Le métro de Montréal pourrait bientôt être équipé d’un système de surveillance en intelligence artificielle qui détecterait les comportements précédant des tentatives de suicide afin d’en réduire le nombre, a appris La Presse. Au besoin, une alarme pourrait notamment être envoyée aux chauffeurs afin d’éviter le pire.

Ce qu’il faut savoir

  • Des chercheurs planchent actuellement sur un modèle d’IA pour prévenir en direct les tentatives de suicide dans le métro.
  • Cette mesure serait accompagnée d’une réforme technologique sur le plan du traitement des vidéos enregistrées.
  • Le nombre d’interventions des employés de la STM en prévention du suicide est en hausse.

« Des personnes qui passent beaucoup de temps à regarder dans la direction du tunnel, d’autres qui s’approchent du bout du quai ou qui passent souvent la ligne jaune au sol, voire qui laissent passer plusieurs métros, ce sont tous des indices annonçant une possible tentative », explique en entrevue le professeur d’informatique à l’Université TÉLUQ, Wassim Bouachir.

Mené avec des psychologues du Centre de recherche et d’intervention sur le suicide (CRISE) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), le projet se base sur des travaux d’abord réalisés en 2016. À l’époque, le chercheur Brian Mishara, sommité mondiale en suicidologie, avait lancé des recherches sur la notion de « trajectoires » liées au suicide dans le métro de Montréal. Ses travaux avaient contribué à établir des protocoles d’intervention.

Huit ans plus tard, « on a donc déjà beaucoup de travail de fait, mais on veut aller plus loin », lance M. Bouachir. Au cours des prochains mois, son groupe élaborera un algorithme capable de signaler la présence d’un possible usager suicidaire à partir de vidéos enregistrées dans le métro de Montréal.

On va comparer des échantillons de comportements dits normaux et d’autres qui précèdent des tentatives de suicide, le but étant que le modèle soit capable d’apprendre lui-même les éléments problématiques.

Wassim Bouachir

Ultimement, quand le système détectera une possible tentative, il pourra réagir de différentes façons, en fonction du risque. Si celui-ci est modéré, le personnel de sécurité en station sera averti et pourra intervenir. À l’inverse, s’il est plus élevé, le chauffeur pourra alors être averti directement afin de s’immobiliser avant l’arrivée au quai. « Chaque cas est différent, et le système va être entraîné pour ça », note Wassim Bouachir.

Ce dernier estime que d’ici deux ans tout au plus, les résultats devraient être « assez concluants » pour une implantation dans le métro. « On va devoir tester la précision du système à différents niveaux, déterminer aussi le taux de fausse alarme, le temps de réponse, des choses comme ça », ajoute-t-il.

Dans le métro, le nombre de tentatives de suicide suit une tendance plutôt stable, oscillant généralement autour d’une vingtaine annuellement. La Société de transport de Montréal (STM) assure déjà une vigie manuelle du phénomène, demandant aux trains d’entrer en station au ralenti si un problème est décelé.

D’ailleurs, le nombre d’interventions des employés en lien avec la prévention d’un suicide est en hausse depuis plusieurs années. Entre 2013 et 2023, la STM a recensé 2010 interventions de ses employés pour prévenir un suicide, dont plus d’un millier dans les quatre dernières années seulement. En 2023, 236 opérations du genre ont eu lieu, et en 2022, 256.

Un changement majeur

Pour le directeur des études innovation à la STM, Pierre Gingras, l’arrivée d’un tel projet devrait ouvrir la porte à des changements technologiques importants à l’interne.

« Nos 2000 caméras sont traitées sur des serveurs à partir desquels on peut récupérer des enregistrements, mais avec un logiciel de traitement d’image en temps réel, ce traitement serait beaucoup trop important. On va donc explorer la possibilité de traiter l’image depuis la caméra, au lieu du serveur, un peu comme le font les caméras de sécurité sur les maisons », explique-t-il.

Une telle réforme permettrait de réduire les coûts, mais aussi d’améliorer la performance du système d’intelligence artificielle lui-même, selon Pierre Gingras.

Ses équipes cibleront dans les prochains mois les stations dans lesquelles le modèle pourra d’abord être testé en projet pilote. « L’idée, à terme, sera d’équiper toutes les stations, mais on va commencer avec ce qui est, selon nous, le plus névralgique. On va aussi évaluer si on doit rajouter des caméras sur notre réseau. On veut être le plus prêt possible dans deux ans », précise le gestionnaire.

M. Gingras assure que tout est en place pour protéger l’identité des usagers. « Quand on transfère des vidéos aux chercheurs, de notre côté, on floute déjà tous les visages. Ce sera la même chose une fois le système en place. L’important, ce sont les trajectoires, les mouvements, pas les visages », note-t-il.

Le chercheur Wassim Bouachir, lui, estime qu’il s’agit d’une « rare opportunité » de faire innover le milieu du transport collectif. À ce jour, aucun système dans le monde n’est capable de détecter des comportements suicidaires dans un métro. « On a aussi l’occasion de réunir des chercheurs en psychologie et des informaticiens, ce qui n’arrive pas souvent », conclut-il.

Pas de portes palières, mais…

L’idée d’équiper le métro montréalais de portes palières, comme à Paris, a quant à elle été suspendue en 2022 en raison du contexte financier difficile des sociétés de transport. Environ 200 millions avaient été promis par Québec pour réaliser ce projet. Dans son plus récent budget, la STM a toutefois inscrit une somme de 5 millions « destinée à l’étude du projet vers 2032 », afin de tenir compte de la reprise estimée de l’achalandage et de projets majeurs futurs comme le prolongement de la ligne bleue vers Anjou et le Projet structurant de l’Est.

PHOTO FOURNIE PAR LA STM

Des portes palières du métro de Paris

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    Nombre minimal de suicides survenus au Québec en 2022, selon les données les plus récentes de l’Institut national de santé publique du Québec, actualisées lundi. Le taux de suicide reste assez stable depuis quelques années, autour de 12 par 100 000 personnes, mais est trois fois plus élevé chez les hommes que chez les femmes.
    source : INSPQ