Jamais autant de pneus n’ont été détournés des sites d’incinération au Québec. À l’heure où les automobilistes changent leurs pneus d’hiver, Recyc-Québec affirme que 99 % sont aujourd’hui récupérés. Un record depuis le violent incendie dans un dépotoir de pneus de Saint-Amable, il y a près de 35 ans.

Mais le défi technologique demeure entier pour les remettre sur la route ou donner une seconde vie au caoutchouc. Particulièrement ceux provenant des vélos. Le Québec accuse un retard de cinq à dix ans par rapport à l’Europe, selon des chercheurs dans le domaine.

Sabrina Charron est l’experte du programme de pneus chez Recyc-Québec, la Société québécoise de récupération et de recyclage. Elle rappelle que les pneus ont continué à brûler durant six mois, en 1990, lors de l’incendie dans le dépotoir de la Montérégie. À l’époque, il n’existait pas de réglementation. Durant 20 ans, l’organisme a travaillé à éliminer les montagnes de pneus aux quatre coins de la province.

« À la fin de 2012, on avait récupéré et traité 45,5 millions de pneus. On retrouvait des pneus partout. Il nous arrive encore aujourd’hui de récupérer des pneus des années 1950 avec la petite bande blanche. Il y a quelques années, dans la région de Québec, des entrepreneurs ont trouvé un cimetière de pneus avec ces fameuses bandes en excavant le terrain d’un centre IKEA en construction. »

En 2023, selon les données préliminaires transmises à La Presse par l’organisme, plus de 100 000 tonnes de pneus ont été récupérées et traitées.

En raison de la complexité du processus, moins de 1 % sont remodelés (0,16 % en 2022). Et près de 2 % servent encore de combustible aux cimenteries et sociétés papetières (raffineries), l’une des plus importantes sources de gaz à effet de serre avec les alumineries. Et, dans une très large proportion, les pneus de voiture sont transformés en poudre, paillis, objets moulés et tapis (98,6 % en 2022).

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Éric Grondin, directeur général de Dynamat (E360S) de Laval, explique que 1 million de pneus sont traités chaque année par l’entreprise.

Tapis de dynamitage

À Laval, lors de notre passage à l’entreprise Dynamat (E360S), une grosse remorque de 53 pieds recule jusqu’à un quai de déchargement. À l’intérieur du camion, un millier de pneus sont prêts à être déchargés. Certains seront vendus dans le marché de l’usagé, d’autres, en moins bon état ou de mauvaises dimensions, seront envoyés pour être recyclés. Mais la majorité des pneus seront transformés en tapis de dynamitage, explique le directeur général, Éric Grondin.

On coupe en deux le pneu sur le long et on procède à une coupe transversale. Les pneus sont ensuite tissés avec du fil de fer. Nous sommes la seule entreprise du genre à remodeler des pneus. Il y a zéro déchet de production, tout est récupéré.

Éric Grondin, directeur général de Dynamat (E360S)

« Nos tapis sont vendus sur les chantiers du Québec, de l’Ontario et des États-Unis. On fabrique aussi des tapis de défense pour l’accostage maritime à quai, des tapis de routes d’accès temporaires. »

PHOTO FOURNIE PAR DYNAMAT (E360S)

Des tapis de défense maritime permettant aux bateaux d’accoster en toute sécurité

Sur le vaste terrain de Dynamat, la montagne de pneus atteint une dizaine de mètres de haut. À cet endroit et dans une filiale en Ontario, 1 million de pneus sont traités chaque année. L’an dernier, 3657 tonnes métriques de tapis de dynamitage en fin de vie ont été recyclées en collaboration avec TPOL (transport et recyclage de pneus à Québec). L’équivalent du poids de 731 gros éléphants adultes.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Les pneus sont transportés de la remorque à l’usine de remodelage en tapis de dynamitage. Dynamat (E360S) de Laval.

Le pneu de vélo

Reste le casse-tête des pneus de vélo. « C’est plus compliqué », concède la dirigeante de Recyc-Québec, Sabrina Charron.

En 2022, 271 000 pneus de vélo ont été collectés dans la province, pour un poids de 101 tonnes, avec la collaboration de 300 détaillants. Ils servent souvent de combustible aux cimenteries et sociétés papetières. La Société québécoise de récupération et de recyclage renouvelle en continu son appel de propositions pour les remodeler ou les transformer au lieu de les envoyer dans les cimenteries et sociétés papetières.

En Allemagne, des pneus de vélo usagés sont remodelés... en pneus de vélo, chez Schwalbe. Il s’agit du premier fabricant de pneus de vélo au monde à avoir réussi à mettre au point un processus de remodelage complet des pneus.

Consultez le site de Schwalbe

Selon Denis Rodrigue, professeur au département de génie chimique de l’Université Laval et expert en recyclage, il est impératif que le gouvernement du Québec investisse davantage dans la recherche et le développement.

« On est très bons pour récupérer les pneus. Mais la province accuse de cinq à dix ans de retard sur l’Europe, déplore-t-il. Pour les pneus de voiture, c’est complexe à remodeler, chaque fabricant a sa propre recette avec ses composantes. Mais il y a d’autres types de pneus : à brouette, à tondeuse. Il y a certainement des débouchés, on pourrait en faire des pare-chocs pour les voitures, s’en servir pour fabriquer des poubelles. La compétition est féroce, on peut faire mieux. »

Droits spécifiques sur l’achat de pneus neufs afin de financer leur recyclage (depuis juillet 2023)

Pneu neuf de voiture : 4,50 $

Pneu neuf de camion : 6,00 $

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