Ulcérés de se faire mettre des bâtons dans les roues, des entrepreneurs délinquants ont tenté diverses manœuvres d’intimidation contre l’inspectrice générale Brigitte Bishop ces dernières années. Un détective privé a même été embauché pour fouiller sa vie personnelle dans l’espoir de lui faire lâcher prise. Sans succès.

C’est ce que raconte la principale intéressée en entrevue avec La Presse, alors qu’elle vient de déposer son dernier rapport annuel et qu’elle se prépare à laisser sa place à son successeur, après près de six ans à la tête du Bureau de l’inspecteur général de la Ville de Montréal (BIG).

« On a tenté de m’intimider », reconnaît-elle, presque à reculons, lorsqu’on la questionne.

« J’ai eu des poursuites-bâillons, des mises en demeure, des menaces de saisir mes biens. On a même engagé quelqu’un pour aller chercher de l’information personnelle à mon égard pour essayer d’entacher ma réputation », raconte MBishop. La manœuvre faisait suite à un de ses rapports publics.

On a su entre les branches que le but était de voir si on pouvait me reprocher quelque chose. Au BIG, j’ai l’immunité par la loi. Mais ce qu’on essayait de faire, c’était de dire que j’étais hors mandat, que j’avais des motifs obliques, des motifs personnels, pour réussir à me poursuivre personnellement.

Brigitte Bishop, inspectrice générale de Montréal

Elle assure que l’affaire ne l’a pas empêchée de poursuivre ses travaux. « On essayait de m’empêcher d’avoir du cran. Au contraire, ça m’a motivée encore plus ! »

Les Hells Angels et leurs sympathisants

C’est en 2018, après une carrière comme procureure spécialiste de la lutte contre le crime organisé, que MBrigitte Bishop a pris la tête du BIG, l’organisme qui est notamment chargé de surveiller l’attribution et l’exécution des contrats municipaux, de bannir les entrepreneurs délinquants et de formuler des recommandations pour améliorer les processus.

Lorsque ses enquêteurs ont commencé à lui exposer les dossiers sur lesquels ils travaillaient au BIG, elle a vite reconnu des noms qu’elle avait croisés dans son ancienne carrière, dans le cadre de poursuites contre les Hells Angels.

Dans certains dossiers, je peux dire qu’il y a des noms qui me sont très familiers. On voit encore des motards et de leurs sympathisants. La mafia italienne, beaucoup moins qu’autrefois par contre.

Brigitte Bishop, inspectrice générale de Montréal

À son arrivée en poste, elle a été surprise de constater à quel point certains acteurs agissaient encore sans gêne. La commission Charbonneau avait exposé au public bon nombre de stratagèmes de collusion et de corruption, les enquêtes policières avaient mené beaucoup d’acteurs en prison, puis le premier inspecteur général de Montréal, Denis Gallant, avait donné à son tour un coup de balai à partir de la création du BIG en 2014. Mais certains ne semblaient jamais apprendre.

« Ce qui m’a surprise, c’était à quel point c’était encore flagrant », se souvient-elle.

« Les délinquants contractuels, à mesure qu’on fait des rapports, ils s’adaptent. Avec le temps, ils ont commencé à se sophistiquer. Mais on constate la pertinence du BIG : il y a encore des tentatives de collusion, encore des personnes qui vont essayer d’acheter des gens en leur offrant des sommes d’argent, encore du placement de produit, encore un cadre normatif qui est parfois mal compris », énumère-t-elle.

Un pouvoir « très efficace »

Pendant le mandat de MBishop, le BIG a publié des rapports sur un entrepreneur qui déversait illégalement des boues d’égout en milieu agricole, sur des malversations dans l’industrie du recyclage, sur un déneigeur délinquant qui continuait de sévir en ville grâce à un prête-nom et sur les difficultés liées à la gestion des sols excavés en milieu urbain.

Parfois, la preuve d’une infraction criminelle ou pénale aurait été longue et difficile à faire devant les tribunaux, mais l’inscription du délinquant sur la liste noire des contrats publics montréalais et la publication de son nom dans un rapport public permettent de mettre fin aux comportements problématiques.

« C’est une façon d’agir autrement. Le Code criminel et les poursuites civiles, je respecte ça, je suis avocate. Mais avec le cadre normatif, on a un pouvoir très différent et très efficace aussi », explique Brigitte Bishop.

Des entrepreneurs jugent encore aujourd’hui que les pouvoirs du BIG sont trop larges, que ses rapports imposent des conséquences injustes aux entreprises visées et qu’il est trop difficile de les contester. Ils ont lancé plusieurs contestations judiciaires, sans succès jusqu’à présent. Au moins un de ces dossiers doit être entendu en appel cette année.

Le nom de son successeur (MFrançois Lanthier) n’était pas encore public au moment de l’entrevue et MBishop a refusé de se prêter au jeu des spéculations sur son identité, mais elle a tout de même formulé un conseil pour la personne qui occupera son poste.

« Il faut avoir du cran, ne pas avoir peur de foncer, dénoncer et avancer », croit-elle.

Qui est Brigitte Bishop ?

  • Ancienne procureure de la Couronne affectée à la lutte contre le crime organisé.
  • Titulaire d’un diplôme de deuxième cycle en lutte contre la criminalité financière.
  • Comme procureure, elle a fait confisquer plusieurs bunkers aux motards criminels, ainsi que des résidences, des véhicules, des bijoux et des objets de luxe.
  • Elle a travaillé comme conseillère à la Sûreté du Québec avant de passer au BIG.