La police américaine a lancé lundi un avis de recherche pour deux des petits-enfants du fondateur de la secte juive Lev Tahor. Leur mère, une fille de feu Shlomo Helbrans, a fui en octobre avec ses six enfants le village guatémaltèque où Lev Tahor s'est établi après son départ du Canada en 2014. Nos explications.

La fille du fondateur

Sara Feige Teller est la soeur du chef actuel de Lev Tahor, Nachman Helbrans, qui a pris la tête de la secte après la noyade de son père, Shlomo Helbrans, en juillet 2017 au Mexique. Selon le site orthodoxe américain Yeshiva World News et le magazine orthodoxe Forward, qui publient régulièrement sur Lev Tahor, Mme Teller s'est insurgée quand son frère a marié la fille de 13 ans de Mme Teller avec un autre adolescent de Lev Tahor, voilà un an. Devant ses protestations, elle aurait été punie et forcée de servir de femme de ménage aux nouveaux mariés. En octobre, elle se serait enfuie du village guatémaltèque de Bovel avec ses deux plus jeunes enfants, des filles, pour se réfugier dans un appartement de la capitale, Guatemala, tenu par d'ex-membres de Lev Tahor. Ces derniers sont retournés à Bovel avec Mme Teller pour récupérer ses quatre autres enfants, sans succès, avant de convaincre la police de les accompagner et de réunir Mme Teller avec tous ses enfants.

Par la suite, Mme Teller est arrivée avec ses six enfants aux États-Unis. Le mensuel juif new-yorkais Forward précise qu'elle se trouvait chez des amis dans les montagnes Catskills pour le sabbat, quand ses enfants Yante, 14 ans, et Chaim, 12 ans, ont été enlevés. La police de l'État de New York précise qu'ils sont montés dans une voiture vers 3h samedi matin et qu'ils se trouveraient à Brooklyn. « Nous traitons maintenant cette affaire comme une question de garde d'enfants », a dit à La Presse Steven Nevel, porte-parole de la police de l'État de New York. Un signalement des deux enfants a été diffusé dans les aéroports de la région.

Le Guatemala

Après avoir fui le Québec, puis l'Ontario à l'hiver 2013-2014, Lev Tahor, qui compte entre 150 et 200 membres, dont la moitié sont des enfants, s'est établi dans un village touristique au bord du lac Atitlan, au Guatemala. Selon une présentation d'un sociologue israélien des religions à un congrès à l'été 2017, Lev Tahor s'est attiré l'inimitié des autochtones de sa communauté d'accueil avec la conversion au judaïsme de certains de leurs membres. Le groupe s'est ensuite établi dans la ville de Guatemala où, selon le Forward, il a fait l'objet d'enquêtes des services de protection de l'enfance, avant de déménager plus au sud, dans le village de Bovel. En 2017, à la suite d'une nouvelle enquête sur les enfants de Lev Tahor, Shlomo Helbrans a déménagé ses fidèles une nouvelle fois - au Chiapas, au Mexique. Sa noyade dans une rivière mexicaine en juillet 2017 a mené à la passation des pouvoirs à son fils Nachman, qui a ramené Lev Tahor à Bovel.

La DPJ

Schlomo Helbrans s'est établi au Québec au tournant du millénaire, obtenant le statut de réfugié à cause de son opposition politique à l'existence d'Israël, malgré une condamnation aux États-Unis pour kidnapping. Sa secte Lev Tahor a connu une croissance fulgurante à Sainte-Agathe-des-Monts, poussant, à partir de 2011, la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) et la Sûreté du Québec à enquêter sur des accusations de mauvais traitements envers les enfants et de mariages forcés d'adolescents. Les fidèles de Lev Tahor sont régulièrement surnommés « talibans juifs » dans la presse israélienne à cause de leurs moeurs très, conservatrices, notamment sur le plan des vêtements des femmes. Alors que la DPJ s'apprêtait à placer plusieurs enfants dans des familles d'accueil juives québécoises, en novembre 2013, la secte a plié bagage en pleine nuit pour l'Ontario. Face à la menace d'un retour forcé au Québec, ils sont ensuite partis pour le Guatemala au printemps 2014 ; certains enfants ont toutefois été interceptés durant le voyage et renvoyés au Canada.

Des remous en Israël

Après la mort de Shlomo Helbrans, en juillet 2017, Israël a publiquement proposé aux membres de Lev Tahor des subventions pour retourner au pays et s'y installer, sans succès. Selon le Jerusalem Post, une enquête des services guatémaltèques de protection de l'enfance en 2017 a eu lieu conjointement avec les autorités israéliennes. En avril 2017, une juge israélienne a déclaré que Lev Tahor était une « secte dangereuse ». « Cette juge a repris mot pour mot une loi antisecte qui a été proposée en Israël en 2014 sans être adoptée », explique Holly Folk, spécialiste de l'« ultra-ultra-orthodoxie » juive à l'Université Western Washington. « La loi aurait facilité la saisie des biens des responsables des sectes et l'intervention des services de protection de l'enfance. D'ailleurs, le jugement de 2017 sur Lev Tahor concernait plusieurs dossiers de garde d'enfants. Tout cela s'inscrit dans l'hostilité des Israéliens modérément religieux envers les ultra-orthodoxes, qui bénéficient du soutien de l'État, sont exemptés du service militaire et veulent vivre dans des quartiers où règne la séparation des sexes. »

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Chronologie de la secte Lev Tahor

1962 : Naissance de Shlomo Helbrans

Milieu des années 80 : Fondation de Lev Tahor

1990 : Shlomo Helbrans déménage à Brooklyn avec ses fidèles.

1994 : Shlomo Helbrans est condamné pour le kidnapping d'un élève de 13 ans qui voulait, sans l'accord de sa mère, faire partie de Lev Tahor.

1996 : Libération par anticipation

2000 : Expulsion vers Israël

2003 : Shlomo Helbrans reçoit le statut de réfugié au Canada.

2013 : Fuite du Québec devant la menace d'une intervention de la DPJ

2014 : Fuite de l'Ontario vers le Guatemala

2017 : Mort de Shlomo Helbrans au Mexique

Sources : La Presse, Forward, Foreign Policy, Yeshiva World News

Photos fournies par la police de l'État de New York

Yante Teller, 14 ans, et Chaim Teller, 12 ans