Un Québécois accusé d’avoir agressé sexuellement sa fille pendant une quinzaine d’années devra finalement être jugé, a tranché vendredi la Cour suprême, en annulant l’arrêt du processus judiciaire pour délais déraisonnables décrété par la Cour d’appel du Québec. Une décision qui vient préciser les règles de l’arrêt Jordan en cas de second procès.

Essentiellement, le plus haut tribunal du pays conclut dans l’arrêt J. F. que le compteur reprend à zéro en matière de délais dès qu’une cour d’appel ordonne la tenue d’un nouveau procès criminel. Dès lors, l’accusé ne peut plus invoquer les délais déraisonnables survenus lors du premier procès, sauf circonstances exceptionnelles.

Il est également inutile d’instaurer un « nouveau plafond » de délais en cas de second procès, conclut la Cour suprême, dans une décision majoritaire à huit contre un. Les plafonds de 18 et 30 mois – selon les tribunaux – entre la mise en accusation et le dénouement du procès instaurés dans l’arrêt Jordan demeurent donc en vigueur.

Plus d’une décennie de procédures

Ce feuilleton judiciaire s’est amorcé en février 2011. Un Montréalais, maintenant âgé de 74 ans, est alors accusé d’avoir agressé sexuellement sa fille dès son jeune âge, et ce, jusqu’à la mi-vingtaine. Son procès a traîné en longueur et il a été acquitté en février 2017. Un verdict toutefois infirmé par la Cour d’appel en raison des « stéréotypes » et des « préjugés » du juge au sujet de la victime, à laquelle il reprochait d’avoir dénoncé tardivement son père.

À l’aube de son second procès, seulement 10 mois plus tard, l’accusé a bénéficié d’un arrêt du processus en raison des délais déraisonnables de son premier procès, soit plus de six ans. Une décision confirmée par la Cour d’appel du Québec en mai 2020, bien que pour des motifs différents que ceux de la juge Joëlle Roy, de la Cour du Québec.

Dans l’arrêt J. F., la Cour suprême vient remettre les pendules à l’heure. Quand une cour d’appel ordonne un nouveau procès, seuls les délais liés au second procès sont comptabilités dans le calcul des plafonds de 18 et 30 mois. Dans la présente affaire, l’accusé n’a pas « agi en temps utile » en invoquant les délais déraisonnables à son deuxième procès.

Agir tardivement nuit à la saine administration de la justice et contribue au maintien de pratiques inefficaces qui ont des incidences négatives sur le système judiciaire et sur ses ressources limitées

Richard Wagner, juge en chef de la Cour suprême du Canada

Néanmoins, les délais du premier procès pourront toujours être considérés de manière contextuelle dans l’évaluation du juge quant au caractère raisonnable en cas d’une requête Jordan au second procès.

« L’absence d’empressement à agir et de priorisation du dossier dans un contexte où les délais du premier procès excèdent le plafond applicable pourrait militer en faveur de la conclusion que le délai du deuxième procès est déraisonnable », soutient la Cour suprême.

Cela dit, seuls les délais du second procès demeureront au cœur de l’analyse. Pas question, donc, de « détourner » les délais du premier procès pour obtenir gain de cause.

Seule dissidente, la juge Suzanne Côté aurait confirmé l’arrêt du processus compte tenu des circonstances exceptionnelles du dossier.

Le dossier de J. F. revient ainsi sur le rôle de la Cour du Québec en vue de son nouveau procès.