la mairesse en après-midi.

Nous comprenons l’inquiétude des citoyens. Comme toujours, nos policiers travailleront jour et nuit pour mettre la main sur les criminels impliqués.

Geneviève Guilbault, ministre de la Sécurité publique

Pour l’opposition officielle, Montréal devra toutefois changer d’approche. « Si l’administration de [Valérie Plante] prenait vraiment au sérieux l’enjeu de la sécurité publique, elle donnerait au SPVM les ressources nécessaires […]. Cette administration doit démontrer que sa priorité est la quiétude des citoyens », affirme le critique en sécurité publique, Abdelhaq Sari. Ce dernier a aussi fait adopter mardi, au conseil municipal, une motion forçant la Ville à adopter une brigade des réseaux sociaux au SPVM « dans les plus brefs délais », afin de surveiller l’achat et la vente d’armes en ligne.

Le tout survient alors que lundi, dans une lettre envoyée à la mairesse, la Fraternité des policiers et policières de Montréal (FPPM) avait soutenu qu’il y avait 72 policiers en moins au SPVM qu’en novembre 2021, lorsque Mme Plante s’était engagée à embaucher 250 policiers supplémentaires en un an. La mairesse, elle, a répondu en affirmant qu’il y avait eu 229 embauches de policiers depuis novembre 2021.

En savoir plus
  • 21
    Nombre de meurtres cette année sur le territoire du SPVM, dont 12 par arme à feu
    75
    Nombre d’évènements survenus cette année impliquant des armes à feu (meurtres, tentatives de meurtre et coups de feu), selon une compilation de La Presse