Le racisme dans les clos de voirie de l’arrondissement de Montréal-Nord illustre un « problème de société » bien plus large auquel on doit s’attaquer par des mesures « concrètes et directes », affirme le Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCBM), pour qui un grand changement de culture doit maintenant s’entamer à l’interne.

« Je ne veux pas déresponsabiliser personne, au contraire, mais c’est partout comme ça. Des gestes discriminatoires, il s’en produit dans tous les milieux, tous les jours. La discrimination raciale et systémique, c’est de société », a expliqué à La Presse le président de l’organisme syndical, Luc Bisson, à l’issue d’une journée complète de rencontres tenues avec ses membres.

Plus tôt, mercredi, La Presse a révélé qu’un rapport d’enquête commandé par la Ville concluait que plusieurs cols bleus de Montréal-Nord membres de minorités ethniques se sentaient discriminés dans leur milieu de travail. Selon la professeure en relations industrielles Tania Saba, auteure du rapport, certains estiment que les représentants syndicaux et les gestionnaires – majoritairement des Blancs – sont de connivence. « Ce rapport est venu nous situer, comme quoi il y a de la discrimination raciale. Maintenant, on doit se projeter ailleurs. […] Le rapport le dit : il doit y avoir un changement de culture et organisationnel », dit M. Bisson.

D’après lui, la situation illustre que la société « réclame que ça se passe autrement ». « On a tous la responsabilité d’y voir. Chacun de nous peut faire la différence pour que la situation change et s’améliore. C’est une responsabilité civile de tendre vers l’acceptation de la diversité », soutient-il.

Il y a une conscientisation importante qui s’est faite aujourd’hui. C’est quelque chose d’historique qu’on rencontre les travailleurs comme ça. Le problème existe depuis longtemps, mais là, on engage la Ville à prendre des actions.

Luc Bisson, président du SCBM

Des onze recommandations du rapport, huit sont du ressort de la Ville, rappelle toutefois le syndicat. « Il reste qu’il incombe à l’employeur de faire son travail. Ça prend des actions directes, quelque chose de concret. Et nous, on sera là pour les aider à appliquer ces mesures », dit M. Bisson.

Frantz Elie, conseiller syndical et responsable de l’enquête lancée à Montréal-Nord, est du même avis. Il affirme que « le respect de la convention collective, qui prévoit qu’il y a un comité conjoint pour traiter ces choses-là, est fondamental dans ce dossier ». Il espère lui aussi que les rencontres tenues avec les membres seront le début du changement des mentalités.

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Frantz Elie, conseiller syndical et responsable de l’enquête lancée à Montréal-Nord

« Si tout le monde a cette philosophie-là, dans un an, on sera ailleurs. J’aime penser que les gens, avec ce qu’ils ont entendu et vécu, seront portés à être meilleurs, plus ouverts. Et on espère que ça servira d’exemples à d’autres milieux. Des problèmes de climat de travail, il n’y en a pas juste à Montréal-Nord », persiste quant à lui M. Bisson.

« Déplorable », dit Valérie Plante

Pendant ce temps, mercredi, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, a qualifié la situation de « déplorable ». « Oui, il existe du racisme systémique et de la discrimination dans différentes organisations. Maintenant que c’est dit, il faut passer à l’action. On va faire un comité de redressement », a promis l’élue, disant vouloir « des solutions très pratico-pratiques au sein de l’arrondissement ».

Dans un rapport obtenu par La Presse, le professeur Angelo Soares, de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), en arrive sensiblement à la même conclusion que sa consœur Tania Saba, de l’Université de Montréal, chargée par la Ville de Montréal d’étudier la question du racisme dans l’arrondissement.

« On rencontre encore, incroyablement, des manifestations de racisme direct, dans lesquelles on vise une personne ou un groupe de personnes de manière ouverte et avouée », a décrit M. Soares dans son rapport. « Une employée col bleu a été traitée de ‟sale N…”, une agression verbale raciste, et nous avons pu constater l’impact psychologique d’un tel geste déplorable. »

L’enseignant ajoute que « lors de la distribution des tâches (dispatch), le matin, les nouvelles camionnettes ne sont pas attribuées d’une manière aléatoire ». « Il y a du favoritisme. Cela veut dire que certains n’auront pas l’air climatisé durant toute une journée d’été », écrit-il. L’auteur évoque aussi l’existence de clans divisés par des lignes ethniques, qui échangent peu entre eux. Son rapport évoque notamment « une cafétéria où il existe une place pour les cols bleus noirs et une autre pour les cols bleus blancs ».

« Aussi surprenant qu’inacceptable »

Dans les rangs de l’opposition officielle, la mairesse suppléante de Montréal-Nord, Chantal Rossi, a soutenu mercredi que « les conclusions du rapport d’expertise sur des pratiques discriminatoires envers certains cols bleus vont entièrement à l’encontre des orientations sur la diversité et sur l’inclusion qui ont été émises par le conseil d’arrondissement au cours des dernières années ».

L’élue, qui dit de cette affaire qu’elle est « tout aussi surprenante qu’inacceptable », affirme qu’aucun employé d’arrondissement « ne doit craindre d’être pénalisé parce qu’il a le courage de dénoncer ».

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Chantal Rossi, conseillère et mairesse suppléante de Montréal-Nord

Nous ne tolérons pas que des pratiques discriminatoires aient lieu dans notre organisation, tandis que tous nos efforts sont mis pour l’atteinte d’un meilleur vivre-ensemble.

Chantal Rossi, conseillère et mairesse suppléante de Montréal-Nord

Son parti, Ensemble Montréal, soutient qu’il est essentiel que les employés « aient accès à des outils leur permettant de dénoncer de telles situations ». La formation réitère la nécessité de créer une ligne de dénonciation indépendante et confidentielle pour les employés qui seraient victimes de discrimination. Pareille suggestion avait déjà été faite en octobre 2019, dans la foulée de la consultation de l’Office de consultation publique de Montréal sur le racisme systémique.