Un haut fonctionnaire de la Ville de Montréal a ébauché des plans pour lancer son service dans le marché de l’hydrogène avec une entreprise qui l’employait et dont il détenait des actions jusqu’à récemment. Le chien de garde de l’éthique municipale se penche sur la situation.

Sid Zerbo a quitté de son poste d’ingénieur-chef de la start-up de production d’hydrogène Charbone pour accepter la présidence de la Commission des services électriques de Montréal (CSEM) en juillet 2022. La CSEM, considérée comme un service municipal de Montréal, gère les milliers de kilomètres de conduits souterrains qui passent sous la métropole.

À son arrivée à la Ville de Montréal, M. Zerbo a mis de l’avant sa volonté d’impliquer son organisation dans le développement d’infrastructures liées à l’hydrogène, selon des documents confidentiels que La Presse a pu consulter.

PHOTO TIRÉE DE X

Le président de la Commission des services électriques de Montréal, Sid Zerbo

L’ingénieur a notamment fait circuler à l’interne, au printemps dernier, un document portant les logos de son organisation et celui de son employeur précédent. « Ce document décrit un projet proposé par la CSEM en association avec la société Charbone Hydrogène Corporation, pour la construction d’une usine de production d’hydrogène vert associée à l’implantation d’une station-service permettant de distribuer cet hydrogène sur le territoire de Montréal », indique l’introduction.

M. Zerbo était actionnaire de Charbone pendant son emploi, a confirmé l’entreprise. La semaine dernière, malgré plusieurs tentatives de La Presse, il n’a pas voulu indiquer s’il y détenait encore une participation. L’entreprise, qui espère produire un jour de l’hydrogène, est cotée en Bourse.

À la même époque, dans un courriel, M. Zerbo demandait l’avis de son équipe sur des « projets pilotes possibles » pour son service : « l’implantation d’une usine pilote d’hydrogène », la conversion de véhicules de la Ville vers l’hydrogène et « la construction d’un nouveau réseau de conduits d’hydrogène avec une sortie minimum par arrondissement ».

Quelques mois plus tard, dans un courriel envoyé par M. Zerbo et obtenu par La Presse, les « conduits d’hydrogène et stations de distribution hydrogène » sont cités parmi « les priorités et orientations d’innovation de la CSEM ». Le patron a aussi diffusé à l’interne un brouillon de rapport d’ingénieur évoquant un projet de « super-borne CSEM » permettant de recharger les véhicules électriques comme ceux à l’hydrogène.

Lundi soir, nous avons pu confirmer que Sid Zerbo avait été suspendu de ses fonctions dans la foulée des questions posées par La Presse.

La mission de la CSEM, qui ne mentionne pas l’hydrogène, n’a pas été modifiée depuis l’arrivée de son actuel président. L’organisation n’a jamais été impliquée de près ou de loin dans l’industrie de l’hydrogène. Son réseau n’inclut même pas de conduites de gaz naturel.

« Il n’y a rien d’impossible dans la vie », a affirmé Serge Boileau, le prédécesseur de M. Zerbo, en entrevue avec La Presse. « Cependant, cette orientation-là ne fait pas partie de la mission fondamentale de la CSEM. Si on veut aller dans ce sens-là, il n’y a rien qui ne l’empêche, mais ça va demander une révision de la mission, une révision de la Charte. »

« Strict respect de la mission »

Dans un bref courriel, la Ville de Montréal s’est limitée à confirmer qu’elle se penchait sur la situation.

« Nous vous confirmons que le contrôleur général a déjà été mandaté pour effectuer une analyse en lien avec les questions que vous soulevez », a indiqué le relationniste Hugo Bourgoin. Le contrôleur général est le gardien de l’éthique au sein de l’administration municipale.

Sid Zerbo, pour sa part, a confirmé avoir « estimé qu’il était souhaitable d’envisager une réflexion sur les potentiels de l’hydrogène à différents égards », a expliqué le conseiller aux communications Yannick Serrano, de la CSEM, dans un courriel. « C’est ainsi que se déroulent des réflexions, démarches exploratoires ou consultations avec plusieurs interlocuteurs, le tout dans le strict respect de la mission de la CSEM et dans une perspective de recherche et développement. »

La réponse a toutefois souligné que la CSEM n’avait « aucun projet » de production, de transport ou de distribution d’hydrogène et « aucun contrat » avec Charbone.

M. Zerbo a refusé la demande d’entrevue de La Presse.

Une première version de la réponse écrite transmise jeudi à La Presse soulignait que la réflexion de M. Zerbo quant à l’hydrogène avait été effectuée « en toute transparence avec le conseil d’administration de la CSEM et la Ville de Montréal ». Dans une version corrigée du courriel envoyée quelques heures plus tard, cette seule phrase était supprimée.

Le cabinet de Valérie Plante n’a pas voulu commenter la situation.

Le président de Charbone, Dave Gagnon, a assuré en entrevue téléphonique qu’il n’avait « pas de projet » sur les rails avec l’organisation dirigée par son ex-collègue.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Le président de Charbone, Dave Gagnon, devant l’un de ses véhicules à hydrogène, en juin dernier

Le document obtenu par La Presse qui fait état du contraire est « un draft qu’on a soumis à la CSEM », a-t-il continué, confirmant la tenue d’au moins une rencontre avec M. Zerbo. « Ça s’est arrêté là. […] Il n’y a pas eu d’avancement. »

« Pas crédible »

En plus de son emploi à la tête de la CSEM, une organisation de 185 employés et de plus de 150 millions de dollars de budget, Sid Zerbo possède aussi une entreprise de service informatique et un parc immobilier locatif.

Ce dernier a toutefois été amputé dans les derniers mois : M. Zerbo s’était endetté à hauteur de près de 4 millions auprès d’un prêteur privé et a omis de lui faire quelque versement que ce soit, selon un jugement de la Cour supérieure daté du printemps. La décision ordonne le transfert de six propriétés de l’ingénieur – dont son domicile – vers son prêteur.

M. Zerbo a tenté de faire invalider le contrat de prêt et de blâmer le courtier hypothécaire au dossier. Mais la juge Marie-Claude Lalande n’a pas été tendre avec lui, affirmant que son témoignage n’était « pas crédible ».

« Il ressort du témoignage de Zerbo que tout ce qu’il voulait, même rendu au procès, c’était d’acheter du temps pour trouver un nouveau financement », un comportement « sanctionnable » quand il étire inutilement des procédures judiciaires. Elle l’a d’ailleurs condamné à verser 2000 $ au prêteur pour abus de procédure.

Ce jugement « ne remet aucunement en cause [les] compétences [de M. Zerbo] à titre de président de la CSEM », a fait valoir le conseiller en communications de l’organisation dans un courriel. « Sachez par ailleurs pour information que la valeur de son parc immobilier excède largement celle du prêt sur lequel porte le jugement auquel vous faites référence. »

Qu’est-ce que la CSEM ?

Peu connue, la CSEM est pourtant un joueur important dans les rues de la métropole. Elle est en effet responsable d’une importante partie des chantiers afin d’entretenir ses conduites souterraines s’étendant sous 770 km de rues. La majeure partie du réseau de la CSEM se trouve en effet sous terre, un autre héritage de sa création au début du XXe siècle. Un incendie majeur à Baltimore en 1904 avait incité Montréal à enfouir ses câbles. La CSEM a été créée six ans plus tard. C’est le gouvernement du Québec qui nomme le président de l’organisation. Aujourd’hui, la majeure partie de ses infrastructures consistent en des conduites souterraines dans lesquelles circulent des câbles électriques d’Hydro-Québec ou de ceux de télécommunications, comme Vidéotron. Le réseau de distribution de gaz naturel d’Énergir est toutefois complètement distinct.