(Montréal) La scène judiciaire aura rarement laissé une marque aussi profonde dans l’actualité qu’en 2021 avec le dénouement, en toute fin d’année, du dossier de la petite martyre de Granby. Coup sur coup, la belle-mère de 38 ans a été déclarée coupable de son meurtre non prémédité et de l’avoir séquestrée, alors que le père de 32 ans, quelques jours plus tard, s’évitait un procès en plaidant coupable à une accusation de séquestration.

La belle-mère, reconnue coupable dans un temps exceptionnellement court de cinq heures par le jury, devra passer au moins 13 ans derrière les barreaux, selon ce qu’a décidé vendredi dernier le juge Louis Dionne au palais de justice de Trois-Rivières. Le père, lui, en plaidant coupable à l’accusation moindre de séquestration, voit le chef de négligence criminelle causant la mort tomber. Il aurait été passible de l’emprisonnement à perpétuité pour cette accusation, mais la peine pour la séquestration peut quand même aller jusqu’à 10 ans de détention.

Bien qu’il se soit évité un procès, celui de sa conjointe aura tout de même permis d’étaler les circonstances atroces dans lesquelles l’enfant, enveloppée de ruban adhésif, a vécu ses derniers moments. L’affaire avait ébranlé le Québec au point où le gouvernement Legault avait mis sur pied une commission chargée de revoir tout le système de protection de la jeunesse et, en mai, le rapport de la Commission Laurent sur les droits de l’enfant donnait au gouvernement Legault un vaste mandat comprenant l’adoption d’une charte des droits de l’enfant, un meilleur financement de plusieurs organismes communautaires et un allègement de la tâche des intervenantes jeunesse.

Mike Ward : le droit de ne pas être offensé n’existe pas

Une autre cause qui aura marqué l’année 2021 aura été celle de Mike Ward, à qui le plus haut tribunal du pays a donné raison, mais dans une décision majoritaire extrêmement serrée à cinq contre quatre. Bien qu’elle ait elle-même qualifié de « répugnants » les propos de l’humoriste à l’endroit de Jérémy Gabriel, la Cour suprême a jugé qu’il ne s’agissait pas de propos discriminatoires. Du même coup, la décision émettait un avis qui risque d’être invoqué à profusion dans les années à venir, à savoir que le droit de ne pas être offensé n’existe pas.

La Cour suprême a par ailleurs accepté en mai d’entendre l’appel de la Couronne dans le dossier d’Alexandre Bissonnette, elle qui tente d’obtenir un cumul de peines pour les meurtres multiples qu’il a commis à la Grande mosquée de Québec en janvier 2017. Initialement condamné à la prison à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 40 ans, la Cour d’appel avait renversé cette décision, ramenant le minimum à 25 ans.

Or, cette éventuelle décision de la Cour suprême aura un impact sur une autre cause résolue au début de 2021, celle d’Ugo Fredette, déclaré coupable des meurtres prémédités de son ex-conjointe Véronique Barbe et d’Yvon Lacasse commis en 2017. En raison de la décision de la Cour d’appel, il a aussi été condamné à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans, mais la Couronne souhaite également un cumul de peines dans son cas et attend la décision de la Cour suprême, prévue en 2022. La tentative d’Ugo Fredette d’obtenir un nouveau procès a par ailleurs échoué, en décembre, devant la Cour d’appel.

Spectaculaires assassinats

D’autres procès ont également retenu l’attention du public, notamment celui du couple Marie-Josée Viau et Guy Dion, accusés de complot et du meurtre des frères Vincenzo et Giuseppe Falduto, tués dans le garage du couple à Saint-Jude, près de Saint-Hyacinthe, le 30 juin 2016. Mme Viau a été reconnue coupable en novembre, alors que son conjoint a été acquitté.

En novembre, dans une procédure rarement vue, le tueur à gages Frederick Silva admettait que la preuve contre lui dans le cas de trois meurtres et de la tentative de meurtre du chef mafieux Salvatore Scoppa était probante, ce qui lui vaudra une déclaration de culpabilité par le juge Mark David en janvier prochain, mais sans reconnaître sa culpabilité. Cette façon de faire inusitée lui permet de conserver son droit d’appel.

Surabondance de crimes sexuels

Une affaire d’exploitation sexuelle d’enfant avait envoyé une onde de choc en août lorsqu’un ancien psychoéducateur de Montréal, Sylvain Villemaire, a écopé une peine exemplaire de 18 ans de pénitencier pour avoir acheté une fillette de 8 ans en Afrique. Il en avait fait son esclave sexuelle durant trois ans, de 2015 à 2018. Il s’agit de la plus lourde peine jamais imposée au Québec pour un crime de nature sexuelle impliquant un enfant.

Les affaires de nature sexuelle qui ont retenu l’attention du public se sont multipliées en 2021. On notera l’arrestation et la mise en accusation du producteur Luc Wiseman, pour des gestes à caractère sexuel à l’endroit d’une mineure ; l’arrestation et les accusations d’agression sexuelle dans deux dossiers distincts visant l’ancien chef du Parti québécois André Boisclair ; la condamnation à six mois de prison du fondateur et ex-directeur de l’Institut du Nouveau Monde et ex-éditorialiste au Devoir Michel Venne, reconnu coupable d’agression sexuelle et de contact sexuel par une personne en situation d’autorité ou de confiance à l’endroit de la documentariste Léa Clermont-Dion. Six mois de prison ont aussi été imposés à Edgar Fruitier, déclaré coupable de deux accusations d’attentat à la pudeur commis contre un adolescent plus de 46 ans plus tôt.

Rozon, Salvail et l’Église catholique

Certaines autres causes très médiatisées ont connu le dénouement inverse, notamment les acquittements de l’ex-magnat de l’humour Gilbert Rozon et de l’animateur Éric Salvail, des acquittements que la Couronne a décidé, en janvier, de ne pas porter en appel. Dans le cas de Gilbert Rozon, toutefois, il devait apprendre en mai que la comédienne Patricia Tulasne le poursuivait pour 1,6 million pour l’avoir « brutalement violée » en 1994, que la réalisatrice Lyne Charlebois, qui l’accuse de l’avoir violée en 1982, le poursuivait de son côté pour 1,7 million et, en avril, que c’était au tour de la plaignante dans le dossier criminel, Annick Charette, de le poursuivre pour 1,3 million.

L’Église catholique a été également été placée dans le viseur des tribunaux pour de multiples dossiers d’allégations d’agressions sexuelles et d’abus de toutes sortes impliquant prêtres et religieuses commises dans le passé. Ainsi, en mai, une demande d’autorisation d’action collective était déposée devant la Cour supérieure du Québec alléguant que des religieuses de la Communauté des Sœurs de Charité de la Providence et des Sœurs de la Providence auraient abusé de jeunes filles sourdes pendant plusieurs années.

En mai toujours, une entente de 60 millions est conclue afin d’indemniser des dizaines de victimes d’agressions sexuelles en lien avec les actions collectives intentées contre les Frères du Sacré-Cœur. En novembre, la Cour supérieure du Québec autorisait une action collective contre les Missionnaires Oblats de Marie Immaculée pour des agressions sexuelles qui seraient survenues de 1940 à nos jours. En décembre, finalement, c’était au tour du diocèse et de l’évêché d’Amos d’être visés par une demande d’autorisation d’action collective pour des sévices sexuels commis par des prêtres sur des enfants dans les années 1960.

Des échecs retentissants

L’année 2021 aura aussi été le théâtre de spectaculaires échecs judiciaires. En février, l’ex-entraîneur de gymnastique Michel Arsenault, accusé d’agressions sexuelles et de voies de fait sur cinq jeunes athlètes mineures, voit le DPCP demander l’arrêt des procédures en raison d’erreurs commises par l’enquêteur principal au dossier. Le lendemain, la Sûreté du Québec annonçait l’ouverture d’une enquête interne afin de faire la lumière sur le processus d’enquête qui a mené à cet échec.

En juillet, l’ex-entrepreneur Tony Accurso et quatre coaccusés dans une affaire de corruption à Revenu Canada, soit l’entrepreneur Francesco Bruno, le comptable Francesco Fiorino et deux anciens fonctionnaires du fisc, Adriano Furgiuele et Antonio Girardi, voyaient leur dossier fermé après neuf ans d’embourbement devant la Cour. La Couronne a dû se rendre à l’évidence qu’il lui était impossible de classer, d’indexer et de numériser les centaines de milliers de pages de preuve se trouvant dans 802 boîtes de documents dans des délais raisonnables.

Puis en octobre, l’ex-maire de Terrebonne, Jean-Marc Robitaille, voyait la juge Nancy McKenna ordonner l’arrêt des procédures dans son dossier de corruption et celui de ses trois coaccusés — son ex-chef de cabinet Daniel Bélec, l’ancien directeur général adjoint de Terrebonne, Luc Papillon, et l’entrepreneur Normand Trudel — là encore pour des raisons d’irrégularités dans la divulgation de la preuve. Le DPCP a toutefois indiqué en novembre qu’il en appellera de cette décision.

Mesures sanitaires avalisées par les tribunaux

Mentionnons enfin que toutes les tentatives de faire invalider par les tribunaux des décisions entourant les mesures sanitaires imposées par le gouvernement Legault ont échoué. Ainsi, par exemple, le 2 septembre, la Cour supérieure autorisait une mère à faire vacciner son enfant de 12 ans contre la COVID-19, malgré l’opposition du père ; le lendemain, la même instance rejetait la demande de trois Québécois qui voulaient que soit suspendue immédiatement l’obligation du port du couvre-visage ; en novembre, enfin, même si le gouvernement Legault avait déjà reculé sur la question de la vaccination obligatoire des travailleurs de la santé, la Cour supérieure rejetait la demande de suspendre le décret l’obligeant. Les opposants à la vaccination obligatoire dans le secteur de la santé voulaient une suspension du décret jusqu’à l’audition sur le fond, mais le juge Michel Yergeau leur a dit non. Tout indique, d’ailleurs, que la question de fond sur la légalité de ce décret ne sera jamais entendue.

À ces décisions s’ajoutent toutes celles qui ont mené à des condamnations d’opposants aux mesures sanitaires, dont aucun n’a pu se soustraire à la justice pour avoir posé des gestes illégaux.