L’aménagement du territoire va devenir une priorité dans les zones à risque d’incendie de forêt, selon des experts consultés par La Presse. Comme pour les zones inondables, Québec devra revoir les règles pour faire face aux risques climatiques de plus en plus importants dans le nord de la province.

S’inspirer des zones inondables

« En aménagement du territoire, ça va devenir une priorité, les incendies de forêt », croit Danielle Pilette, professeure à l’UQAM et spécialiste des questions d’urbanisme et de gouvernance. Selon elle, Québec devra s’inspirer du travail réalisé pour les zones inondables, où les règles ont été resserrées ces dernières années pour faire face aux risques grandissants d’inondation dans certaines régions. « Le gouvernement n’aura pas le choix de produire des orientations gouvernementales très précises et de soutenir la recherche dans le domaine », précise-t-elle. « Il faut y penser dès maintenant. Les mesures d’adaptation [aux changements climatiques], ça doit être fait à long terme, pas dans l’urgence », ajoute Evelyne Thiffault, ingénieure forestière et professeure au département des sciences du bois et de la forêt de l’Université Laval.

Une question de volonté… et de coûts

Merlin Voghel, avocat au Centre québécois du droit de l’environnement, croit lui aussi que Québec devrait se donner des règles adaptées aux risques des incendies de forêt. « Le gouvernement aurait le pouvoir de le faire ; la question, c’est plutôt de savoir s’il en a la volonté. » Selon lui, si Québec a resserré les règles en ce qui concerne les zones inondables, jusqu’à interdire la construction dans certains cas, c’est en raison des coûts élevés des inondations qui sont assumés par les contribuables. « On verra si ça va inciter le gouvernement à agir [face aux risques d’incendie de forêt]. » MVoghel reconnaît néanmoins que les défis seraient nombreux, se demandant par exemple si on irait jusqu’à stopper une partie de l’aménagement du territoire dans les régions les plus à risque de subir des incendies de forêt.

Des incendies de plus en plus gros

À l’échelle canadienne, le Québec n’est généralement pas la province la plus durement touchée par les incendies de forêt. Comme l’a rappelé sur Twitter mercredi Yan Boulanger, chercheur de Ressources naturelles Canada, le réchauffement du climat est plus prononcé dans l’ouest et le nord du Canada, où les risques d’incendie sont aussi plus élevés. Cependant, « pour chaque degré d’augmentation des températures en forêt boréale, la taille des feux triple », a-t-il précisé. Même si la province est généralement moins à risque que l’Ouest, le réchauffement plus prononcé dans le nord du Québec aura nécessairement un effet sur les incendies de forêt. Les scientifiques s’attendent aussi à ce que le bilan des incendies s’alourdisse dans l’avenir sans mesures d’adaptation.

ILLUSTRATION FOURNIE PAR LE GOUVERNEMENT DU CANADA

Des coûts de plus en plus élevés

Entre 1970 et 2009, on déboursait en moyenne 537 millions de dollars par année pour combattre les incendies de forêt dans tout le Canada. Une étude publiée par des chercheurs canadiens dans la revue PLOS One, en 2016, anticipait que ces coûts pourraient grimper jusqu’à 1,4 milliard par année d’ici la fin du siècle en raison du réchauffement du climat. Selon Ressources naturelles Canada, les évacuations connaissent aussi une courbe ascendante. Sur une période de 28 ans, entre 1980 et 2007, un peu plus de 209 000 personnes ont été évacuées au pays ; ce chiffre est passé à plus de 365 000 personnes lors des 14 années suivantes. Huit fois sur dix, ces évacuations ont été provoquées par les risques posés par des incendies de forêt.

« On est prêts »

« On peut espérer que cette année aura été un coup de tonnerre assez fort », lance Evelyne Thiffault, qui espère voir le gouvernement du Québec prendre au sérieux l’adaptation aux changements climatiques. « Du point de vue de la recherche, on est prêts, on a les connaissances, il faut maintenant les mettre en pratique », ajoute-t-elle. Selon l’ingénieure forestière, c’est le bon moment pour y réfléchir, d’autant que le Québec pourrait s’inspirer d’autres régions affectées par de tels évènements, notamment la Colombie-Britannique, la Californie et même l’Australie, en ce qui concerne les meilleures pratiques pour faire face aux incendies de forêt.

Revoir l’aménagement forestier

Selon Evelyne Thiffault, Québec doit notamment revoir l’aménagement forestier autour des communautés en s’assurant d’avoir des espèces d’arbres qui résistent mieux au feu et en diminuant la quantité de combustible en forêt, en débroussaillant pour l’éclaircir. « On peut aussi construire des tranchées et revoir la façon dont on gère la végétation dans les villes », ajoute-t-elle. Mme Thiffault cite l’exemple de l’Australie, où les normes de construction des bâtiments prévoient le recours aux matériaux ininflammables dans les zones à risque. « En Colombie-Britannique, ils réfléchissent à ça à toute vitesse présentement », note-t-elle. Merlin Voghel fait remarquer de son côté que le gouvernement pourrait saisir l’occasion puisqu’il est justement en train de revoir ses orientations en aménagement du territoire. « Il faut changer notre approche et passer à l’action », dit-il.

Une version précédente de ce texte présentait Merlin Voghel comme avocat au Centre québécois de l’environnement. Il s’agit évidemment du Centre québécois du droit de l’environnement. Nos excuses.

En savoir plus
  • 162
    Sur 162 incendies actuellement en activité au Québec, 148 sont situés dans la zone de protection intensive, où la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU) intervient systématiquement, contrairement à la zone nordique.
    Source : SOPFEU