« À Montréal, j’avais l’impression de faire partie des meubles. Comme si on était un mal nécessaire et que les gens n’étaient pas plus heureux que ça de nous voir », dit Alex (nom fictif).

Le jeune policier, qui a requis l’anonymat et qui travaille maintenant à la Sûreté du Québec (SQ) en Estrie, a démissionné du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) il y a plus d’un an, après y avoir passé quatre années.

Il n’est pas le seul. Selon des chiffres fournis par la Fraternité des policiers et policières de Montréal, 45 policiers ont démissionné du SPVM en 2020, ainsi que 40 en 2021. Et l’année 2022 commence durement avec 21 démissions lors des deux premiers mois de l’année.

« J’ai avisé la direction il y a trois semaines que j’étais très préoccupé par le nombre de démissions, parce que selon nos renseignements, les fusillades vont reprendre aussitôt qu’il va commencer à faire beau. Et cet été, il y aura les vacances. Si les démissions se poursuivent au même rythme que depuis le début de l’année, c’est clair qu’on va être dans le trouble », s’inquiète le président de la Fraternité, Yves Francœur.

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Yves Francœur, président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal

« On est préoccupés, oui, mais on s’en préoccupe », affirme de son côté le directeur du SPVM, Sylvain Caron.

« On regarde avec les ressources humaines quelles sont les raisons qui expliquent ce phénomène», ajoute le chef du SPVM. « Les causes peuvent être multiples : les conditions dans lesquelles on évolue ici, à Montréal, des conditions personnelles, une réorientation de carrière, la pandémie, le propre d’une nouvelle génération, etc. C’est un phénomène nouveau, apparu au cours des deux ou trois dernières années. »

Nombreux facteurs

Plus de la moitié des 21 policiers qui ont démissionné depuis le début de l’année avaient entre trois et sept ans d’expérience. La plupart d’entre eux auraient trouvé un poste à la Sûreté du Québec ou dans d’autres corps de police municipaux.

Selon Yves Francœur, le salaire, plus bas que dans les autres corps de police (surtout aux premiers échelons), la pression plus forte à Montréal « qui fait que les policiers se retrouvent au cœur d’un procès public dans les médias pour le moindre évènement », le débat sur le profilage racial, la politique d’interpellation, le désengagement, les procédures plus nombreuses et « le manque de support du politique » sont parmi les facteurs qui expliqueraient les nombreuses démissions récentes.

« Ce qui revient le plus, c’est la complexité et l’intensité du travail à Montréal, le procès public pour le moindre évènement et le manque de support au niveau politique », résume M. Francœur.

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Sylvain Caron, directeur du SPVM

Oui, ce que nos policiers vivent au quotidien, ce n’est pas facile.

Sylvain Caron, directeur du SPVM

« Depuis deux, trois ans, ils sont critiqués, filmés, peu importe la nature de leur intervention, et sont confrontés aux tribunaux populaires que sont les réseaux sociaux. Ce n’est pas facile de supporter une pression quotidienne quand tu fais ton travail », ajoute M. Caron, qui a déclaré à La Presse cette semaine que la situation avait atteint « un point de bascule ».

« Les citoyens doivent reconnaître le travail des policiers et leur faire confiance. Si les policiers sont affectés dans leur travail, ce sont les criminels qui en profitent », déplore M. Caron.

Comme un chien dans un jeu de quilles

« J’ai passé de très belles années à Montréal, mais aujourd’hui, je suis plus heureux », affirme Alex, qui travaille désormais dans sa région natale. Il fait siens les facteurs énumérés par le président de son ancien syndicat.

« Avant, à Montréal, lorsque les patrouilleurs ne répondaient pas aux appels, ils étaient proactifs, faisaient de petites enquêtes, grattaient et faisaient de la prévention. Maintenant, tout ce qu’on attend d’eux, c’est qu’ils répondent aux appels, qu’ils soient au service du citoyen quand celui-ci les appelle et qu’il veut que les policiers soient là. Les citoyens ne veulent pas voir les policiers dans leur quartier s’ils ne les appellent pas. Les gens sont rarement contents de voir les policiers en prévention. Il y avait plein de problématiques de secteurs et on n’était pas capables de fournir », témoigne le jeune patrouilleur.

« Je trouvais que ça devenait très politique, à Montréal. Je sentais que je travaillais pour la Ville et non pour mes patrons, et que c’est aux dirigeants de la Ville que je devais rendre des comptes », dit Alex, qui affirme aussi avoir ressenti beaucoup de frustration en raison des considérations budgétaires au SPVM et du fait que le salaire à Montréal est la « risée » du milieu policier.

Manque d’effectifs

Le SPVM se veut rassurant : si 21 policiers ont démissionné lors des deux premiers mois de l’année, on souligne que 10 sont arrivés d’autres corps de police. Depuis 2016, une cinquantaine de policiers, qui avaient commencé leur processus d’embauche avec le SPVM, sont partis, mais sont revenus par la suite.

Près de 220 nouveaux policiers doivent être embauchés au SPVM cette année.

Une partie des embauches prévues à l’automne auraient été devancées au printemps, pour compenser, à l’approche de l’été, une partie des démissions de janvier et de février.

Mais selon la direction et la Fraternité, il manquerait 270 policiers dans les effectifs réguliers du SPVM pour respecter le niveau de service prévu dans la Loi sur la police.

C’est sans compter que chaque année, environ 250 policiers ne travaillent pas au SPVM en raison de congés parentaux, d’absences pour maladie ou de prêts de service à d’autres corps de police.

De plus, environ 160 autres partent à la retraite chaque année, par les temps qui courent.

La cohorte de l’École nationale de police du Québec prévue en janvier a été annulée, et ce sont 612 aspirants policiers diplômés qui en sortiront pour l’année 2021-2022.

La concurrence entre corps de police est forte et ceux-ci vont rivaliser pour attirer les candidats dans leurs rangs.

Yves Francœur croit que les démissions devraient être l’une des priorités du prochain chef du SPVM.

Arrêter l’hémorragie

Il espère que l’hémorragie cessera et que les postes vacants à la suite des démissions seront rapidement pourvus, pour éviter que l’employeur abuse des heures supplémentaires obligatoires ou que des policiers soient victimes d’un épuisement professionnel et se retrouvent en absence pour maladie.

« Nous sommes en préparation de négos pour le renouvellement de la convention collective et l’une des demandes des membres, c’est d’interdire les heures supplémentaires obligatoires, je n’ai jamais vu ça », dit Yves Francœur, président de la Fraternité depuis 16 ans.

Mais Alex affirme que d’anciens collègues toujours à Montréal le questionnent sur sa nouvelle vie. Il raconte que des policiers du SPVM ayant 20 ans d’ancienneté lui ont dit qu’ils iraient à la SQ s’ils n’avaient pas à recommencer au bas de l’échelle.

Depuis deux ans, c’est une porte tournante, le SPVM. C’est pourtant une super belle organisation. Je suis fier d’y avoir travaillé et j’aurai toujours une partie de mon cœur à Montréal, mais à long terme, ça devenait éreintant. Je n’avais pas de petits papillons à servir la population, car je sentais qu’on se foutait un peu de nous.

Alex, ex-policier du SPVM maintenant à la SQ

Même si le directeur du SPVM reconnaît que la situation actuelle n’est pas facile, il invite avec enthousiasme les nouvelles recrues à rejoindre les rangs de son organisation.

« Le SPVM est une belle organisation. Montréal est rempli de beaux quartiers où il est plaisant de travailler. C’est un service rempli de gens engagés et où il y a une multitude de possibilités », conclut Sylvain Caron.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.