Si la forêt brûle surtout au nord, les effets des incendies de 2023 se feront sentir partout au Canada. Produit intérieur brut en baisse, coûts de santé en hausse : on commence à peine à mesurer les impacts de cette nouvelle catastrophe climatique qui touche plusieurs provinces canadiennes. Le Canada est-il prêt à faire face au problème ?

Vous cherchez à faire peur à vos lecteurs ?

On ne cherche à faire peur à qui que ce soit. Pour paraphraser le climatologue Michael Mann, les effets des changements climatiques sont déjà terrifiants, il n’est pas nécessaire d’en rajouter une couche.

Vous parlez quand même du PIB en baisse. N’est-ce pas exagéré pour quelques forêts qui brûlent au nord ?

Cette information est tirée d’une récente analyse de la firme Oxford Economics, qui estime que les incendies de forêt ont fait reculer le PIB canadien de 0,1 point de pourcentage au deuxième trimestre. De plus, si les prévisions d’une saison record d’incendies se concrétisent, le PIB pourrait perdre entre 0,3 et 0,6 point de pourcentage au troisième trimestre. Selon les analystes d’Oxford Economics, les impacts économiques de cette saison des incendies pourraient surpasser ceux de la tragédie de Fort McMurray, qui avait provoqué un recul du PIB de 0,4 % au deuxième trimestre de 2016. Des chiffres qui n’étonnent pas Julien Bourque, analyste politique principal à l’Institut climatique du Canada. « Ce sont des données qui concordent avec nos évaluations », signale-t-il.

Consultez l’étude d’Oxford Economics (en anglais)
Consultez le site web de Statistique Canada sur les « Répercussions économiques du feu de forêt de 2016 à Fort McMurray »

Mais comment des incendies de forêt peuvent à ce point affecter notre économie ?

Oxford Economics estime que les activités minières, les carrières et l’extraction du pétrole et du gaz en Alberta, en Colombie-Britannique et au Québec seront les premières activités touchées par des fermetures temporaires de leurs activités depuis la mi-mai. On apprenait d’ailleurs mercredi que le gouvernement du Québec débloque 50 millions de dollars pour aider les entreprises touchées par les incendies de forêt. Une aide destinée à soutenir les exploitants forestiers, les scieries, les papetières, les pourvoiries, les entreprises touristiques et les commerces de proximité.

PHOTO FOURNIE PAR LE MINISTÈRE ESPAGNOL DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET DU DÉFI DÉMOGRAPHIQUE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Pompiers espagnols venus prêter main-forte à leurs collègues québécois, près de la rivière Boisvert, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, le 24 juin dernier

Ce sont des incendies exceptionnels, mais on ne voit pas ça tous les ans. De là à prédire des jours sombres pour l’économie canadienne…

Sans tomber dans le catastrophisme, les changements climatiques vont réellement poser un défi pour l’économie canadienne. Selon un rapport de l’Institut climatique du Canada (ICC) dévoilé en septembre dernier, d’ici 2100, les changements climatiques pourraient entraîner des pertes annuelles de l’ordre de 865 milliards de dollars au pays, soit six fois les revenus du gouvernement du Québec en 2022-2023. Le rapport intitulé Limiter les dégâts – Réduire les coûts des impacts climatiques au Canada recommandait que les gouvernements intègrent les répercussions climatiques et les politiques d’adaptation à leurs orientations économiques.

Consultez le rapport de l’Institut climatique du Canada

Ce sont de gros chiffres, mais en quoi sommes-nous concernés ?

Tout le monde finit par être affecté par des pertes de revenus aussi importantes. L’ICC anticipe entre autres que d’ici 2100, les ménages à revenus moyens pourraient perdre jusqu’à 19 % de leurs revenus en raison des changements climatiques. Le gouvernement fédéral estime par ailleurs que les pertes annuelles moyennes issues de catastrophes causées par le réchauffement planétaire totaliseront 15,4 milliards de dollars d’ici 2030 au pays.

Mais bon, il n’y a pas que l’économie dans la vie. Ma grand-mère disait toujours : tant qu’on a la santé, tout va bien !

Votre grand-mère était une personne sage ! Mais il y a un hic : la santé des Canadiens risque également de souffrir des changements climatiques.

PHOTO GRAHAM HUGHES, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Épisode de smog causé par les incendies de forêt, le 25 juin dernier à Montréal

Ce sont de simples faits. Par exemple, entre le 4 et le 8 juin dernier, les particules fines dégagées par les incendies de forêt ont entraîné des coûts de santé de 1,28 milliard de dollars en Ontario, selon les calculs de l’Institut climatique du Canada. Julien Bourque estime que ces coûts sont probablement encore plus élevés au Québec puisque les concentrations de particules fines étaient plus importantes dans la Belle Province.

Consultez l’analyse de l’Institut climatique du Canada sur les coûts en santé des incendies de forêt en Ontario

Et que fait le gouvernement ?

Ottawa a publié en novembre dernier sa stratégie nationale d’adaptation au climat, accompagnée d’un plan d’aide de 1,6 milliard de dollars. Une mise à jour du plan a été annoncée le 27 juin dernier après que le fédéral a eu terminé de consulter les provinces et les territoires.

C’est une bonne chose, non ?

« Le Canada reconnaît que c’est une crise nationale et prend le leadership [avec le dévoilement de cette stratégie] », avance Julien Bourque, précisant que le pays ne fait que rattraper son retard. « On était un peu en arrière du peloton. Le Royaume-Uni, par exemple, a une telle stratégie depuis plusieurs années. » Mais les États-Unis, de leur côté, sont en train de peaufiner leur stratégie. Selon M. Bourque, il faut maintenant que le fédéral « se grouille pour mettre ce plan en action ». « Les changements climatiques, maintenant, c’est une partie de soccer annulée à Montréal à cause d’incendies à des milliers de kilomètres. On est rendus là. »