Montréal s’apprête à démolir une bibliothèque âgée de moins de 30 ans pour laisser place à un nouveau centre culturel, une décision qui soulève des critiques sur les plans environnemental, financier et patrimonial.

« C’est affligeant », dénonce un porte-étendard de l’architecture durable au Québec, alors que les élus locaux font valoir que les citoyens du quartier méritent le meilleur projet possible.

Le concept architectural retenu pour le nouvel Espace Rivière, à Rivière-des-Prairies, a été annoncé le mois dernier. Il ne conserve pas l’édifice de briques jaunes de l’actuelle bibliothèque publique du quartier, inaugurée en 1995. Une partie des matériaux devrait toutefois être réutilisée.

« Je suis vraiment, vraiment contente qu’on aboutisse à ce projet-là, qui est un projet intégré de bibliothèque, de maison de la culture et de centre communautaire », a expliqué la mairesse de l’arrondissement, Caroline Bourgeois, en entrevue avec La Presse.

[La bibliothèque actuelle], ce n’est pas un bâtiment auquel on a nécessairement un grand attachement. C’est un bâtiment qui est non seulement très, très exigu, mais qui n’est pas adapté. 

Caroline Bourgeois, mairesse de Rivière-des-Prairies

« Il est déficitaire en matière de services. On est à côté d’une école secondaire et on n’est même pas capables d’accueillir un grand afflux de jeunes », a-t-elle ajouté.

Le concours architectural organisé pour la conception de l’Espace Rivière n’incluait pas d’obligation de conserver le bâtiment actuel. De fait, aucun des quatre projets finalistes n’intégrait la structure elle-même.

IMAGE FOURNIE PAR AFFLECK DE LA RIVA

Rendu architectural de la future façade de l’Espace Rivière

Conserver le bâtiment, « c’était problématique de plusieurs façons », a expliqué Richard de la Riva en entrevue. C’est sa firme, alliée à Coarchitecture, LGT inc. et François Courville, qui a remporté le concours. Il y avait « des gros morceaux » à intégrer au projet, comme une salle de spectacle ou des quais de chargement. « Ça devenait vraiment une contrainte très difficile pour avoir un projet qui fonctionnait bien, tout simplement. »

L’Espace Rivière doit être construit entre 2024 et 2026, puis être inauguré en 2027.

Le projet de M. de la Riva et de ses collègues prévoit la réutilisation de 80 % de l’acier de structure dans le nouveau bâtiment, ainsi qu’une partie de la brique.

« Tellement incohérent de la part de la Ville »

Malgré cette bonne volonté, le projet enverra quand même des tonnes de matériaux en bon état vers le dépotoir, a dénoncé André Bourassa, ex-président de l’Ordre des architectes et porte-étendard de l’architecture durable au Québec.

« Non, non, non, non », a répété M. Bourassa en voyant des photos du bâtiment promis au pic des démolisseurs. C’est tellement incohérent de la part de la Ville de Montréal. Je n’en reviens pas. Je suis estomaqué. […] J’en ai fait, des bâtiments, en 1995. On ne les faisait pas en papier mâché ! »

Pour moi, ça n’a aucun bon sens. On n’a pas une deuxième planète. Les ressources, il faut s’en occuper. [Pour agir de la sorte], il faut être inconscient de ce que coûtent les ressources.

André Bourassa, ex-président de l’Ordre des architectes

M. Bourassa dit ne pas douter de la bonne volonté de toutes les personnes impliquées, que « chacun a fait ce qu’il a pu ». À son avis, le maintien du bâtiment aurait dû être imposé dans les règlements du concours. À défaut de quoi les participants auront évidemment été tentés de faire table rase afin de proposer le projet le plus impressionnant pour remporter la mise.

La bibliothèque « n’est pas démolie, donc il n’est pas trop tard » pour changer de cap, a-t-il ajouté.

« Attitude archaïque digne des années 1960 »

La Ville de Montréal a indiqué qu’elle n’avait pas associé de cote de vétusté à ce bâtiment. Selon une inspection de 2014, « quelques éléments étaient en bon état et plusieurs autres en état moyen », a rapporté la relationniste Camille Bégin par courriel. « Les systèmes électromécaniques (appareils de plomberie et la distribution de chauffage, ventilation et climatisation de l’air) doivent être remplacés. » Surtout, une modification au bâtiment existant aurait forcé sa mise aux normes, ce qui aurait entraîné des coûts importants, toujours selon la Ville.

Pour Héritage Montréal, qui défend le patrimoine bâti montréalais, la situation soulève des questions. « Ça mérite une explication, cette démolition d’un bien public récent », a affirmé Dinu Bumbaru, directeur des politiques de l’organisme.

À l’heure d’une politique volontariste de transition écologique à la Ville de Montréal, démolir une construction existante plutôt que de viser son adaptation novatrice apparaît comme une attitude archaïque digne des années 1960.

Dinu Bumbaru, directeur des politiques d’Héritage Montréal

M. Bumbaru a souligné la « sensibilité patrimoniale et environnementale » des architectes derrière le projet retenu.

Conserver le bâtiment aurait engendré « des coûts supplémentaires », réplique Caroline Bourgeois lorsqu’on lui demande comment les contribuables devraient réagir à la courte existence de la bibliothèque publique.

« Je suis convaincue que c’est le meilleur projet qu’on a sur la table », a conclu la mairesse Caroline Bourgeois. « Rivière-des-Prairies mérite un projet comme celui qui est sur la table. […] Je fais le pour et le contre et on est beaucoup plus gagnants. »