La flambée de violence qui a frappé Montréal cette année laisse un triste bilan. Pas moins de 37 personnes ont été tuées dans la métropole cette année, un record depuis 2010. Retour sur une année marquée par les meurtres par armes à feu, où l’insécurité des résidants a fait les manchettes.

37 vies fauchées

À Montréal, 37 personnes ont été tuées cette année. Du jamais vu depuis 2010. Des jeunes vies fauchées par des conflits frivoles. Des règlements de comptes liés aux gangs de rue. Des femmes tuées par leur conjoint ou ex-partenaire.

C’est dans les derniers moments de 2021 que ce triste bilan s’est alourdi. Juste en décembre, cinq personnes ont été assassinées.

« Le plus frappant, c’est au niveau des armes à feu », constate le commandant Paul Verreault, des Crimes majeurs du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), lors d’une entrevue réalisée début décembre.

Nos évènements impliquant des armes à feu sont surtout survenus dans des quartiers résidentiels.

Paul Verreault, du SPVM

L’impact est clair, poursuit-il. Ce phénomène joue sur le sentiment de sécurité des résidants, moins surpris par une fusillade passé minuit devant un bar que par des coups de feu à 18 h près d’une école.

L’année 2021 a connu une nette augmentation des règlements de comptes, indique le commandant.

Dans les dossiers d’armes à feu, on parle le plus souvent d’armes de poing.

Et dans la rue, on parle de ces armes comme on parle de la météo.

La culture des armes, c’est avant tout la culture de la peur et de la méfiance envers les autorités, soutient un membre de gang de rue à La Presse. « Si tu sais que [l’ennemi] possède une arme, tu vas te [procurer] une arme. Tu ne vas pas sortir souvent sans protection. Les [jeunes de certains quartiers, de certains milieux], ils n’appelleront pas la police pour régler leur problème. »

Enquêtes non résolues

Dans la plupart des enquêtes toujours en cours, le manque de collaboration des témoins et de l’entourage de la victime explique le nombre d’enquêtes non résolues.

Dans la moitié des 34 dossiers de meurtres, aucun suspect n’a été arrêté. Rappelons toutefois que cinq meurtres sont survenus ce mois-ci seulement.

Pour certains homicides qui ont fait la manchette cette année, les assassins courent toujours. « Souvent, on n’a pas de coopération des témoins dans les dossiers de règlement de comptes. Les enquêteurs partent avec la scène de crime et il faut un travail très approfondi. », explique Paul Verreault.

Les acteurs importants ne collaborent pas et ça crée des embûches importantes.

Paul Verreault, du SPVM

L’enquête sur le triple meurtre à Rivière-des-Prairies début août, qui a secoué la métropole et la classe politique, s’est soldée par des arrestations quelques mois plus tard.

« Ç’a a été l’évènement marquant qui a fait partir Centaure. Les enquêteurs sont parvenus à identifier les présumés meurtriers. Ça a eu un impact majeur où on s’est dit : oui, il y a des arrestations. Il y a des conséquences judiciaires quand tu décides d’enlever la vie de quelqu’un », résume le commandant.

Les réseaux sociaux

Un constat ressort de l’année qui s’achève. Sur les réseaux sociaux, les criminels se croient tout permis. Menaces, insultes, célébrations après un meurtre : les écrans de cellulaire sont truffés de publications temporaires qui donnent lieu à de violentes ripostes. Une tendance qui témoigne de l’impunité des belligérants.

On parle de jeunes victimes, mais également de jeunes suspects, parfois mineurs.

« Dans les évènements où il y a de jeunes victimes, les agresseurs sont jeunes. C’est pour ça qu’on commence à regarder les tendances sur les âges. Si on voit que c’est vers les jeunes qu’il faut mettre l’accent avec les différents intervenants communautaires, on le fera », explique Paul Verreault.

Glorification des armes à feu

« Certains jeunes posent avec des armes sur les réseaux sociaux. Ils veulent se faire voir pour acquérir une certaine crédibilité », avait précisé Francis Renaud, commandant de la Division du crime organisé du SPVM, dans une séance d’information destinée aux médias en septembre dernier.

Avant, on se croisait dans la rue. Maintenant, on croise l’opposant sur Snapchat ou Instagram. La publication disparaît en 24 heures, mais pas le désir de vengeance.

Personne ne naît avec une arme dans les mains, ont plaidé les autorités policières. Mais un mode de vie lié à la culture des armes est aujourd’hui valorisé chez certains individus.

À elle seule, la police ne peut combattre la culture des armes qui s’immisce dans l’esprit de certains jeunes. « C’est un problème à la fois policier et sociétal. C’est un travail qui doit se faire avec une bonne communication de tous les partenaires pour trouver des solutions en amont », estime Paul Verreault.

Meurtres d’adolescents

Elle avait 15 ans. Ils avaient 16 ans. Les jeunes vies fauchées de Meriem Boundaoui, Jannai Dopwell-Bailey et Thomas Trudel ont secoué la population.

« Ça a un impact sur nos enquêteurs qui ont des enfants du même âge. Ça suscite une certaine émotivité dans les dossiers, mais ils doivent continuer à faire leur travail avec professionnalisme », souligne le commandant Verreault.

Le SPVM se dit conscient de l’effet important sur le sentiment de sécurité des gens parce qu’on parle de familles dans des secteurs résidentiels.

On met tous les efforts dans ces dossiers-là pour rassurer la population.

Paul Verreault, du SPVM

Le meurtre de Jannai Dopwell-Bailey a été résolu rapidement, alors que les assassins de Thomas Trudel courent toujours. « Pour Jannai Dopwell, il y a eu une meilleure collaboration. Le meilleur élément qu’on puisse avoir dans une enquête, c’est l’aide du public. Ça change la donne. »

La description d’un véhicule, une plaque d’immatriculation : chaque détail fourni est important. « Je sais qu’il peut y avoir une crainte de représailles, mais il y a des outils comme Info-Crime qui permettent aux gens de donner de l’info sans risque. »

Meurtres de femmes

Les meurtres de femmes ont marqué les Québécois en 2021. En contexte de pandémie, les phénomènes de violence conjugale et les féminicides présumés se sont exacerbés. « Ça rend les gens plus vulnérables quand on ajoute un facteur comme la pandémie », conclut Paul Verreault.

Dès qu’une mort survient, les policiers travaillent de concert avec les intervenants du Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC ). « Les divers témoins de ces atrocités, on les considère comme des victimes aussi. On leur offre un accompagnement jusqu’à la fin des procédures. »

Pas un nouveau Toronto

François Legault ne reconnaît plus Montréal, avait-il dit en point de presse en novembre, quelques mois après avoir injecté 90 millions dans la lutte contre les armes à feu, projet baptisé Centaure. Peu après, 52 millions pour la prévention ont suivi. La Ville de Montréal donne aussi la part du lion à la police dans son budget 2022.

Montréal demeure somme toute une ville sûre, ont plaidé les autorités à maintes reprises cette année.

À titre comparatif, Toronto compte 79 meurtres cette année et 71 l’année passée, des chiffres qui font frémir.

« On suit les grandes tendances des grandes villes américaines. On a [un décalage de deux ans] avec ce que Toronto a vécu il y a quelques années. Mais je veux dire aux gens qu’on ne deviendra pas le nouveau Toronto », a expliqué en septembre David Bertrand, des enquêtes criminelles du SPVM, aux journalistes.

En chiffres

50 % : Taux de résolution

34 dossiers de meurtres

37 victimes

17 résolus

17 non résolus

Mobiles

13 règlements de compte (gangs de rue, crime organisé ou autre)

8 conflits

6 meurtres intrafamiliaux (dont violence conjugale)

1 vol

8 mobiles inconnus

Type d’armes

19 armes à feu

12 objets tranchants

3 objets contondants

2 par force physique

Les victimes

28 hommes et 8 femmes

Les suspects

23 hommes et 2 femmes

Les homicides à Montréal

2000 : 49

2001 : 66

2002 : 47

2003 : 42

2004 : 41

2005 : 35

2006 : 43

2007 : 42

2008 : 29

2009 : 31

2010 : 37

2011 : 35

2012 : 35

2013 : 28

2014 : 28

2015 : 29

2016 : 23

2017 : 24

2018 : 32

2019 : 25

2020 : 25

2021 : 37

Les noms des victimes

1. Walid Meddane, 26 ans (7 janvier)

2. Francine Roux, 49 ans (17 janvier)

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE FRANCINE ROUX

Francine Roux

Une femme dans la quarantaine a perdu la vie après avoir été poignardée à plusieurs reprises par Normand Francis, son fils de 23 ans, aux prises avec des problèmes de consommation.

3. Jesse Dave Chatelier, 26 ans (30 janvier)

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Edith Imbert, mère de Jesse Dave Chatelier, tient le portait de son défunt fils

Jesse Dave Chatelier a été soudainement abattu devant un dépanneur. Les amis proches de la jeune victime étaient des membres du gang de rue Zone 43, selon des sources policières. Ce meurtre a fait s’enliser le violent conflit entre les 43 de Montréal-Nord et les Profit Kollektaz, le gang rival établi à Rivière-des-Prairies.

4. Faiez Mohamedieh, 38 ans (1er février)

5. Meriem Boundaoui, 15 ans (7 février)

PHOTO FOURNIE PAR SAFIA BOUNDAOUI

Meriem Boundaoui

Meriem Boundaoui s’est retrouvée au cœur d’un conflit armé qui n’avait rien à voir avec elle. L’adolescente a été tuée d’une balle à la tête à Saint-Léonard. Une dispute – peut-être entre deux familles de commerçants – avait éclaté non loin du véhicule dans lequel elle se trouvait. Deux individus cagoulés ont tiré en direction du conducteur qui accompagnait Meriem.

6. Alain Cesare, 59 ans (11 février)

7. Nadège Jolicœur, 40 ans (19 mars)

8. Rebekah Harry, 29 ans (20 mars)

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Des militants et des proches de Rebekah Harry ont honoré sa mémoire le 3 avril lors d’un rassemblement au square Cabot.

Rebekah Harry aurait été battue à mort par son partenaire, Brandon McIntyre. Le suspect a été accusé de meurtre au deuxième degré. Une marche à la mémoire de la victime s’était tenue peu après le drame pour dénoncer ce troublant épisode de violence conjugale.

9. Zoleikha Bahktiar, 36 ans (19 mai)

10. Evensky Maxy, 22 ans (29 mai)

11. Suman Mohammed Sayum, 21 ans (3 juillet)

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Mohammed Abdul Sayum, père de Suman Mohammed Sayum, a pris part à une « marche pour la paix » dans le quartier de la Petite-Bourgogne, le 27 juillet.

Suman Mohammed Sayum a été tué en plein jour d’une balle dans la tête alors qu’il se trouvait dans sa voiture dans un stationnement tout près de chez lui dans le sud-ouest de la métropole.

12. Ernst Exantus, 43 ans (5 juillet)

13. Rajinder Prabhneed Kaur, 32 ans (19 juillet)

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Un groupe réclamant la fin des violences faites aux femmes s'est rassemblé à la mémoire de Rajinder Prabhneed Kaur près de la station de métro Parc, le 30 juillet.

Navdeep Gohtra aurait tué sa femme dans leur logement de Parc-Extension. Après des recherches intensives menées par les autorités, le corps de l’homme de 30 ans a été repêché à Laval. Il se serait jeté à l’eau. Connu des policiers, le suspect aurait proféré des menaces dans le passé. La victime avait même fait changer la serrure du logement pour empêcher son mari d’y accéder.

14. Jerry Willer Jean-Baptiste, 29 ans (2 août)

15. Molière Dantes, 63 ans (2 août)

16. Jefferson Syla, 29 ans (2 août)

Le triple meurtre survenu à Rivière-des-Prairies l’été dernier a mis la métropole en état d’alerte et entraîné la création de Centaure. Le 2 août dernier, des individus armés ont tiré à plusieurs reprises en direction d’un appartement du boulevard Perras, lieu de réunion des Profit Kollektaz, gang de rue du secteur. Cinq hommes ont été atteints par balles. Trois ont succombé à leurs blessures. En octobre, trois suspects ont été coffrés, soit Clifford Domercant-Barosy, 26 ans, Marlon Francisco Villa-Guzman, 25 ans, et Jonas Castor, 23 ans. Stevenson Choute, homme de 21 ans lié aux 43, gang de rue de Montréal-Nord, a par la suite été arrêté.

17. Duckerns Pierre-Clermont, 22 ans (8 août)

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Une œuvre murale créée par l’artiste Monk.E rend hommage à Jeune Loup dans l’arrondissement d’Hochelaga-Maisonneuve.

Le rappeur Jeune Loup, en pleine ascension dans la scène hip-hop underground, a été tué par balles près de chez lui, dans Villeray. Selon plusieurs témoignages de sources criminelles colligés par La Presse, un conflit impliquant un gang de rue lavallois serait en cause.

18. Piero Arena, 63 ans (7 septembre)

19. Jimmy Méthot, 27 ans (10 septembre)

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE JIMMY MÉTHOT

Jimmy Méthot

20. Georges Riches, 75 ans (12 septembre)

21. Jeune homme de 23 ans (18 septembre)

22. Yazan Shiaa, 19 ans (25 septembre)

23. Yevgen Semenenko, 34 ans (26 septembre)

24. Karim Chehab, 46 ans (12 octobre)

25. Jannai Dopwell-Bailey, 16 ans (18 octobre)

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Une veillée aux chandelles à la mémoire de Jannai Dopwell-Bailey s’est tenue devant l’école Coronation, à Côte-des-Neiges, le 22 octobre.

Jannai Dopwell-Bailey a été roué de coups puis poignardé devant l’école Coronation, à Côte-des-Neiges. Une dispute entre des jeunes de deux secteurs, Côte-des-Neiges et Notre-Dame-de-Grâce. Selon nos sources, un conflit entre élèves après l’expulsion de l’un d’entre eux d’un programme scolaire de l’école Coronation a dégénéré en guerre de secteurs entre deux cliques de jeunes.

26. Romane Bonnier, 24 ans (19 octobre)

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE ROMANE BONNIER

Romane Bonnier

Romane Bonnier a été tuée en pleine rue sur le Plateau Mont-Royal. François Pelletier, homme de 36 ans, a été arrêté peu après le meurtre. Selon nos informations, le suspect est un ancien colocataire avec qui la victime avait eu une courte liaison.

27. Jeune homme de 23 ans (29 octobre)

28. Jeffrey Allaire, 48 ans (31 octobre)

29. Marie-Ève Fournier, 25 ans (5 novembre)

La victime et Daniel Shlafman, fils du propriétaire de Fairmount Bagel, ont été retrouvés sans vie dans un appartement de la rue Saint-Urbain, dans le Mile End. Tout indique qu’il s’agit d’un meurtre suivi d’un suicide.

30. Alston Marksman Johnson, 39 ans (7 novembre)

31. Brian Fraser, 45 ans (7 novembre)

Deux hommes ont été retrouvés morts dans un logement du secteur de Côte-des-Neiges, à Montréal. Le Bureau des enquêtes indépendantes est chargé de faire la lumière sur l’intervention du Service de police de la Ville de Montréal dans cette affaire.

32. Thomas Trudel, 16 ans (14 novembre)

PHOTO PASCAL RATTHÉ, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Des fleurs ont été déposées à l’endroit où Thomas Trudel a été tué, à une rue de chez lui.

Le meurtre de Thomas Trudel a provoqué une onde de choc, secouant la classe politique. L’adolescent de 16 ans a été abattu à deux pas de chez lui, dans le quartier Saint-Michel, un dimanche soir. L’enquête est toujours en cours. Selon nos informations, le scoring, terme désignant des victimes de représailles prises au hasard pour marquer des points dans le contexte d’une guerre territoriale, serait la principale hypothèse dans ce dossier.

33. Hani Ouahdi, 20 ans (2 décembre)

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE OUAHDI

Mustapha Ouahdi et son fils, Hani, au centre-ville de Montréal, en 2020

Hani Ouahdi a été retrouvé gravement blessé dans sa voiture après avoir été la cible de coups de feu. Selon ses proches, il s’est retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment.

34. Tyree Virgo, 50 ans (13 décembre)

35. Charles-Olivier Boucher-Savard, 33 ans (23 décembre)

36. Stenley Guercin, 18 ans (24 décembre)

PHOTO FOURNIE PAR DESTINY MONTGOMERY

Stenley Guercin

37. Kevin Batebi, 39 ans (27 décembre)