Un autre campement de personne sans-abri a été démantelé, cette fois dans un parc d’Ahuntsic.

La Ville de Montréal continue de serrer la vis aux sans-abri qui campent sur des terrains municipaux : six d’entre eux, qui vivent dans des tentes disséminées dans un parc d’Ahuntsic, seront expulsés jeudi, même s’ils disent n’avoir nulle part où aller.

La semaine dernière, au moins un autre campement a été démantelé sur le mont Royal, tandis que les tentes sont tolérées à plusieurs autres emplacements, notamment dans le quartier Saint-Henri et près de l’autoroute Métropolitaine.

Dans le cas d’Ahuntsic, une procédure de conciliation avait pourtant été entreprise avec les résidants du secteur, lors d’une rencontre tenue vendredi dernier.

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Le campement érigé par certaines personnes au parc Basile-Routhier

« C’est inacceptable que l’arrondissement ait fait volte-face de façon aussi soudaine et procède au démantèlement, sans tenir compte de la démarche qui a été entreprise », dénonce René Obregon-Ida, directeur de l’organisme RAP Jeunesse, dont les travailleurs de rue sont en contact étroit avec les résidants du campement.

Plus d’un an

Scott DeRapp a planté sa tente au parc Basile-Routhier il y a plus d’un an, après une série de problèmes qui lui ont fait perdre son appartement dans le quartier. Il dit n’avoir jamais été inquiété par les autorités jusqu’à lundi, lorsqu’il a reçu un avis d’éviction de l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville lui donnant jusqu’à jeudi pour lever le camp.

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Scott DeRapp

« Je reçois 770 $ d’aide sociale, c’est impossible de se trouver un logement avec ce budget », déplore celui qui est considéré comme le « doyen » du campement. « J’aurais besoin d’aide pour trouver un logement abordable. »

L’avis municipal indique quelques ressources pour les sans-abri, dont RAP Jeunesse, qui n’offre qu’un centre de jour. Il n’y a pas de refuge pour itinérants dans le quartier, le plus près se trouvant dans Villeray et affichant souvent complet, selon les campeurs.

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L’avertissement de non-conformité laissé au campement par l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville.

Au moins trois femmes habitent le campement. Or, l’avis de l’arrondissement ne propose aucune ressource pour les itinérantes.

« Avec les intervenants, on fait souvent des recherches pour trouver des places d’hébergement, mais quand on arrive, c’est souvent déjà occupé. Qu’est-ce qu’on fait dans ce temps-là ? On n’a pas d’alternative », explique Vanessa Sarrasin, qui a perdu son logement au début du mois.

Elle dit être à la rue de façon temporaire seulement, puisqu’elle a signé un bail pour un studio pour le 1er juillet. Mais si elle doit quitter le campement le 22 juin, que fera-t-elle ?

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Vanessa Sarrasin

J’ai déjà trouvé un spot où aller installer ma tente, mais je ne dis pas c’est où.

Vanessa Sarrasin

Son futur emplacement ne sera pas aussi pratique que le parc Basile-Routhier, où les campeurs ont accès à des prises de courant pour charger leurs téléphones et à des toilettes dans le pavillon d’accueil, qui comporte aussi un café. Le métro n’est pas loin et un centre communautaire propose des repas tout près.

Plaintes

Ce sont des plaintes de citoyens qui ont mené à la rencontre tenue la semaine dernière, avec des résidants du secteur, des représentants de l’arrondissement et des organismes du quartier, explique Marc-André Lachapelle, travailleur de rue pour RAP Jeunesse. Il admet que deux femmes habitant le campement, qui souffrent de problèmes de santé mentale, ont parfois des comportements inacceptables.

« Mais au lieu d’aider ces personnes qui ont besoin d’assistance, ils expulsent tout le monde », s’insurge Vanessa Sarrasin.

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Marc-André Lachapelle discute avec Scott DeRapp

Ces gens ne vont pas disparaître, ils vont seulement aller plus loin. Et quand ils ne sont pas regroupés, c’est plus difficile de les joindre, ils sont plus à risque d’agressions, de vols, de surdoses.

Marc-André Lachapelle, travailleur de rue pour RAP Jeunesse

À la Ville de Montréal, il a été impossible d’avoir une entrevue avec la responsable du dossier de l’itinérance au comité exécutif, Josefina Blanco. Mme Blanco nous a seulement envoyé une déclaration écrite.

« La position de la Ville est claire : ce n’est pas du mur-à-mur, car on fait face à des drames humains. On parle ici de vraies personnes qu’on traite avec dignité. On travaille de près avec les organismes communautaires, le CIUSSS et notre équipe EMMIS pour accompagner les personnes, ce sont des opérations extrêmement délicates. Mais à la base, notre position est que les campements ne sont pas des solutions sécuritaires et dignes pour les plus vulnérables », écrit-elle.

« Tolérance et conscience »

La semaine dernière, le maire de l’arrondissement du Sud-Ouest, Benoit Dorais, aussi responsable de l’habitation au comité exécutif, a affirmé que le campement d’environ six tentes installé depuis quelques mois près du métro Place-Saint-Henri ne serait pas démantelé « manu militari ». « On a une brigade qui va voir si tout se passe bien, la police y va aussi. On veut s’assurer que la situation qu’ils vivent ne se pérennise pas et leur montrer que des services existent », a-t-il dit, en marge d’une conférence de presse.

Deux femmes rencontrées dans le parc Basile-Routhier, où elles se rendent souvent pour profiter de la vue sur la rivière des Prairies, plaident pour une plus grande tolérance des autorités. « [Les campements] ne dérangent pas, on les voit à peine cachés parmi les arbres », note Pierrette Gélineau.

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Maryse Lavallée et Pierrette Gélineau

« Il faut oublier les préjugés, et appeler à la tolérance et à la conscience », renchérit son amie Maryse Lavallée. « Je ne dis pas que les campements sont LA solution, mais ce sont des citoyens comme les autres qui vivent des conditions de vie difficiles. »