Un dialogue (un brin) décalé sur un enjeu d’actualité

C’est le tout premier procès du genre aux États-Unis. Une quinzaine de jeunes du Montana accusent leur État d’enfreindre leur droit constitutionnel à un « environnement propre et sain ». Un phénomène qui prend d’ailleurs de l’ampleur partout dans le monde : la jeunesse se tourne vers les tribunaux pour contester l’inaction climatique de leurs gouvernements.

C’est quoi, cette histoire au Montana ? Ils n’ont rien à faire, les jeunes là-bas ?

C’est une affaire très sérieuse. C’est un vrai procès qui s’est ouvert le 12 juin et qui se poursuivra jusqu’au 23 juin prochain. Seize jeunes accusent le Montana de contrevenir à la Constitution de l’État, qui leur garantit le droit à un environnement propre et sain. Held c. Montana constitue le premier procès sur le climat dans l’histoire des États-Unis. Les 16 jeunes âgés de 5 à 22 ans veulent notamment démontrer que le soutien du Montana à l’industrie fossile nuit à leur qualité de vie et à leur avenir.

Ça fait de belles manchettes pour les médias, mais ça ne semble pas très sérieux, cette histoire-là. Les jeunes d’aujourd’hui, de vrais pelleteux de nuages…

La Cour suprême du Montana n’est visiblement pas de votre avis. Elle a donné le feu vert, le 6 juin, à la tenue d’un tel procès, malgré plusieurs tentatives des autorités pour faire annuler la poursuite. Selon Merlin Voghel, avocat au Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE), les plaignants soulèvent tout de même un point important quant à la validité d’une loi du Montana qui interdit de prendre en compte les impacts sur le climat au moment d’accorder ou non des permis à des entreprises d’énergies fossiles. « Cet argument est celui qui a le plus de chances de fonctionner [au tribunal] », estime-t-il.

Ça ne signifie pas qu’ils vont gagner leur cause. Et même si la justice leur donnait raison, est-ce que ça changerait réellement quelque chose ?

C’est une bonne question. En cas de victoire, les plaignants demandent qu’une déclaration soit rédigée, affirmant que leurs droits ont été brimés. Ils souhaitent aussi voir des changements législatifs sur les enjeux climatiques au Montana. Mais si le tribunal leur donnait raison, cela pourrait surtout créer un précédent alors que des causes similaires sont en cours dans d’autres États américains. Signalons que les 16 jeunes sont représentés par Our Children’s Trust, un cabinet d’avocats qui a engagé des poursuites dans les 50 États des États-Unis, mais aussi dans plusieurs autres pays, dont le Canada.

Et puis ? Disons qu’il y a une soixantaine d’actions similaires. Il n’y a pas de quoi écrire à sa mère…

C’est qu’en réalité, il y en a beaucoup plus. Depuis 2015, plus de 1200 poursuites du genre ont été intentées dans le monde, selon le plus récent bilan réalisé par deux chercheuses du Grantham Research Institute on Climate Change. Dans leur rapport intitulé Global Trends in Climate Change Litigations : 2022 Snapshot, Joana Setzer et Catherine Higham signalent que le nombre de poursuites augmente chaque année.

Et moi qui parlais de pelleteux de nuages… On dirait bien que je suis dans les patates. Ça semble une stratégie efficace, en effet.

Toutes les poursuites ne sont pas nécessairement valides, mais dans les cas où une décision sur le fond a été rendue, plus de la moitié d’entre elles (54 %) ont mené à un renforcement des actions contre le changement climatique, mentionne d’ailleurs le rapport du Grantham Research Institute on Climate Change.

C’est ce qu’on appelle une excellente moyenne au bâton. De quoi rendre jaloux Ty Cobb, l’un des meilleurs frappeurs de l’histoire du baseball majeur. Je suis impressionné.

Vous n’êtes pas le seul. Même le GIEC a remarqué l’influence grandissante de ces actions. « Le rôle des poursuites sur les résultats et l’ambition de la gouvernance climatique a été reconnu par le groupe de travail III du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat [GIEC] en 2022, dans un document approuvé par les représentants de tous les États membres », signalent Joana Setzer et Catherine Higham dans leur rapport.

Avez-vous des exemples concrets de poursuites qui ont donné des résultats ?

En avril 2021, la Cour constitutionnelle allemande a donné raison à un groupe de jeunes et forcé le gouvernement à revoir à la hausse sa cible de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Des décisions importantes ont aussi été rendues en France et aux Pays-Bas. Au Canada, cependant, le groupe Environnement Jeunesse a échoué à faire accepter une action contre le gouvernement fédéral pour son manque d’ambition climatique.

Mais les décisions rendues dans d’autres pays n’ont pas vraiment d’influence ici, non ?

Merlin Voghel, avocat au CQDE, croit plutôt que « l’évolution de la jurisprudence internationale finit toujours par influencer le droit canadien ». Il signale aussi que les tribunaux sont de plus en plus sensibles aux questions liées à l’environnement. Par ailleurs, des modifications récentes à la Loi canadienne sur la protection de l’environnement garantissent maintenant le droit à un environnement sain. Une nouvelle disposition législative qui ouvre la porte à d’éventuels recours juridiques au pays, croit Me Voghel.

Consultez le plus récent bilan du Grantham Research Institute on Climate Change (en anglais)