Une maison de 20 chambres pour sortir des femmes de l’itinérance, ça peut sembler bien peu en comparaison de l’ampleur des besoins. Mais dans un contexte de crise du logement, chaque nouveau logement compte.

La directrice de l’organisme montréalais Chez Doris, Marina Boulos-Winton, était donc fière, mardi, de faire visiter son nouvel établissement, tout en soulignant que la demande est énorme pour de tels services, « étant donné la crise de l’itinérance, qui a augmenté pendant la pandémie, ainsi que les coûts de logement et l’inflation », a-t-elle fait remarquer.

La nouvelle maison de chambres, un ancien hôtel situé près de la Place Dupuis, accueillera dès la semaine prochaine les premières des 20 femmes de 28 à 62 ans qui ont été dans la rue pour des périodes variant entre 3 mois et 10 ans. En tout temps, jour et nuit, deux intervenantes seront sur place pour les accompagner dans leurs démarches de « réaffiliation sociale ».

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La directrice de l’organisme montréalais Chez Doris, Marina Boulos-Winton

« La résidence est un programme transitoire entre l’itinérance et un appartement dans le marché privé », explique Alexandra Delgado, responsable des services de réinsertion et de logement pour Chez Doris.

Dans la rue, il y a des compétences qui se perdent, alors l’objectif est de leur redonner la maîtrise de leur vie. Leur but peut être, par exemple, d’apprendre à cuisiner ou d’entreprendre une thérapie.

Alexandra Delgado, responsable des services de réinsertion et de logement pour Chez Doris

L’alcool y sera toléré, avec beaucoup de règles, et les femmes pourront entrer même si elles sont intoxiquées.

Mme Boulos-Winton fait un bref portrait de quelques-unes des futures résidantes : l’une d’elles, âgée de 58 ans, sort d’une relation abusive et violente qui a duré 20 ans et s’est retrouvée sans-abri après avoir été évincée de son logement ; une autre, une dame de 62 ans qui souffre de schizophrénie, a perdu son appartement au début de la pandémie.

« La maladie mentale est un gros problème qui empêche de trouver un logement stable, déplore Mme Boulos-Winton. Il manque de services dans le réseau de la santé, et plusieurs femmes refusent les services, ce qu’elles ont le droit de faire, tant qu’elles ne sont pas un danger pour elles-mêmes ou pour les autres. Alors il faut malheureusement attendre qu’il arrive quelque chose pour avoir un mandat de la cour qui les oblige à se faire soigner. »

Des femmes refusées chaque soir

Parce que la demande a augmenté pendant la pandémie, Chez Doris a ouvert en septembre 2022 un refuge de nuit de 24 lits d’urgence, en plus de son centre de jour. Mais l’organisme doit refuser entre quatre et neuf femmes chaque nuit. Certaines sont obligées de dormir dans la rue ou dans des tentes.

Les 20 locataires de la nouvelle maison de chambres ont accès à des cuisines et des salons communs, et à de grandes terrasses extérieures.

L’achat et la rénovation de l’ancien hôtel ont coûté 6,4 millions. Le projet a vu le jour grâce à l’appui de la Ville de Montréal et à une contribution financière de plus de 5 millions du gouvernement du Canada par l’entremise de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), dans le cadre d’une Entente Canada-Québec pour la création rapide de logements. Le gouvernement du Québec allouera pour sa part un supplément au loyer, ce qui permettra aux futures résidantes de débourser seulement 25 % de leurs revenus pour se loger, alors que le loyer mensuel de chaque chambre a été fixé à 858 $.

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Le philanthrope montréalais Bash Shetty (au centre) a fait un don de 1 million de dollars à la résidence.

Le reste provient de donateurs privés, notamment du philanthrope montréalais Bash Shetty, qui a fait un don de 1 million de dollars. La nouvelle résidence porte d’ailleurs son nom. M. Shetty, qui a fait carrière dans le droit et l’assurance maritimes, était présent à l’inauguration, mais n’a pas voulu donner d’entrevues aux médias.

Les maisons comme bouée

En septembre, Chez Doris inaugurera un autre immeuble comportant 26 studios. Puis, en 2025, une résidence de transition qui offrira des logements pour des périodes de trois mois à deux ans.

Le responsable de l’habitation au comité exécutif de la Ville de Montréal, Benoit Dorais, présent à l’inauguration, a souligné que les maisons de chambres sont souvent la bouée qui permet aux itinérants de sortir de la rue, en raison de leur loyer abordable. Montréal a d’ailleurs assujetti 100 maisons de chambres à son droit de préemption, qui lui donne un droit de premier refus quand l’une de ces propriétés est mise en vente.

Au cours de la dernière année, la Ville a acheté quatre maisons de chambres, et d’autres transactions sont à venir, promet M. Dorais. « On a prévu un fonds de 600 millions sur 10 ans pour ces achats, rappelle-t-il. C’est un montant astronomique, du jamais-vu. »