Voilà environ quatre mois que des dizaines de sans-abri sont installés au campement Notre-Dame. Ils sont désormais une centaine, et leurs piquets de tente seront bientôt enfoncés dans un sol gelé. À mesure que le froid s’installe, un plan concret de la Ville se fait attendre.

Le campement improvisé de la rue Notre-Dame dans Hochelaga-Maisonneuve a l’allure d’un petit village bien organisé. Dimanche matin, l’air frisquet transporte les effluves de bagels frais et de chili. Dany Bujold se rend sur place trois fois par semaine et distribue des victuailles.

« Quelques-uns veulent rester. Ils ont plus de liberté ici que dans un refuge, où ils sont traités comme des enfants. Mais pas mal ont peur de l’hiver. Ils veulent une place au chaud, mais les abris sont pleins. Si ça continue de même, il y aura encore du monde ici passé la première neige », explique-t-il.

« Le froid, ça va être un enjeu. Je ne sais pas ce que la Ville va faire, mais pour l’instant, c’est impossible de nous reloger toute la gang », ajoute Cédric Charrois.

Bien que le campement soit devenu un territoire de choix pour quelques vendeurs de drogues, selon plusieurs campeurs, le terrain gazonné qui longe la rue Notre-Dame entre les rues Alphonse-D.-Roy et Davidson demeure sûr. Une centaine de tentes y sont désormais érigées. Les gens qui consomment se tiennent entre eux et ne dérangent personne. Les plus solitaires enclins aux sautes d’humeur sont installés en retrait, explique M. Bujold, avant d’être interrompu par un couple de Kahnawake.

Ken Williams et sa femme ne sont pas venus les mains vides. Ils ont ramené pâtisseries, chaises de camping et vêtements. C’est leur quatrième visite au campement.

J’ai un logement et je suis au chaud, mais par principe, je veux les aider. Avec tous les édifices vides et les logements abandonnés, je ne comprends pas qu’on laisse ce campement grossir.

Ken Williams, qui distribue denrées et vêtements aux sans-abri

Installé au campement depuis juillet, Michel Chiasson affiche un air soulagé. C’est sa dernière semaine ici. « J’ai trouvé un logement. Un appartement supervisé », annonce-t-il fièrement, lové à l’intérieur de sa tente au milieu des sacs d’épiceries, des pancartes, des vêtements et des cannettes amassés durant l’été. L’homme de 63 ans redoutait l’hiver.

Son voisin Jacques Brochu campera sous la neige, s’il le faut. « Si on nous sort, je vais aller camper devant l’hôtel de ville ! Je partirai seulement si je trouve un logement. »

Il s’est bâti une petite salle à manger sur un plancher de bois surélevé, pour éviter d’être à même le sol. Il s’est procuré du matériel isolant dans un chantier de construction et s’apprête à recouvrir sa tente de papier-bulle pour l’isoler.

Dormir sans intimité sur un lit de camp dans un aréna ou un hôtel ? Pas question. « On n’est pas une clientèle comme qu’ils disent souvent, on est des gens », répond-il du tac au tac.

Mesures municipales d’urgence

Consciente de la demande accrue, la mairesse Valérie Plante a annoncé mercredi dernier vouloir doubler le nombre de lits d’urgence prévus cet hiver.

« Nous travaillons avec nos partenaires du réseau de la santé et des organismes communautaires afin d’annoncer les détails du plan de mesures d’urgence hivernales dans les meilleurs délais », a confirmé son attachée de presse Geneviève Jutras à La Presse dimanche.

Selon Benoit Langevin, porte-parole de l’opposition officielle en matière d’itinérance et de jeunesse, le plan hivernal de la Ville pour bonifier les places en refuge est en retard.

« L’année dernière à la mi-novembre, il faisait très froid. On avait dit que le 15 novembre devait être la date de mise en place du plan hivernal. Comment ça se fait qu’au 25 octobre, on n’a rien d’annoncé ? Les structures d’urgence, ça leur prend environ 30 jours pour être opérationnelles. »

L’élu dénonce aussi la centralisation des ressources pour sans-abri, alors que l’itinérance ne se limite pas à quelques quartiers centraux. Ce phénomène contribue à la multiplication des campements de fortune.

« Un itinérant à Pointe-aux-Trembles doit passer la nuit au centre-ville, puis retourner dans son secteur en autobus. Il doit faire le choix entre manger et se déplacer. Quand on déplace les gens d’un milieu familier, on leur enlève leur tissu social et on ne les aide pas dans leur précarité. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Diane Gervais, retraitée de 61 ans, vient en aide aux sans-abri du square Cabot, au centre-ville de Montréal.

Les ressources disponibles pendant la première vague de COVID-19 se sont volatilisées. La Croix-Rouge ne distribue plus de nourriture les fins de semaine. Au square Cabot, au centre-ville, c’est plutôt Diane Gervais – sympathique retraitée de 61 ans – qui s’occupe de distribuer denrées, vêtements et sacs de couchage depuis huit semaines. « Au début, on aidait une soixantaine de personnes. Là, c’est rendu entre 100 et 150 par jour. L’impact des refuges pleins et de la crise du logement, on le voit. »

Les gens qu’elle rencontre se sentent abandonnés. « Ils sont comme dans un navire sans capitaine. Si je dois distribuer de la nourriture, des pansements et des tampons tout l’hiver, je vais le faire. Mais quand des citoyens comme moi doivent prendre ces initiatives, c’est que l’heure est grave. »