Les Québécois des autres régions sont de moins en moins nombreux à déménager à Montréal, surtout les jeunes adultes. C’est ce qui explique en grande partie le déficit migratoire interrégional de la métropole, peut-on conclure en analysant les données diffusées jeudi par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ).

« Ce qui a changé au fil du temps, c’est que Montréal fait des gains très faibles, et même pas de gain du tout, chez les jeunes adultes, les 15-24 ans. Si on remonte au début des années 2000, Montréal faisant des gains au détriment de plusieurs autres régions dans ces groupes d’âge, mais ces gains sont devenus beaucoup plus faibles ces dernières années », explique Martine Saint-Amour, démographe à l’ISQ.

En 2001-2002, 23 300 Québécois d’autres régions âgés de 15 à 29 se sont établis à Montréal. En 2022-2023, ils n’étaient plus que 9300 à s’y installer, tandis que 10 700 ont quitté l’île, engendrant un solde migratoire négatif de 1400 dans cette tranche d’âge.

Auparavant, les gains chez les jeunes pouvaient venir compenser les pertes dans les autres groupes d’âge, mais depuis quelques années Montréal ne peut plus compter sur les arrivées des jeunes adultes en provenance des autres régions du Québec.

Martine Saint-Amour, démographe à l’ISQ

Comment peut-on expliquer ce phénomène ?

La situation de l’emploi joue sans doute un rôle, selon Benoît Laplante, professeur à l’Institut de la recherche scientifique et spécialiste des études de la population.

« Le taux de chômage est faible à peu près partout au Québec, dit-il. Il est plus élevé à Montréal que dans toutes les autres régions à part la Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine. On peut penser que presque partout au Québec, les gens trouvent de l’emploi là où ils sont. Ça réduit l’attrait de Montréal. »

Ensuite, comme les jeunes ont moins de mal à trouver du travail, certains décident peut-être d’étudier moins longtemps, ce qui représente une raison de moins pour s’installer dans la grande ville.

« En plus, le réseau des cégeps est bien réparti sur l’ensemble du territoire et on a des universités en dehors de Montréal, dans la plupart des régions. Si on souhaite étudier, on n’a pas besoin de se déplacer à Montréal, encore moins depuis que plusieurs universités offrent à distance une part importante de certains de leurs programmes », poursuit M. Laplante.

Le coût élevé du logement à Montréal influence certainement les projets des jeunes adultes, ajoute-t-il.

Si on est jeune et qu’on vit en région, et qu’on a un emploi qui permet d’envisager de s’acheter une maison, pourquoi s’installer à Montréal où on aura du mal à s’acheter un condo ?

Benoît Laplante, de l’Institut de la recherche scientifique

Exode en baisse

Les Montréalais sont moins nombreux à quitter la métropole que pendant la pandémie, mais l’hémorragie se poursuit et l’île perd toujours un plus grand nombre de résidants qu’elle n’en gagne dans ses échanges migratoires interrégionaux.

En 2022-2023, Montréal a perdu 25 600 personnes au profit d’autres régions du Québec. Les personnes quittant l’île ont été deux fois plus nombreuses que celles qui y ont emménagé.

Ceux qui s’en vont sont surtout dans la tranche d’âge de 25 à 44 ans, soit l’âge auquel les familles ont des enfants, indique Mme Saint-Amour.

Cependant, en 2020-2021, au plus fort de la pandémie de COVID-19, Montréal avait connu une perte nette de 48 300 personnes, les plus lourdes en une vingtaine d’années.

Malgré cela, la population montréalaise a augmenté de 5,3 % (+ 100 000 personnes) en un an, puisque le solde migratoire interrégional négatif est compensé par un accroissement naturel positif et par l’arrivée de nombreux migrants internationaux, précise l’ISQ.

Baisse généralisée des déménagements

Dans l’ensemble du Québec, il y a une baisse généralisée des déménagements. « Au total, 7,8 % de la population a changé de code postal entre le 1er juillet 2022 et le 1er juillet 2023, comparativement à 10,5 % en 2020-2021. De façon générale, la tendance est à la baisse depuis le début des années 2000, période où la proportion de personnes ayant changé de code postal était d’environ 13 % », indique le rapport de l’ISQ.

Plusieurs régions à proximité de Montréal ont un solde migratoire interrégional positif, surtout Lanaudière (+ 6100 personnes) et les Laurentides (+ 5200 personnes). Les gains de ces deux régions ont toutefois diminué depuis 2020-2021, principalement en raison d’une baisse du nombre d’entrants en provenance des autres régions.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Le bilan est resté favorable pour quelques régions du Québec. Celle de Lanaudière a réalisé un gain net de 6100 personnes, devant celle des Laurentides qui a affiché un solde positif de 5200 personnes.

Même des régions éloignées attirent plus de Québécois qu’elles ne perdent de résidants, comme la Gaspésie– Îles-de-la-Madeleine (+ 392 personnes), le Bas-Saint-Laurent (+ 791 personnes) et le Saguenay–Lac-Saint-Jean (+ 756 personnes).

Laval et l’Outaouais ont récemment basculé parmi les régions déficitaires dans leurs échanges migratoires, mais leurs pertes nettes ont été de faible ampleur en 2022-2023. Les trois autres régions déficitaires sont situées plus loin des principaux centres urbains : l’Abitibi-Témiscamingue, la Côte-Nord et le Nord-du-Québec, où les soldes sont négatifs depuis bon nombre d’années.

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La mairesse de Montréal, Valérie Plante

Le cabinet de la mairesse Valérie Plante n’a pas commenté la baisse d’attractivité de Montréal auprès des jeunes adultes québécois, mais s’est plutôt réjoui de l’augmentation de la population totale. « La diminution des pertes migratoires interrégionales à Montréal depuis la pandémie est encourageante et tous les efforts sont mis en place pour qu’elle se poursuive », a aussi souligné l’attachée de presse de Mme Plante, Catherine Cadotte. « L’abordabilité et l’accessibilité du transport collectif de la région métropolitaine restent des facteurs déterminants pour son attractivité et c’est pourquoi tous les paliers doivent continuer de déployer des efforts importants. »

Du côté de l’opposition à l’hôtel de ville, on blâme notamment l’inefficacité des mesures prises par l’administration Plante pour s’attaquer à la crise du logement.

« Le fait que les jeunes boudent Montréal et que les jeunes familles choisissent de quitter la ville n’est pas surprenant », se désole Aref Salem, chef de l’opposition. « Entre l’augmentation fulgurante des loyers, le manque de logements abordables, la difficulté d’accéder à la propriété, vivre à Montréal devient un luxe que peu de familles ont les moyens de s’offrir. Quand ils voient en plus la qualité de vie se détériorer, plusieurs estiment que le jeu n’en vaut pas la chandelle. C’est pour cette raison qu’Ensemble Montréal a fait adopter en 2022 une motion demandant à la Ville de Montréal d’entamer une réflexion sur l’exode urbain. »