Armé de deux armes et toujours agressif même s’il venait d’être tiré par les policiers, Pierre Coriolan avait l’air d’un « robot » qui ne ressentait pas la douleur, a raconté lundi le policier qui a tiré à deux reprises sur le Montréalais en crise avec une arme à impulsion électrique. « Je n’avais jamais vu ça », a lâché l’agent Mathieu Girard.

La deuxième semaine de l’enquête publique du coroner Luc Malouin sur la mort de Pierre Coriolan s’est poursuivie lundi dans une salle bondée du palais de justice de Montréal avec le témoignage d’un second policier qui a participé à la tragique intervention, le 27 juin 2017.

L’agent Girard a fait un récit d’une grande précision de l’opération policière d’à peine trois minutes qui a coûté la vie de Pierre Coriolan. Les six policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) avaient été appelés pour intervenir auprès d’un homme en train de tout détruire dans son appartement et possiblement armé d’un couteau.

Dans la cage d’escalier de l’immeuble, l’agent Girard entend des cris et des grognements au 3e étage. Il est le seul de son équipe muni d’une arme à impulsion électrique. Son collège, le sergent Michon, pousse la porte entrouverte de l’appartement de Pierre Coriolan. Ce dernier est assis sur un fauteuil en train de crier. « Il est crispé et serre les dents. Il tient un couteau dans sa main gauche », explique le témoin.

Le policier s’identifie alors comme un policier et le somme de lâcher ses armes. Pierre Coriolan se tourne alors vers les deux policiers entassés dans l’étroit cadre de porte. L’agent Girard voit que le suspect tient dans son autre main un objet métallique d’environ 10 pouces. Il pense qu’il s’agit d’un couteau, mais la preuve va démontrer que c’était un tournevis.

« J’aperçois M.  Coriolan qui se lève, les dents serrées, le regard vide. Il crie de façon inaudible, il a l’air de transpirer. Ses muscles sont crispés, il est très agressif. Il tient ses couteaux fermement », décrit l’agent Girard.

L’agent Moore utilise alors une arme intermédiaire d’impact à projectiles de 40 mm sur le suspect. Mais le tir n’a « aucun effet », selon le témoin. Pierre Coriolan avance vers eux. C’est à ce moment que l’agent Girard tire une première fois avec son fusil à impulsion électrique. Encore une fois, l’arme ne permet pas de maîtriser le suspect.

« Je me dis : je vais me faire poignarder. Mon seul réflexe, je sors de la chambre et je recule [dans le corridor]. […] Quand je passe, je vois son arme à feu se lever, j’entends des coups de feu », raconte le témoin. Au cours de l’intervention, Pierre Coriolan a été atteint par balles à trois reprises.

Même blessé, Pierre Coriolan continue de crier en tenant « fermement » ses armes. Il a alors un genou au sol dans le corridor et avance toujours vers les policiers. L’agent Girard recharge son arme et tire à nouveau une décharge électrique. Il faudra finalement trois cycles d’impulsion de quelques secondes pour que ses collègues réussissent à lui enlever ses armes.

Malgré la conclusion tragique de l’intervention, le policier Girard assure qu’il « referait la même chose ». Dans un espace aussi restreint – le corridor n’était pas large – et avec un homme armé aussi agressif, il n’avait pas d’autres choix que d’utiliser son arme à impulsion électrique.

« Si M.  Coriolan avait eu un contact avec la réalité, qu’il ne nous aurait pas chargé aussi rapidement que ça, dans le meilleur des cas, j’aurais été en mesure de lui parler et de lui dire qu’on est là pour l’aider. Ça n’a pas été possible. Pas du tout », a maintenu le témoin qui dit avoir participé à des centaines d’interventions avec des personnes en crise dans sa carrière.

Le coroner Luc Malouin s’est questionné à plusieurs reprises sur la pertinence d’avoir sommé le suspect de lâcher ses armes en criant, alors que ce dernier était assis, seul, dans son appartement.

« Vous pensez que face à quelqu’un en crise et déconnecté de la réalité, de crier police, lâche tes armes, a le moindrement de chance de succès ? Pourquoi donner un ordre formel tant qu’il ne vous attaque pas ? Pourquoi ne pas essayer de l’aborder ? », s’est questionné le coroner. « C’est pas mal ça qui se passe. Dès qu’il nous voit, il nous attaqué », a répondu le témoin.

« Il me semble que si on aborde quelqu’un en crise en criant “police, lâche tes armes”, ça ne doit pas ben ben l’aider à se calmer », a lâché le coroner.

L’enquête publique se poursuit toute la semaine.