À Vaudreuil-Dorion, une ville située à une quarantaine de kilomètres à l’ouest du centre-ville de Montréal, « le chiard est pogné », résume en entrevue le maire Guy Pilon. Depuis janvier, les trois femmes membres du conseil municipal ont décidé de siéger comme indépendantes. Depuis mars, elles ont été expulsées des comités consultatifs, auxquels ne siègent plus que des hommes.

Tous s’entendent sur une chose : ils n’ont pas la même vision de la politique municipale.

C’est par une même lettre avec leurs trois noms pour destinataires, le 24 février, que les conseillères Jasmine Sharma, Karine Lechasseur et Diane Morin ont appris la décision « de remanier les différents comités du Conseil », est-il écrit.

« Étant donné que vous avez mentionné à quelques reprises que certaines décisions vont à l’encontre de vos valeurs que nous ne connaissons pas, les membres actuels du Parti de l’action de Vaudreuil-Dorion ont décidé de continuer avec les valeurs établies et actuelles de notre parti politique […]. »

La lettre, signée par le maire Guy Pilon, inclut la liste de 15 comités auxquels ne siégeront désormais que les membres masculins du conseil municipal.

Le 17 janvier, coiffant un article sur la décision des trois conseillères de siéger comme indépendantes, le site web de nouvelles régionales Néomédia reprenait pour titre une citation du maire Guy Pilon. « C’était devenu les filles contre les hommes », peut-on lire.

C’est ainsi qu’il voit les choses ? M. Pilon dit ne pas se souvenir s’il a employé les mots « filles » ou « femmes ».

Mais au-delà de la sémantique, perçoit-il que la mésentente vient d’une dispute genrée ?

« C’est devenu cela parce qu’elles l’ont décidé », répond M. Pilon, maire de Vaudreuil-Dorion depuis 18 ans et qui en est à son cinquième mandat.

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

Le maire de Vaudreuil-Dorion, Guy Pilon

La lettre de février expulsant les conseillères des comités évoque une décision commune du Parti de l’action de Vaudreuil-Dorion. En entrevue à La Presse, M. Pilon assure néanmoins qu’au-delà des élections, « il n’y a jamais eu de ligne de parti ».

Aux élections municipales de 2021, le maire et sept des huit conseillers municipaux ont été élus par acclamation. (Le candidat de l’équipe du maire a remporté le dernier siège du conseil.)

Le projet de Walmart, le déclencheur

Il y a encore 20 ans, Vaudreuil-Dorion comptait 16 000 habitants. Il en compte aujourd’hui plus de 43 000.

Le maire et les trois conseillères indépendantes expliquent que la dispute a éclaté en 2022, autour du projet de construction à Vaudreuil-Dorion du premier centre de traitement des commandes au Québec de Walmart. Un investissement de 100 millions de l’entreprise, que le maire voit d’un œil très favorable.

Karine Lechasseur, elle, y était opposée. « Il est situé à un kilomètre du futur hôpital, ce qui en fait un site stratégique », à son avis.

On n’a plus d’espaces pour le développement, alors il faut être super judicieux avec ce que l’on veut faire [des terrains restants].

Karine Lechasseur, conseillère municipale indépendante

Elle explique ne pas avoir la même vision de développement économique que le maire, tout en comprenant parfaitement qu’en démocratie, la majorité l’emporte.

Ce qu’elle n’accepte pas, c’est qu’il n’y ait pas de place pour le débat, qu’elle sente que ce qu’on attend d’elle, c’est, dit-elle : « “Viens t’asseoir, écoute-nous, prends de l’expérience.” »

Diane Morin dénonce elle aussi l’absence de débats. Quand elle siégeait dans l’équipe du maire, tout se décidait en caucus, raconte-t-elle. Au conseil municipal, poursuit-elle, si un conseiller affichait sa dissidence sur un vote donné, le maire « devenait bleu marine ».

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L’hôtel de ville de Vaudreuil-Dorion

Or, lorsqu’elle n’est pas d’accord avec une proposition, il est important pour elle, explique-t-elle, que les citoyens sachent qu’elle est dissidente, qu’elle n’a pas voté pour cela, mais qu’en démocratie, la majorité l’emporte.

La conseillère indépendante Jasmine Sharma reproche aussi au maire « sa rigidité », « son manque d’ouverture », qui vient de culminer avec l’expulsion des trois conseillères indépendantes de tous les comités, « sauf le comité consultatif d’urbanisme parce que c’est un comité obligatoire qui a fait l’objet d’une résolution indiquant que j’y siège pour deux ans ».

À cela, le maire Guy Pilon indique que les comités en question ne sont pas « décisionnels », que les décisions se prennent au conseil municipal et que conseillers et conseillères ont accès à toute la documentation.

Au contraire, selon Jasmine Sharma, ces comités « ne sont pas juste consultatifs. Les débats se passent là, les orientations sont prises là ».

À son avis, le débat est d’autant plus riche si des gens aux idées et aux opinions diverses apportent leur point de vue et sont en mesure de relever des « angles morts ».

« De la vieille politique »

Pour Mme Lechasseur, la façon de faire de M. Pilon « est de la vieille politique. Nous n’avons pas le même concept de la démocratie ».

« Ça a l’air d’être [une dispute] entre les hommes contre les femmes, mais [une femme]… c’est ce que je suis. »

M. Pilon vit mal la situation.

On me crache dessus, on me dit que je suis un grossier personnage… Elles nous ont traités de misogynes.

Guy Pilon, maire de Vaudreuil-Dorion

« Il n’y a plus aucun lien de confiance entre les six hommes et les trois femmes », résume M. Pilon.

Le conseiller François Séguin se dit en entrevue « très à l’aise » avec l’expulsion des femmes des comités, qui, insiste-t-il, ne sont que consultatifs. « Ce sont elles qui se sont exclues, affirme-t-il, ajoutant qu’il ne voit pas comment il pourrait s’asseoir à leurs côtés après tout ce qui a été dit.

« J’en suis à mon neuvième mandat, j’ai toujours fonctionné dans le respect, je m’attends aussi à du respect. »

Il ajoute que si un homme avait fait partie du groupe de celles qui sont devenues indépendantes, « il aurait subi le même sort », que ce n’est pas une question de genre.

De son côté, Paul Dumoulin, conseiller depuis 32 ans, dit que depuis qu’il connaît le maire Guy Pilon, il ne l’a jamais vu crier « ou mettre son poing sur la table ».

Les femmes conseillères étant des élues au même titre que les conseillers, comment justifier qu’elles ne siègent plus aux comités ? À cela, M. Dumoulin, comme M. Séguin, répond que ça serait impossible qu’elles y soient encore, étant donné que les conseillères indépendantes ont dit ne plus faire confiance au maire et aux conseillers.1

Les conseillères indépendantes dénoncent le fait que pour le maire, les décisions doivent être prises rapidement, sans dissension lors des conseils municipaux.

Le maire Guy Pilon conclut en disant son désir de « continuer de faire avancer la Ville ».

« Elles voudraient qu’on jase jusqu’à ce qu’il y ait un consensus. Mais à un moment donné, [à force de] mettre de l’eau dans son vin, ce n’est plus du vin. »

1 Le conseiller Paul Normand a indiqué par courriel qu’il était absent de l’assemblée du conseil du 20 mars et nous a demandé de communiquer avec le maire Guy Pilon. Les conseillers Luc Marsan et Gabriel Parent n’ont pas répondu à notre demande d’entrevue.