S’il veut réaliser ses grands projets de développement sans refiler la note aux passagers, l’aéroport Montréal-Trudeau devra forcément faire la place aux investissements privés, estime son PDG, qui a révélé comme prévu jeudi un plan « ambitieux » de 4 milliards pour régler les problèmes d’accessibilité de l’aérogare.

« On voudrait que notre bail permette éventuellement à des capitaux privés de pouvoir investir directement dans nos projets, ce qui n’est pas permis présentement. Ça va venir plus tard, mais ça serait un atout supplémentaire pour financer nos projets », a fait valoir le grand patron d’Aéroports de Montréal (ADM), Yves Beauchamp, en mêlée de presse.

Plus tôt, jeudi, La Presse avait révélé le plan « ambitieux » de 4 milliards qu’ADM met de l’avant pour régler les problèmes d’accessibilité qui ont tant fait rager les passagers d’ici et d’ailleurs à Montréal-Trudeau l’an dernier. Ajout de stationnements, nouvelles portes d’embarquement, capacité du débarcadère triplée : ce plan s’étalera sur quatre ans.

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D’ici 2035, l’aéroport prévoit aussi de nombreux aménagements, des espaces et des toits végétalisés, des places publiques et d’immenses passages piétonniers, montrent des images qui ont été rendues publiques par ADM jeudi. D’autres « projets d’envergure » sont aussi à l’étude sur cette période de 11 ans, dont un prolongement du terminal actuel de l’aéroport et la reconstruction du stationnement P5. Le tout devrait coûter « entre 7 et 8 milliards », selon le PDG.

Outre l’ajout de stationnements, la démolition et la reconstruction du débarcadère principal dont la capacité sera triplée à terme, l’aéroport lui-même sera aussi appelé à devenir plus vaste pour soutenir la demande croissante. D’ici 2028, ADM s’engage à construire une « jetée satellite », soit un nouvel aérogare en forme de jetée qui permettra à des avions de se garer à l’extérieur pour faire embarquer les voyageurs.

Un bail trop restrictif

Le hic, c’est que le bail de l’organisation, qui vient à échéance en 2072 et qui est géré par Transports Canada, impose une « obligation de retourner les installations avec une dette zéro », affirme M. Beauchamp.

« Ça cause un souci, parce que ça veut dire que les 20 dernières années, il n’y aura plus aucun intérêt pour investir massivement puisqu’il faudra rendre les équipements à Transports Canada », dit le gestionnaire, qui réclame à Ottawa « que le bail soit prolongé de façon significative ».

À ce jour, la dette d’ADM avoisine les 350 $ par passager ; la dette brute est de 2,9 milliards. L’an dernier, quelque 21 millions de voyageurs ont transité par l’aéroport, un record. Et ça ira en augmentant : ce chiffre risque d’atteindre 25 millions d’ici à 2028, puis 36 millions entre 2036 et 2045, en fonction des scénarios.

« On peut plus que doubler la dette sans difficulté. À ce moment-là, par contre, il y aurait un risque théorique de décote, mais une décote n’est jamais catastrophique », a soutenu M. Beauchamp jeudi. Il affirme que l’arrivée du capital privé « permettrait justement de partager le risque et la dette ».

Pour l’instant, le PDG a affirmé : « Je préfère continuer avec le marché obligataire parce qu’on peut émettre la dette à 4 ou 5 % ces temps-ci, alors que si on va avec des fonds de pension, par exemple, on serait à 9, 10, voire 11 %. » « On regarde pour utiliser ces options-là à compter de 2032 ou 2035 », a-t-il dit.

Heurter un mur

À la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le président Michel Leblanc est catégorique. « Si on n’est pas capable de changer la façon dont les aéroports se financent, on va frapper un mur, celui des capacités. L’enjeu à court terme, donc, c’est vraiment de revoir le bail », a-t-il soutenu.

Il a rappelé que l’aéroport d’Heathrow de Londres, qui accueille annuellement 80 millions de voyageurs avec deux pistes parallèles – une configuration semblable à celle de Montréal –, « tire déjà des revenus du privé ». « Ça vient pour eux rajouter du capital patient à long terme. C’est probablement la meilleure solution aussi pour Montréal et le Québec », a poursuivi M. Leblanc.

Des discussions ont déjà lieu dans les coulisses « pour accroître les investissements dans les grands aéroports du pays », a prudemment indiqué jeudi le cabinet du ministre fédéral des Transports, Pablo Rodriguez. Sans toutefois préciser quand et comment, ce dernier indique qu’il compte « continuer à travailler avec [les] partenaires afin d’attirer » plus de capitaux.

À Québec, le cabinet de la ministre provinciale des Transports, Geneviève Guilbault, salue de son côté « les gestes posés et à venir pour améliorer la fluidité aux alentours de l’aéroport », en promettant « de collaborer avec eux pour que les Québécois puissent compter sur une offre optimale de services ».

Des écologistes s’invitent au débat

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

La conférence de M. Beauchamp a été perturbée jeudi par des membres du collectif écologiste Dernière Génération Canada. « On s’enligne vers la pire saison des incendies de forêt jamais vue, puis on vous entend parler d’un plan pour augmenter le trafic aérien d’ici 2028 », a déclaré l’un des membres du groupe, Jean-Philippe Amann. « On sait aussi que l’intensité des feux est une conséquence directe des changements climatiques et la solution déconnectée que vous proposez, c’est qu’il y ait plus de vols d’avion qui vont émettre plus de CO», s’est-il inquiété, en scandant : « Le futur de nos enfants, de ma fille, est en jeu. » « Faites quelque chose ! », a terminé le militant.