(Montréal) Les politiciens canadiens continuent de « traîner les pieds » pour aligner le système financier du pays vers les cibles climatiques, selon une centaine d’universitaires et d’organisations qui ont signé une lettre qui demande au Sénat d’étudier en priorité le projet de loi S-243.

Cinq banques canadiennes se retrouvent parmi les 15 plus grands bailleurs de fonds de l’industrie fossile dans le monde pour l’année 2022 et le projet de loi S-243 imposerait notamment à ces institutions bancaires l’obligation d’élaborer des plans d’action contre les changements climatiques, d’avoir des cibles d’émissions de gaz à effet de serre et de soumettre des rapports d’étape pour lutter contre la crise climatique.

Au printemps dernier, des députés des principaux partis fédéraux, à l’exception du Parti conservateur, avaient fait front commun en donnant leur appui au projet de loi S-243 de la sénatrice Rosa Galvez.

Cinq mois se sont écoulés depuis cette sortie publique, mais peu de progrès semblent avoir été réalisés, selon la responsable principale du programme de financement climatique du groupe Environnemental Defence.

On est à la traîne comparativement à d’autres juridictions. La finance climatique au Canada stagne et on risque de prendre du retard au niveau de la compétitivité économique, alors on demande aux sénateurs et sénatrices d’agir plus rapidement.

Julie Segal, responsable du programme de financement climatique du groupe Environnemental Defence

Les signataires font valoir que l’Union européenne et le Royaume-Uni ont des politiques de divulgation et exigent des plans de transition pour le secteur financier et que le Trésor américain a récemment publié des orientations pour les plans de transition de ce secteur vers l’objectif de carboneutralité.

Un risque pour l’économie

Les banques canadiennes « sont les plus grands investisseurs dans le désastre climatique, mais elles prennent également un grand risque avec notre argent », a indiqué Julie Segal.

Avec un investissement de 42 milliards US l’an dernier, la Banque Royale du Canada (RBC) a été la plus grande bailleuse de fonds pour des projets de combustibles fossiles au niveau mondial en 2022, selon les données de la dernière étude de Banking on Climate Chaos, publiée il y a quelques mois.

Toujours selon cette étude, la Banque Scotia est au septième rang avec des investissements de 29,5 milliards, suivie de près par la Banque TD au huitième rang (29 milliards).

La Banque de Montréal (19 milliards) occupe le 13rang et la CIBC est au 14rang (17 milliards).

Tout cet argent investi dans des énergies du passé représente un risque pour l’économie du pays, selon Environnemental Defence.

« L’économie canadienne sera confrontée à un risque d’actifs échoués d’au moins 100 milliards de dollars si nous avançons trop lentement dans la transition énergétique », a fait valoir Julie Segal en citant les données d’une étude de la Revue Nature publiée en mai 2022.

Un actif échoué est un investissement qui perd sa valeur avant la fin de sa durée de vie utile en raison de l’impact de changements dans la société, comme la transition énergétique qu’impose la lutte aux changements climatiques.

« Beaucoup de ces actifs, qui proviennent notamment de grands fonds de pension, mettent l’économie à risque », car ces actifs « ne seront plus utiles » dans la future économie, a ajouté Julie Segal.

Une action retardée amplifierait « les incidences »

En janvier 2022, la Banque du Canada et le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) ont publié un rapport dans lequel ils analysent différents scénarios pour améliorer la capacité des institutions financières à juger des risques économiques et financiers auxquels elles pourraient être exposées en raison des changements climatiques.

Tous les scénarios analysés montrent que « la transition impliquera des risques importants pour certains secteurs économiques » et « qu’une évaluation erronée du prix des risques de transition pourrait exposer les institutions financières et les investisseurs à des pertes soudaines et importantes ».

Selon les deux institutions, une action politique retardée amplifierait « les incidences économiques et les risques pour la stabilité financière » et « les secteurs public et privé doivent unir leurs efforts afin de veiller à ce que l’économie et le système financier soient fin prêts pour la transition vers une économie sobre en carbone ».

Le Canada s’est engagé à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 à 45 % d’ici à 2030, comme le prévoit la loi sur la responsabilité en matière de carboneutralité.

« Alors que le gouvernement a défini des trajectoires de réduction des émissions pour tous les secteurs de l’économie réelle dans le cadre du plan de réduction des émissions, l’alignement du secteur financier sur les engagements de réduction des émissions est une pièce manquante essentielle du plan climatique du Canada », font valoir les signataires.

La Fondation Trottier, le Réseau Action Climat, Oxfam Québec, Mères au front et Greenpeace font partie des 100 signataires du document.

Pas de réponse des conservateurs

Lorsque la sénatrice Rosa Galvez avait présenté son projet de loi au printemps dernier, des députés libéraux, bloquistes, néo-démocrates et verts l’avaient accompagnée et donné leur appui, lors d’une conférence de presse.

La Presse Canadienne avait demandé à l’époque au chef du Parti conservateur du Canada s’il appuyait la démarche de la sénatrice et des députés des autres partis. Pierre Poilievre avait répondu qu’il ignorait le contenu du projet de loi S-243 et qu’il était « prêt à lire la loi » et « donner une réponse là-dessus ».

Mardi, La Presse Canadienne a de nouveau demandé l’avis du chef conservateur par le biais de son attaché de presse, mais n’a pas obtenu de réponse.

Un projet de loi doit franchir cinq étapes au Sénat ; celui présenté par la sénatrice Galvez a franchi l’étape de la deuxième lecture.