Des publicités pour encourager des consommateurs à ne rien acheter, payées par une agence gouvernementale d’un pays du G7. C’est l’audacieux pari de la France dans le cadre d’une campagne controversée pilotée par son agence de la transition écologique.

Ce qu’il faut savoir

  • Une campagne publicitaire de l’agence de la transition écologique invite les consommateurs à ne pas acheter de produits neufs en France.
  • La campagne aborde de façon humoristique la question de la surconsommation, néfaste pour l’environnement.
  • Les publicités ont provoqué un tollé chez plusieurs associations de commerçants dans l’Hexagone.

Depuis quelques semaines, des publicités étonnantes circulent en France, mises de l’avant par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Celles-ci invitent les consommateurs à y penser à deux fois avant de faire l’achat d’un nouveau téléphone portable, d’une ponceuse, d’un vêtement ou d’une nouvelle machine à laver.

« J’ai besoin de poncer ma table, vous prendriez laquelle, vous ? », demande un client à un vendeur dans une quincaillerie. « Ben, j’en prendrais pas », répond son interlocuteur en souriant, dans l’un des messages publicitaires d’une trentaine de secondes de l’ADEME.

La conversation se poursuit et le client dit trouver le vendeur « bizarre » d’offrir une telle réponse, celui-ci rétorque qu’il n’est pas vendeur, mais un « dévendeur ». « Ce que je trouve bizarre, c’est d’acheter un objet que vous allez utiliser qu’une fois. Vous avez pensé à la location ? Ou l’emprunt ? C’est mieux pour les ressources de la planète et c’est plus économique pour vous. »

Sur un ton humoristique, trois autres publicités du même genre abordent l’achat d’un téléphone portable, d’une machine à laver et d’un chandail. Les messages de l’ADEME ont été dévoilés en vue du fameux Vendredi fou (Black Friday), en novembre, où les commerçants proposent des rabais aux consommateurs.

Commerçants outrés

La campagne a provoqué un tollé en France et plusieurs associations de commerçants ont rapidement demandé à l’ADEME de retirer ses publicités. « Nous demandons à l’[ADEME] son retrait immédiat, faute de quoi nous envisagerons une action en justice pour dénigrement commercial », ont plaidé l’Alliance du commerce, l’Union des industries textiles et l’Union française des industries mode et habillement, dans un communiqué de presse commun.

« Vous ne pouvez pas savoir le nombre d’appels que j’ai des enseignes qui se sentent insultées dans un moment essentiel après les crises qu’on connaît », a déclaré le directeur général de l’Alliance du commerce, Yohann Petiot, dans une entrevue avec l’Agence France-Presse.

Le ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire, a jugé « maladroite » la campagne de l’ADEME, mais son collègue Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, a répondu qu’il refusait de retirer les publicités, a rapporté le magazine Le Point.

Que 0,2 % du temps d’antenne publicitaire soit consacré à se demander si tous les achats sont utiles, franchement, vu les enjeux de transitions écologiques, ça ne semble pas déraisonnable.

Christophe Béchu, ministre français de la Transition écologique

« On aurait dû cibler avec le même message plutôt les plateformes de vente en ligne que les commerces physiques », a-t-il cependant répondu aux critiques d’un secteur qui connaît plusieurs difficultés face au commerce en ligne.

Contre-message utile

« Ça va à l’encontre des publicités habituelles, qui sont censées nous faire acheter, alors que là, on nous suggère de ne pas acheter », mentionne Vincent Fournier, professeur du département de communication sociale et publique de l’UQAM. « Mais c’est assez intéressant de voir une agence financée par le gouvernement français, axée vers la transition écologique, qui vise donc une espèce de consommation responsable. »

« On n’est pas habitués d’avoir ce contrepoids. C’est un contre-message qui est utile. C’est bon d’avoir cette réflexion dans le discours public », croit pour sa part Verena Gruber, professeure à l’EM Lyon Business School, en France.

C’est une prise de position qui est très forte et c’est encourageant de voir que le gouvernement [français] se positionne sur cet enjeu qui est essentiel.

Amélie Côté, analyste en réduction à la source chez Équiterre

« Quand j’ai vu cette publicité, poursuit-elle, la première chose que je me suis dite, c’est que ça nous prendrait ce genre de publicité au Québec. »

Vincent Fournier précise qu’on a affaire ici à des publicités de type sociétales, « un peu comme les publicités de la SAAQ [Société de l’assurance automobile du Québec] contre la vitesse au volant ».

On peut s’attendre à ce que des organismes comme Greenpeace ou Équiterre soient à l’origine de ce type de messages, mais c’est plus inhabituel venant d’un gouvernement, croit-il.

« C’est peut-être ça qui fait réagir, c’est que pour la première fois, on voit un gouvernement dire halte à la consommation, halte à la croissance économique, et il me semble qu’on n’entend pas ça souvent des gouvernements », ajoute Vincent Fournier.

S’il y a déjà des publicités sociétales du genre au Québec, celles-ci ne sont pas au même niveau que leurs cousines françaises, estime néanmoins Amélie Côté. Selon elle, les pubs françaises de l’ADEME sont plus audacieuses que les messages publicitaires du gouvernement du Québec destinés à encourager la population à composter. « Pour moi, c’est plus avant-gardiste et ça vient vraiment s’attaquer au problème à la source, la surconsommation. »

Voyez une publicité de l’ADEME