Un front commun d’organisations journalistiques engage des procédures devant la Cour d’appel du Québec pour faire annuler les ordonnances interdisant l’accès au dossier du mystérieux « procès secret » dénoncé par la magistrature, le Barreau et plusieurs élus.

Une requête a été présentée à la Cour par un regroupement formé de La Presse, Radio-Canada/CBC, la Montreal Gazette ainsi que la Coopérative nationale de l’information indépendante, qui regroupe les quotidiens Le Soleil, La Tribune, Le Droit, Le Nouvelliste, Le Quotidien et La Voix de l’Est.

Ces médias demandent l’annulation des ordonnances de confidentialité et de mise sous scellés du dossier, ainsi qu’un nouveau débat sur les informations qui devraient rester confidentielles dans cette affaire pour protéger l’identité d’un informateur de police. Cette fois, ce débat ne serait pas mené en cachette, comme ç’a été le cas jusqu’à maintenant.

« Les ordonnances restreignant la publicité des débats judiciaires et l’accessibilité aux dossiers de la Cour, tant en première instance qu’en appel, ont été rendues en l’absence de représentants des médias auxquels aucun préavis n’a été signifié. Elles contreviennent aux règles de droit applicables énoncées et confirmées à maintes reprises par la Cour suprême du Canada », précise la requête.

Empêcher le public de juger

« Les ordonnances rendues dans la présente cause, et plus généralement la manière dont celle-ci a été menée, font en sorte que le public n’a jamais même eu la chance d’être informé de ce qui s’est déroulé devant le tribunal de première instance. Elles ont empêché le public d’analyser et de juger de l’agir judiciaire », poursuit le document.

Les demandeurs affirment que la situation est aggravée par le fait que l’existence même du procès et des procédures n’a jamais été dévoilée jusqu’à maintenant.

Il y a une énorme différence entre savoir qu’une partie d’un procès se déroule à huis clos par exemple et ignorer l’existence même de ce procès, car aucun dossier de Cour n’est ouvert ou rattaché à une procédure.

Extrait de la requête

La requête, signée par MPatricia Hénault, du cabinet Fasken Martineau Dumoulin, affirme que l’existence de ce procès secret constitue un accroc majeur à la démocratie. Elle cite une décision rendue par la Cour suprême en 2005 sur l’importance de la publicité des débats judiciaires.

« Dans tout environnement constitutionnel, l’administration de la justice s’épanouit au grand jour – et s’étiole sous le voile du secret », avait alors souligné le plus haut tribunal du pays.

Le contentieux de Québecor dans la bataille

Une autre requête présentée en parallèle par les médias de Québecor réclame la levée des scellés et l’accès à l’intégralité du dossier afin que les avocats du groupe médiatique puissent présenter leurs propres arguments sur ce qui devrait ou pas être censuré dans les procédures.

« En vertu du principe d’accessibilité des dossiers de la Cour, de la publicité des procédures judiciaires, ainsi que de la liberté de la presse et de son corollaire, la collecte d’informations, les requérantes sont en droit d’avoir accès au dossier de la Cour et à tous les documents qu’il contient », souligne cette requête, signée par MJulien Meunier, un avocat de Québecor.

Les requêtes des médias s’ajoutent à celle de la juge en chef de la Cour du Québec et du Procureur général du Québec, qui ont aussi entrepris des démarches afin de jeter un peu de lumière sur ce procès hors norme qui a été caché à la population.

La Presse a révélé récemment comment la Cour d’appel avait découvert l’existence de ce procès criminel secret dont toutes les traces avaient été effacées. Selon nos informations, la poursuite dans cette affaire était pilotée par le Service des poursuites pénales du Canada (SPPC), la Couronne fédérale. Le SPPC nie que le procès était secret, mais se dit incapable de s’expliquer davantage parce que tout est confidentiel dans le dossier.

« Déplorable », dit le juge en chef de la Cour suprême

L’accusé dans cette affaire, un informateur de police, a été condamné pour un crime sans qu’un numéro de dossier soit inscrit au rôle des affaires traitées par la cour. Le jugement qui le condamnait ne portait pas de numéro de dossier et des témoins auraient été interrogés hors de la cour, sans que les procédures soient archivées normalement au greffe d’un palais de justice. Ni le Barreau ni la juge en chef n’ont été informés qu’une procédure s’organisait en catimini, à huis clos, hors des circuits traditionnels.

« En somme, aucune trace de ce procès n’existe, sauf dans la mémoire des personnes impliquées », concluaient les trois juges du plus haut tribunal québécois chargés de réviser cette affaire.

La Cour d’appel a déterminé que cet exercice était « contraire aux principes fondamentaux de la justice », mais elle n’a pas rendu publics le nom du juge qui y a participé ni le district où il siège.

Cette semaine, le juge en chef de la Cour suprême, Richard Wagner, a qualifié l’affaire de « déplorable », au cours d’une entrevue avec Le Devoir, un quotidien qui ne s’est pas joint au front commun des médias qui contestent les ordonnances de scellé devant la Cour d’appel.

« Je me fie à votre travail pour découvrir ce qui est arrivé, ou à [celui] d’autres. Mais c’est sûr que ça n’aide pas la cause de la justice », a déclaré le juge au journaliste qui l’interrogeait.

Avec la collaboration de Daniel Renaud, La Presse