Deux usines mexicaines de la société Clarios, dont la Caisse de dépôt et placement du Québec détient 30 % des actions, sont montrées du doigt dans un nouveau rapport. Deux organisations non gouvernementales soutiennent que le voisinage de ces usines de recyclage de batteries de voiture reçoit des concentrations de plomb qui dépassent de plusieurs fois les normes mexicaines.

Selon le rapport publié récemment par l’organisme Occupational Knowledge International, la concentration de plomb atteint 8502 parties par million (ppm) de sol en moyenne, soit 10 fois plus que les normes du pays, dans les environs de l’une des deux usines de recyclage de la société Clarios, plus important exportateur américain de batteries à destination du Mexique⁠1.

Fait à noter, d’autres usines exerçant les mêmes activités dans le même secteur dépassent elles aussi les normes liées au plomb.

« Nous avons pris connaissance des allégations. Puisqu’il s’agit de questions importantes, des conversations sont en cours avec l’entreprise pour vérifier ce qu’il en est », a fait savoir par écrit la Caisse de dépôt jeudi en fin de journée.

Le plomb est un métal qui a des effets néfastes à long terme sur la santé. Une exposition prolongée peut mener à des problèmes d’hypertension et à des problèmes rénaux chez l’adulte. L’enfant et la femme enceinte sont encore plus vulnérables à ses effets toxiques.

« Il est impératif que le Mexique prenne des mesures immédiates pour actualiser la norme relative à l’air ambiant pour le plomb, recommandent les ONG dans leur rapport. Il est également nécessaire d’investir dans des mesures d’application plus strictes. En outre, le Mexique doit adopter des normes complètes en matière de santé et de sécurité au travail pour protéger les travailleurs. » Elles demandent qu’une protection médicale soit offerte aux travailleurs surexposés au plomb.

Un article du New York Times paru lundi dernier fait écho au rapport des ONG. Le texte rapporte le témoignage d’une infirmière qui travaillait pour une usine mexicaine de recyclage de batteries n’appartenant pas à Clarios. Jusqu’au tiers des tests sanguins effectués chez 300 travailleurs révélaient des niveaux de plomb jugés dangereux aux États-Unis⁠2.

« Chez Clarios, des protocoles de sécurité stricts sont en place et nous fournissons à nos employés des équipements de protection de pointe, indique une porte-parole de l’entreprise, Ana Margarita Garza-Villarreal, dans un courriel. Nous mesurons régulièrement l’environnement de travail et l’exposition des employés afin de garantir l’efficacité des mesures sanitaires. Nous prenons au sérieux les questions soulevées, poursuit-elle, et nous examinons actuellement de près les affirmations et les déclarations qui y sont faites. »

La Caisse depuis 2019

Depuis 2019, la Caisse de dépôt est copropriétaire de Clarios. Sa participation était évaluée à plus de 1,5 milliard au 31 décembre 2021. La Caisse et son partenaire Brookfield Business Partners ont acheté ce qui s’appelait Johnson Controls Power Solutions pour la somme de 13,2 milliards US, dette comprise.

Clarios est l’un des leaders mondiaux des batteries automobiles. Il en vend 140 millions par année partout dans le monde. Il détient 15 usines dans 7 pays. Ses ventes annuelles s’élèvent à 9,26 milliards US pour la période de 12 mois se terminant au 30 septembre 2022.

Fortement endetté (plus de 10 milliards US de dettes), le manufacturier a perdu 450 millions US depuis le 1er octobre 2019. Deux directeurs de la Caisse de dépôt, Justin Shaw et Bertrand Villon, siègent au conseil d’administration de Clarios.

« C’est aux deux administrateurs de la Caisse de poser des questions à l’interne. Assurément, quand la Caisse a investi dans Clarios, elle avait des ambitions vertes, alors il y a certainement des questions qui vont se poser », dit François Dauphin, PDG de l’Institut sur la gouvernance des organisations privées et publiques, à qui La Presse a demandé de commenter la situation.

Le rapport préparé par une organisation américaine et une partenaire mexicaine a recueilli 28 échantillons de sol autour de 7 usines de recyclage de batteries au plomb au Mexique. Les échantillons ont été recueillis jusqu’à 385 mètres de distance par rapport aux limites de l’usine. Les résultats ont été analysés par un laboratoire indépendant.

Exporter ses déchets dangereux pour économiser

« Nous avons des enjeux avec Clarios depuis longtemps, mais les désaccords sont devenus plus sérieux avec les nouveaux propriétaires », confie dans un entretien téléphonique Perry Gottesfeld, fondateur de l’ONG Occupational Knowledge International.

Il déplore que Clarios ait décidé de fermer son unique usine de recyclage de batteries au plomb aux États-Unis au début de 2021 pour ensuite transférer ses activités de recyclage au Mexique, où les normes d’exposition au plomb sont moins strictes.

Grosses économies

Dès 2013, la Commission de coopération environnementale, dont le siège est à Montréal, soulignait l’écart entre les pays nord-américains relativement aux normes concernant les émissions de plomb dans un rapport portant sur le commerce des batteries de véhicules automobiles⁠3.

La délocalisation des activités de recyclage de Clarios au Mexique a permis des économies de 30 millions US par année, soit environ 25 % des coûts associés au recyclage des batteries, soutient l’entreprise dans des documents déposés auprès du gendarme boursier américain. Elle envisage de faire un appel public à l’épargne quand les conditions le permettront.

PHOTO ALEJANDRO CEGARRA, THE NEW YORK TIMES

Le Mexique est la destination d’au moins 75 % des vieilles batteries qui sortent des États-Unis.

Le Mexique est la destination d’au moins 75 % des vieilles batteries qui sortent des États-Unis. Le volume des exportations de ce produit vers le Mexique [515 000 tonnes en 2021] a crû en moyenne de 18 % par année depuis 10 ans, selon le rapport des deux ONG.

« Il y a un côté immoral à exporter ses problèmes de pollution dans les pays pauvres, dit le professeur Luc Bernier, de l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa. La Caisse devrait être capable de dire à Clarios d’améliorer son bilan environnemental et de s’installer comme il faut pour que les travailleurs ne soient pas à risque. L’exposition au plomb, ça tue du monde à la longue. »

De son côté, François Meloche, directeur de l’engagement actionnarial chez Æquo, relève que le rapport ESG de Clarios [portant sur les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance] mentionne, certes, la protection des travailleurs, mais reste muet au sujet des communautés avoisinantes et des questions de pollution.

1. Consultez le rapport des deux ONG sur Clarios (en anglais) 2. Consultez l’article du New York Times (en anglais) 3. Consultez le rapport de la Commission de coopération environnementale paru en 2013
En savoir plus
  • 43 %
    Part des batteries au plomb exportées par les États-Unis au Mexique qui ont été traitées par l’usine Garcia de Clarios en 2021
    Source : Occupational Knowledge International, février 2023