Les entreprises qui prélèvent de grandes quantités d’eau au Québec la paient beaucoup plus cher depuis le 1er janvier, mais cette hausse de la redevance sera insuffisante à elle seule pour atteindre l’objectif du gouvernement Legault, qui vise une gestion efficace et durable de la ressource, préviennent différents observateurs.

Le montant de la redevance est ainsi passé de 2,50 $ à 35 $ par million de litres dans le cas d’une utilisation pour laquelle l’eau n’est pas incorporée dans un produit et est retournée dans la nature après utilisation, par exemple dans un procédé industriel.

Pour les utilisations qui prévoient l’incorporation de l’eau dans un produit, comme la fabrication de boissons ou encore de pesticides ou engrais agricoles, le taux a été augmenté à 150 $ par million de litres, contre 70 $ auparavant.

L’embouteillage d’eau, qui entre dans cette seconde catégorie, est aussi visé par un taux additionnel de 350 $ par million de litres d’eau, portant ainsi la redevance totale à 500 $, dans le but avoué de faire disparaître du marché l’embouteillage d’eau provenant des systèmes de distribution publics.

Toute personne physique ou morale prélevant 75 000 litres d’eau ou plus par jour, ne serait-ce qu’une journée dans l’année, est assujettie à payer la redevance sur l’eau – ce seuil sera d’ailleurs abaissé à 50 000 litres par jour à partir du 1er janvier 2026.

Finis, les secrets

Ces hausses de la redevance sur l’eau découlent de la Loi instituant le Fonds bleu et modifiant d’autres dispositions, adoptée en juin dernier, qui rend aussi obligatoire la publication des volumes d’eau prélevés, de l’identité des préleveurs et de l’endroit où les prélèvements sont effectués pour quiconque consomme 75 000 litres d’eau ou plus par jour.

« Pour la première fois, on lève le secret sur l’eau au Québec, c’est une avancée qui est historique », a souligné l’avocat Merlin Voghel, du Centre québécois du droit de l’environnement.

« C’est une grande victoire », a renchéri Rébecca Pétrin, directrice générale d’Eau Secours.

Les deux organisations militent depuis 2018 pour que les données sur les grands consommateurs d’eau du Québec soient accessibles au public.

Mais cette avancée ne constitue qu’un premier pas, puisque la transparence est loin d’être complète, nuancent Mme Pétrin et MVoghel.

Seulement 355 entreprises sur les plus de 21 000 dont les activités sont assujetties à la redevance ont prélevé 75 000 litres ou plus par jour en 2021, indique le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs.

C’est donc moins de 2 % des entreprises prélevant de l’eau dont les données seront rendues publiques.

Il va falloir collecter beaucoup plus de données, abaisser le seuil de déclaration au moins à 20 000 litres par jour.

Rébecca Pétrin, d’Eau Secours

Faute d’avoir un portrait d’ensemble, le gouvernement sera condamné à agir « à l’aveuglette », prévient-elle.

« Ce ne sont pas nécessairement les plus gros utilisateurs qui ont un impact, ça peut être l’accumulation de plusieurs petits utilisateurs », dit-elle, donnant l’exemple du sud du Québec, où certaines régions ont récemment connu des pénuries d’eau, même si elles comptent peu ou pas de très grands préleveurs.

L’argent ne réglera pas tout

L’augmentation de la redevance ne permettra pas à elle seule une meilleure gestion de l’eau, préviennent Eau Secours et le Centre québécois du droit de l’environnement.

« Tant et aussi longtemps que les minières, les alumineries, le milieu agroalimentaire vont avoir de l’argent pour payer des redevances, ils vont continuer à surconsommer cette ressource-là », dit Rébecca Pétrin, qui déplore que les papetières soient exemptées du nouveau cadre réglementaire et que les minières ne soient tenues qu’à fournir des estimations de leur consommation plutôt que de se doter de compteurs d’eau.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Bouteilles d’eau sur les étagères d’un marché

Elle salue néanmoins le fait que le nouveau cadre réglementaire prévoit qu’il soit révisé tous les cinq ans, ce qui démontre à son avis la volonté du gouvernement de resserrer les règles.

L’embouteillage d’eau est « l’exemple le plus frappant », estime Merlin Voghel, qui souligne que 1 million de bouteilles de 1 litre d’eau vendues 3,50 $ généreraient des revenus de 3,5 millions à l’entreprise ayant prélevé cette eau, qui ne verserait que 500 $ en redevance à l’État.

Est-ce que ce sera suffisant pour avoir une influence sur la consommation par les préleveurs en eau ? Il y a lieu de se questionner.

Merlin Voghel, du Centre québécois du droit de l’environnement

Les revenus de la redevance sur l’eau, qui devraient s’élever à quelque 30 millions de dollars, estime le gouvernement, seront versés dans le tout nouveau Fonds bleu, entré en vigueur le 1er janvier, dans lequel Québec injectera aussi 550 millions sur cinq ans.

Le Fonds bleu a pour objectif d’offrir un financement « adéquat, prévisible et suffisant » de mesures de protection, restauration, mise en valeur et gestion des ressources en eau, comme la prévention des inondations, la conservation des écosystèmes aquatiques et l’amélioration de la gouvernance de l’eau.

Embouteilleurs rabroués par le ministre

Les embouteilleurs réunis au sein de l’Association canadienne des boissons ont tenté d’être exemptés de la redevance la plus élevée visant le prélèvement de l’eau pour l’incorporer dans un produit, en affirmant lors de l’étude du projet de loi en commission parlementaire que l’eau qu’ils utilisent retourne éventuellement dans la nature, après avoir été bue, un argument qui a valu à leur représentant les remontrances du ministre Benoit Charette.

L’histoire jusqu’ici

Juin 2018

Eau Secours et le Centre québécois du droit de l’environnement font une demande pour connaître les quantités d’eau prélevées par les entreprises d’embouteillage au Québec, mais le gouvernement refuse, invoquant le secret commercial.

Décembre 2020 

La Commission d’accès à l’information donne raison au gouvernement, une décision qui sera confirmée 15 mois plus tard par la Cour du Québec.

Avril 2023

Le gouvernement Legault dépose un projet de loi sur la transparence et les redevances sur l’eau, qui sera adopté en juin.

Janvier 2024 

Entrée en vigueur de la hausse de la redevance sur l’eau.

En savoir plus
  • 2010
    Année de l’entrée en vigueur de l’instauration de la redevance sur l’eau, qui n’avait pas été majorée jusqu’au 1er janvier dernier.
    source : Centre québécois du droit de l’environnement