La statue de John A. Macdonald érigée place du Canada ne reviendra pas sur son socle, a décidé l’administration Plante, trois ans après son renversement par des militants d’extrême gauche.

Le comité exécutif a adopté mercredi les recommandations du comité ad hoc qui recommande d’envoyer le bronze de 125 ans dans un musée et de commander une « intervention artistique » autour du socle et du baldaquin de pierre.

En conférence de presse, l’élue responsable de la culture au comité exécutif, Ericka Alneus, a défendu la décision de son équipe.

« Je tiens vraiment à dire que l’on condamne le vandalisme », a-t-elle affirmé. La décision de retirer la statue, « c’est vraiment exceptionnel et c’est vraiment dans des cas de choses graves et offensantes. Et ça, ça s’étudie ».

Si d’autres statues sont déboulonnées dans le futur, « on va l’étudier et on va prendre la décision la plus éclairée », a continué l’élue. « Je recommande à tout le monde de ne pas déboulonner les biens publics. Ça ne veut pas dire que ça va déclencher un processus » d’évaluation comme pour la statue de John A. Macdonald.

Mme Alneus a souligné qu’une nouvelle politique adoptée par Montréal l’an dernier prévoyait un processus formel visant à demander la réévaluation d’une reconnaissance dans l’espace public.

Montréal aimerait pouvoir installer l’intervention artistique et procéder à la restauration de la statue en 2024. Cette dernière pourrait être exposée à partir de 2025.

« Il ne faut pas réécrire l’histoire »

C’est le 29 août 2020 que des manifestants masqués ont arraché la statue du tout premier premier ministre du Canada, dont la tête s’est détachée en percutant le sol. Valérie Plante et de nombreux autres élus de tous les ordres de gouvernement avaient dénoncé ces actes.

La classe politique s’est faite beaucoup plus discrète dans la foulée de l’annonce de la décision de l’administration Plante.

« Je pense que la position de notre gouvernement, elle est très claire », a affirmé le ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, avant l’annonce de la décision, sans trancher directement la question. « Il ne faut pas réécrire l’histoire. Il faut cohabiter avec cette histoire-là, pour le meilleur et pour le pire. Je pense que c’est important et c’est une ligne qu’on va continuer de tenir. » Son cabinet a indiqué qu’il ne souhaitait pas reprendre la parole après l’annonce de la décision.

La mairesse Valérie Plante n’a pas pris la parole sur cet enjeu pendant la séance du comité exécutif. Elle n’avait pas d’autres activités publiques.

« Bien que nous respectons la décision et que nous sommes en accord avec celle-ci, elle engendre plusieurs questionnements sur notre gestion des statues de personnages dont l’historique soulève des enjeux », a réagi Chantal Rossi, responsable de la culture au sein de l’opposition officielle, par courriel.

Est-ce que chaque statue déboulonnée fera l’objet d’une étude par un comité ad hoc ? Dans le cas inverse, comment allons-nous procéder ?

Chantal Rossi, élue de l’opposition officielle

La Société Saint-Jean-Baptiste, pour sa part, s’est félicitée de la décision. « L’ancien premier ministre John A. Macdonald ne mérite pas l’honneur de voir sa statue trôner au cœur de la métropole québécoise », a indiqué sa présidente Marie-Anne Alepin par communiqué. « Cet homme est responsable de politiques assimilatrices désastreuses et sanglantes, en plus d’avoir fait preuve du plus grand des mépris envers les Québécois et d’autres peuples, comme les Métis. John A. Macdonald a sur ses mains le sang de Louis Riel. »

L’historien Éric Bédard croit aussi que la réinstallation de la statue n’aurait pas été opportune.

« Replacer la statue aurait généré une tension, une polémique qui aurait desservi une saine compréhension de cet ancien [premier ministre]. Que la statue de Macdonald puisse être conservée ailleurs, c’est une bonne idée », a-t-il estimé. Il déplore toutefois que le comité d’experts ait évoqué la tenue d’un « rituel commémoratif allant dans le sens du pardon autour du monument ».

« Racontons l’histoire du personnage et de l’époque, présentons les décisions, les mentalités et laissons le public juger, a affirmé M. Bédard. Les perspectives des élites de l’époque sont à ce point différentes de celles d’aujourd’hui qu’il n’est pas nécessaire d’en rajouter ! »

Une figure controversée

Le comité ad hoc avait émis ses recommandations dès janvier dernier, révèle son rapport. « Considérant les politiques assimilatrices que le premier ministre a mises en œuvre à l’endroit des peuples autochtones et les actes discriminatoires qu’il a perpétrés envers plusieurs groupes de personnes, dont les conséquences sont encore douloureuses et palpables pour plusieurs communautés, le comité estime, dans l’esprit d’un processus de réconciliation, qu’il est nécessaire de se distancer de son héritage et de la vision coloniale que le monument vise à glorifier », indique le document.

Le comité chargé d’étudier le dossier était composé de sept membres externes – dont la sénatrice Michèle Audette et trois universitaires – et de quatre fonctionnaires de la Ville de Montréal.

Le monument à John A. Macdonald date de 1895. La statue de l’homme politique a été réalisée par George Edward Wade, un sculpteur londonien. Le socle et le baldaquin sont en granit.

« Le monument souligne les faits majeurs du gouvernement de Macdonald qui ont contribué à l’expansion du Canada », indique le site internet de la Ville de Montréal. « Parmi les monuments érigés à la mémoire de Macdonald, celui de Montréal demeure le plus imposant et le plus élaboré. »

La figure de Macdonald (1815-1891) – premier premier ministre du Canada et fondateur du Parti conservateur du Canada – suscite la controverse depuis des années. Le rôle central du personnage dans la mise en place de politiques discriminatoires envers les Autochtones, les Métis, les Canadiens français et les immigrants chinois est au cœur des récriminations.

Avec Fanny Lévesque, La Presse